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Comment la crise refonde la relation acheteur-fournisseur

Enquête | publié le : 05.10.2010 | AURORE DOHY

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Comment la crise refonde la relation acheteur-fournisseur

Crédit photo AURORE DOHY

La politique de RSE “inculquée” aux fournisseurs par leurs donneurs d’ordre soucieux d’éthique sociale a été mise à mal par la crise économique. Echaudés, les grands groupes commencent à remettre en question leurs propres pratiques d’achat.

« Ce qui peut arriver de pire à un acheteur, ce n’est pas de ne pas réussir à faire baisser les prix mais de voir son fournisseur disparaître ! » Président de la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France (CDaf), la fédération professionnelle des acheteurs, Pierre Pelouzet ne plaisante pas : avec la crise économique, nombre de représentants de la profession ont désormais une conscience accrue de ce scénario-catastrophe.

2009 aura été, en effet, une année particulièrement noire pour la sous-traitance : avec un chiffre d’affaires cumulé de 59,99 milliards d’euros, le secteur connaît un repli de 22,25 % par rapport à l’année précédente. Après s’être effondrée à - 3,5 %, la rentabilité des entreprises devrait néanmoins repasser au-dessus de la barre du zéro d’ici à la fin de l’année. De quoi interroger les donneurs d’ordre sur la qualité de leur relation avec leurs sous-traitants et fournisseurs.

L’agonie des sous-traitants

Au cours des mois les plus difficiles, en effet, la criante inégalité des entreprises face aux variations de la conjoncture économique a rapidement focalisé l’attention sur les pratiques des grands groupes, accusés de répercuter leur politique de réduction drastique des coûts sur leurs sous-traitants, jusqu’à l’agonie.

« Certains donneurs d’ordre doivent sortir de la logique contre-productive, où la stratégie se réduit à celle des achats qui elle-même se réduit à la compression des coûts ! Ce cycle infernal n’est tenable ni pour les sous-traitants à court terme, ni pour les donneurs d’ordre à moyen terme. Il mène à la destruction du tissu industriel français et à la délocalisation », martelait déjà Christian Estrosi à l’occasion de la nomination du médiateur de la sous-traitance, Jean-Claude Volot, en avril 2010. Alors qu’il ouvre les Etats généraux de l’industrie six mois plus tard, le ministre en charge de l’Industrie somme les industriels de « réussir le pari de relations gagnant-gagnant entre grands groupes et PME, en privilégiant une logique d’écosystème et de partenariat ».

L’invocation d’une logique de “partenariat” entre les acteurs de la chaîne d’approvisionnement n’est cependant pas nouvelle : voilà déjà quelques années qu’elle ponctue les rapports RSE de nombreux donneurs d’ordre prompts à mettre en avant leurs pratiques d’“achats responsables”. En 2007, une étude de l’Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) menée auprès des fournisseurs(1) faisait déjà état d’un décalage entre un discours dominant sur les relations “gagnant-gagnant” et des rapports commerciaux rudes conduits par des acheteurs pris entre des objectifs contradictoires. « Si les directions achats nous passent des messages forts de partenariat sur le long terme, pour capturer notre potentiel d’innovation et d’amélioration de productivité, les acheteurs sur le terrain nous donnent peu ou pas de visibilité à moyen et long termes », notaient sans ambages les interviewés.

« Les achats responsables ont longtemps consisté, sous l’influence des agences de notation extra-financière, à faire signer des chartes de bonnes pratiques de type pacte mondial à ses fournisseurs dans une logique essentiellement assurantielle, souligne François Fatoux, le délégué général de l’Orse. Pour le fournisseur, tout cela ne signifiant généralement qu’un étage supplémentaire de contraintes et d’obligations décidées unilatéralement. » Un diagnostic partagé par Jan-Erik Starlander, chargé de mission environnement et développement durable à l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI). Fin 2009, elle aussi choisit de réaliser une enquête(2) auprès de 128 sous-traitants. « Ce n’est un secret pour personne que certaines entreprises qui se targuent d’avoir engagé des initiatives pointues en matière de RSE mettent parfois leurs fournisseurs en difficulté du simple fait de ne pas respecter les délais de paiement, souligne Jan-Erik Starlander. Alors même que se généralisent les initiatives des grands groupes pour évaluer leurs fournisseurs en matière de RSE, nous avons opté pour une logique d’évaluation inversée, en demandant aux PME de juger la qualité de leurs relations avec les donneurs d’ordre. »

Il en résulte que, si une très large majorité (72 %) de sous-traitants estiment que les délais de paiement et les traitements administratifs sont effectués dans un délai raisonnable et conforme à la législation, 28 % rencontrent encore des difficultés à ce niveau. Tout aussi préoccupant, il apparaît que les clauses de propriété intellectuelle et de savoir-faire ne sont abordées de manière explicite que dans la moitié des contrats. En outre, à peine un tiers (30 %) des interviewés reconnaissent bénéficier de l’aide de leurs clients en matière de développement économique.

La charrue avant les bœufs ?

A vouloir diffuser à marche forcée des bonnes pratiques de RSE dans leur chaîne d’approvisionnement, les entreprises auraient-elles mis la charrue avant les bœufs ? « C’est probable, remarque Jan-Erik Starlander. La RSE a pu être comprise comme un supplément de mesures d’ordre social et environnemental sur la base d’une relation économique sur laquelle il n’y avait pas à revenir. Il faut désormais que les entreprises veillent également à assurer les fondamentaux de leurs pratiques commerciales. » Bien que particulièrement sévère, le message semble avoir été entendu. Depuis que la filière automobile a mis en place un code de performance et de bonnes pratiques en février 2009, une série de chartes visant à renouer avec l’éthique dans les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants viennent d’être signées ou sont en passe de l’être : charte dans la filière du luxe, charte du CDaf (lire p. 28), charte de l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles (lire p. 27). De son côté, la CGPME a rendu publique en avril dernier une série de préconisations, auxquelles le rapport de Jean-Claude Volot, consacré au sujet et remis à Christian Estrosi le 30 août dernier, ménage une large part.

Prise de conscience

« La crise économique a réellement accéléré la prise de conscience des entreprises, souligne Pierre Pelouzet. Rompant avec le rôle court-termiste et dangereux de coupeurs de coûts, les acheteurs entendent désormais être une interface entre l’interne et l’externe et cherchent à définir les meilleures approches qu’une entreprise doit avoir avec ses fournisseurs. »

« Depuis la loi sur la sous-traitance de 1975, il ne s’était rien passé alors que le déséquilibre de la relation commerciale était connu de tous », souligne de son côté Frédéric Grivot, vice-président de la CGPME en charge de l’industrie. Qui prévient cependant qu’on ne changera pas en quelques mois des décennies de sujétion des fournisseurs.

(1) “Regard critique des fournisseurs sur les politiques achats des grands groupes”, septembre 2007.

(2) La relation client-fournisseur, enquête RSE de l’ACFCI, février 2010.

L’essentiel

1 Les “achats responsables” ont souvent consisté à faire signer des chartes de bonnes pratiques aux fournisseurs dans une logique essentiellement assurantielle.

2 Durant la crise, les pratiques de certains donneurs d’ordre, prompts à répercuter leurs politiques de réduction des coûts sur les sous-traitants, ont été épinglées.

3 Cibles des critiques, les acheteurs se mobilisent pour réinjecter une dose d’éthique dans leurs relations avec la chaîne d’approvisionnement.

Les achats durables, levier pour sortir de la crise ?

→ Publiée en avril 2009, la quatrième édition du “baromètre achats durables” HEC-Ecovadis notait que, malgré la crise, les achats durables étaient désormais considérés comme “critiques” ou “importants” par 90 % des directeurs des achats interrogés. En outre, 37 % des entreprises avaient mis en place une direction ad hoc et 80 % d’entre elles – contre 50 % seulement en 2007 – considéraient avoir atteint leurs objectifs en la matière.

→ « Plus que jamais auparavant, les achats durables sont en passe de devenir une partie du business model que les entreprises vont devoir adopter, commentait de son côté Olivier Bruel, professeur associé du groupe HEC. En plus des dimensions environnementales et sociales, l’accent va devoir être mis sur le plan économique, tant du point de vue de la diminution des coûts d’acquisition que du soutien économique des fournisseurs fragilisés. »

Auteur

  • AURORE DOHY