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Handicapés émotionnels

Enjeux | Chronique de Meryem Le Saget | publié le : 05.10.2010 |

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Handicapés émotionnels

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Il aime les analyses rigoureuses et les raisonnements cartésiens. “Il” est un homme ou une femme, précisons-le. Dans son monde, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et, puisque c’est bien pensé, c’est proche de la vérité. Il aime avoir raison. Non par besoin de supériorité, vous dira-t-il, mais parce que la validité de ce qu’il dit lui semble évidente. Dans les réunions, qu’il soit manager ou contributeur, il n’aime pas les remarques vagues, les ressentis, les intuitions. Trop subjectif à son avis. Il craint les personnes qui réagissent vivement, spontanément, sans recul. Du recul, il en a toujours, presque toujours.

Il regarde avec pitié ceux qui ne savent pas se contrôler. Il sourit devant les “coups de cœur” de certains collaborateurs, leur envie de croire à un projet par enthousiasme ou par passion. L’émotion n’est pas bonne conseillère, vous rappelle-t-il. L’entreprise a besoin de faits, d’analyses étayées, pas d’enfantillages traduisant l’immaturité d’une personnalité. Quand on lui demande ce qu’il ressent face à une situation, il vous répond ce qu’il pense.

En fait, il vit dans un monde où le mental règne en maître et il semble heureux ainsi. Son corps est coupé de ses émotions, il est même incapable d’y accéder, mais cela ne le gêne pas. Aucune situation ne semble le déstabiliser. Il se vante d’être un animal à sang froid. Il peut pourtant faire preuve d’une colère sourde, froide ou violente, mais le mental (en furie cette fois) semble encore à la barre. Est-il différent ailleurs, plus spontané en famille, plus généreux avec d’autres ? Pas sûr, car il ne connaît pas forcément d’autres registres, à l’image d’un pianiste qui ne saurait utiliser que la partie grave des notes du clavier.

Face à lui, à l’autre extrême du spectre, se trouve son complémentaire, l’individu en fréquent débordement des sentiments, une autre forme de handicap émotionnel. Celui-là (ou celle-là) laisse transparaître facilement ce qu’il ressent : tout le monde profite de ses humeurs, ses joies, ses contrariétés, ses opinions tranchées. Les jours “avec”, c’est formidablement sympathique, les jours “sans”, chacun subit ses “coups de gueule” et doit absorber tout le stress. Même s’il ne ressemble pas à l’hypercérébral, celui qui vit dans l’émotionnel exacerbé est handicapé également : il ne joue que sur la partie aiguë des touches du piano.

Aucun des deux personnages ne réalise les effets de son comportement sur autrui. Pour l’entourage, pourtant, c’est épuisant. Devant l’hypercérébral, les collaborateurs se contrôlent à leur tour en se tronquant d’une partie d’eux-mêmes pour ne laisser passer que les approches acceptées. Avec celui qui alterne gentillesse, enthousiasme, humeur taciturne et coup de colère, les personnes n’arrivent plus à travailler. Elles sont constamment en train de réguler l’atmosphère ambiante pour tenter d’y retrouver un peu de sérénité.

“Rien de trop” figurait comme maxime essentielle sur le temple de Delphes, au côté de “Connais-toi toi-même”. On l’a peut-être oublié.

Meryem Le Saget est conseil en entreprise à Paris. <www.lesaget.com>