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« Le travail du dimanche fragilise les salariés les plus vulnérables »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 05.10.2010 | CHRISTELLE FLEURY

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« Le travail du dimanche fragilise les salariés les plus vulnérables »

Crédit photo CHRISTELLE FLEURY

Le principe du repos dominical remonte à loin : d’abord religieux, il est devenu un fait social. Il vient d’être remis en cause par la loi du 10 août 2009, or le travail du dimanche “volontaire” place le salarié seul face à l’employeur.

E & C : D’où provient l’idée du dimanche chômé et comment a-t-elle évolué ?

Daniel Perron : A la base, il s’agit d’imposer le dogme chrétien comme modèle de société, en consacrant le premier jour de la semaine à la mémoire de la résurrection du Christ. Puis les autorités politiques décident à leur tour de s’appuyer sur ce fondement religieux pour asseoir leur pouvoir au cours des siècles : l’empereur Constantin est le premier à avoir édicté une loi en la matière, et les rois de France la réaffirmeront sans cesse par la suite. Depuis, la généralisation du repos dominical a fait l’objet d’une lutte constante. Religieuse d’abord, contre le paganisme à partir du Ve siècle ; puis surtout contre les intérêts des marchands, qui, au sein des corporations déjà, cherchaient à obtenir des dérogations pour pouvoir travailler le dimanche.

La loi du 13 juillet 1906 a achevé de laïciser la règle du repos dominical, en lui ôtant toute référence religieuse et en l’entérinant comme fait culturel et social.

E & C : Mais cette règle ne va-t-elle pas à l’encontre de la liberté individuelle de travailler quand on le souhaite et autant qu’on le souhaite ?

D. P. : D’une part, il faut un temps de repos à la société pour qu’elle vive en commun. On ne peut pas à la fois se plaindre des conséquences de la déstructuration de la famille et, en même temps, casser un modèle qui permet les réunions familiales. De plus, d’un point de vue pratique, comment s’organiser pour la garde des enfants ou pour les jours d’école si chacun – parents comme professeurs – choisit le jour de repos qui l’arrange ? D’autre part, Richard Mallié, le rapporteur de la loi du 10 août 2009 sur le repos dominical, considère que permettre aux personnes de travailler le dimanche si elles le souhaitent est un atout, notamment pour les femmes divorcées, car elles n’ont pas la garde des enfants tous les week-ends et qu’elles ont besoin d’argent. Mais cela signifie aussi mettre ces personnes, parmi les plus vulnérables, à la merci de l’employeur. Enfin, cela revient à considérer l’être humain uniquement sous son aspect marchand : consommateur ou travailleur. La remise en cause du repos dominical est le symbole de la mercantilisation absolue de la société : l’idée que ce qui guide les actes de chaque personne est l’appât du gain et non le vivre en commun. Cette utopie mortifère marque l’abandon du modèle social issu du Conseil national de la Résistance. Mais il y a une vraie résistance à ce sujet, et la droite elle-même est divisée : les citoyens sont certes prêts à consommer le dimanche… mais pas pour autant à travailler ce jour-là !

E & C : Pourtant, le travail du dimanche pourrait présenter des avantages économiques pour les commerçants…

D. P. : Aucune étude n’a démontré les bienfaits économiques du travail dominical. Ce que l’on dépense le dimanche, on peut le dépenser un autre jour. Regardez les suites de l’amendement d’Isabelle Debré à la loi sur le développement de la concurrence au service des consommateurs du 3 janvier 2008, qui a autorisé les magasins de meubles à ouvrir tous les dimanches : peu l’ont fait, et il y a même eu des accords entre certains d’entre eux pour ne pas ouvrir ce jour-là dans certaines régions. Car ouvrir le dimanche représente un coût. Or si l’un d’entre eux le fait, les autres doivent suivre. En fait, on peut considérer que le travail du dimanche est d’abord un problème pour les travailleurs indépendants, qui ne sont pas rattachés au droit du travail et se retrouvent donc complètement isolés face à la possibilité d’ouvrir ce jour-là : soit ils ouvrent comme les autres, soit ils meurent. Le travail du dimanche tue donc le petit commerce et la concurrence, allant à l’encontre de la loi de 1906, qui avait pour objectif de la réguler.

E & C : Et qu’en est-il pour les salariés et les entreprises ?

D. P. : Permettre le travail dominical “volontaire”, c’est nous ramener à une pensée très libérale qui laisse le salarié seul face à l’employeur. On a justement créé le droit du travail car on estimait que le contrat de travail mettait en relation deux parties qui ne sont pas d’égale puissance. Aujourd’hui, l’évolution qui sous-tend la loi d’août 2009 « réaffirmant le principe du repos dominical » – c’est son titre ; mais quel besoin de le réaffirmer si ce n’est pour mieux le démanteler ? – part du principe contraire en posant l’égalité entre employeur et salarié. Pourtant, le candidat n’est évidemment pas libre, au moment du recrutement, de refuser de travailler le dimanche si on le lui propose.

Par ailleurs, cette loi ne permet pas forcément au salarié de gagner plus : en effet, dans un Puce (1), le salarié qui accepte de travailler le dimanche n’est payé double que s’il n’y a pas d’accord collectif… Et lorsqu’il existe, il peut être signé au rabais par un syndicat. Quant au travail du dimanche dans les zones touristiques, la loi ne prévoit aucune obligation pour améliorer les rémunérations. On peut donc en conclure que la loi de 2009 crée des inégalités entre les travailleurs dominicaux en fonction de la zone où ils travaillent. Il est inquiétant qu’une telle situation inégalitaire entre les salariés ait pu être avalisée par le Conseil constitutionnel.

Quant aux entreprises, l’individualisation des rapports et l’augmentation de la flexibilité du travail peuvent certes leur apporter de la souplesse et des gains à court terme. Mais elles isolent le salarié et sont source d’un mal-être énorme au travail ! A long terme, la désimplication et donc la perte de productivité en sont les conséquences inévitables.

(1) Périmètre d’usage de consommation exceptionnel.

(2) Décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009.

PARCOURS

• Daniel Perron est docteur en droit, spécialiste d’histoire du droit, enseignant en droit de l’entreprise agricole à Paris 1 et en droit du travail à Rennes 1.

• Il est actuellement conseiller parlementaire du groupe socialiste à l’Assemblée nationale sur les thèmes de l’agriculture, du commerce, de la consommation, de la distribution et des PME.

• Il est l’auteur d’Histoire du repos dominical. Un jour pour faire société (L’Harmattan, 2010).

LECTURES

• L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Alain Supiot, Seuil, 2010.

• Accélération. Une critique sociale du temps, Hartmut Rosa, La Découverte, 2010.

• Les Désordres du travail, Philippe Askenazy, Seuil, 2004.

Auteur

  • CHRISTELLE FLEURY