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« Il faut mettre fin au marché du travail à deux vitesses »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 28.09.2010 | VIOLETTE QUEUNIET

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« Il faut mettre fin au marché du travail à deux vitesses »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Mettre en œuvre un emploi responsable qui concilie flexibilité et sécurité est nécessaire pour sortir de la crise. Les entreprises et les pouvoirs publics doivent y travailler. Cela suppose que les emplois courts et les emplois durables génèrent les mêmes droits.

E & C : Dans votre livre Plaidoyer pour un emploi responsable, vous prônez la flexisécurité qui devrait, dites-vous, « constituer notre réalité ». Pourquoi ?

Françoise Gri : On a en France une vision très manichéenne du marché du travail, qui oppose d’un côté les emplois dits durables – les CDI que tout le monde recherche –, et de l’autre les emplois courts. Une hiérarchie s’est créée au détriment des emplois courts, qui dévalorise ceux qui les détiennent. Le dogme, c’est le CDI, mais il génère de l’exclusion alors qu’il prétend protéger les salariés. Le marché du travail ne peut pas être un marché figé où toutes les personnes sont à vie sur des contrats à durée indéterminée. Les entreprises vivent, connaissent des hauts et des bas et des évolutions de métiers qui entraînent des évolutions de compétences. La flexibilité est donc nécessaire, avec, pour les collaborateurs, des passages par des contrats courts, des contrats longs, des statuts différents, des parcours professionnels variés qui correspondent aux variations de l’économie. Mais il faut aussi organiser cette flexibilité de façon à ce qu’elle soit protectrice.

E & C : Vous estimez que les chefs d’entreprise ont une responsabilité dans la mise en œuvre de cette flexisécurité ?

F. G. : Je considère que les entreprises ont une responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de leurs collaborateurs, qu’ils soient en contrat long ou en contrat court. Elles doivent faire en sorte qu’un collaborateur ait une employabilité à la sortie de son contrat au moins équivalente à celle qu’il avait à l’entrée, l’idéal étant qu’elle soit supérieure. Car c’est ce qui va garantir les conditions de l’emploi suivant et de la progression dans le parcours professionnel. L’essentiel de cette responsabilité tourne autour de la gestion des compétences. Informer les collaborateurs sur les parcours de compétences, faire en sorte de favoriser l’accès à la formation de tous doit être la mission première de l’entreprise.

E & C : Que mettent en place Manpower et, plus largement, la branche du travail temporaire pour favoriser l’employabilité des intérimaires ?

F. G. : Nous tous, acteurs du travail temporaire, travaillons beaucoup sur l’accès à la formation qui va favoriser l’employabilité. Nos fonds de formation sont fongibles au niveau de la branche, le droit à la formation fait l’objet d’une portabilité. Un intérimaire qui a travaillé dans diverses enseignes a accès à la formation et, par définition, cet accès à la formation est lié à l’emploi suivant. Tout l’enjeu consiste à enchaîner les missions et à faire que quelqu’un utilise la formation qu’il vient de faire pour obtenir une nouvelle mission. Cela fait partie de notre quotidien mais nous avons encore des progrès à faire pour formaliser cela dans des parcours professionnels. C’est donc un sujet sur lequel nous allons travailler, notamment à travers la notion de passeport de compétences.

E & C : Quel soutien attendez-vous de la part des pouvoirs publics pour promouvoir l’emploi responsable ?

F. G. : Pour l’instant, on doit bien constater une espèce de statu quo sur le sujet. Tout le monde est d’accord pour dire que l’emploi à vie n’existe pas, que le CDI ne peut être le mode exclusif d’emploi et qu’il faut mettre en place un accompagnement des parcours professionnels. Mais il y a loin de la parole aux actes. J’en veux pour preuve la création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Certes, sa création va dans le bon sens puisque son objectif est d’affecter des sommes – prélevées sur les budgets formation des entreprises – à l’accompagnement des reconversions et à l’accès à l’emploi. Mais les dispositifs mis en œuvre par le FPSPP excluent, dans la plupart des cas, les contrats courts (moins de six mois). On retrouve donc les schémas dogmatiques habituels, qui opposent contrats longs et contrats courts. C’est oublier le rôle de passage vers un emploi durable que joue l’intérim : avant la crise, nous gardions au maximum neuf mois nos intérimaires car ils enchaînaient sur des contrats dans les entreprises.

E & C : Vous avez signé en septembre 2009, avec plusieurs chefs d’entreprise*, une tribune intitulée “Utilisons la crise pour repenser l’entreprise”, dans laquelle vous appeliez à une mobilisation des décideurs autour d’une refondation de l’entreprise, afin qu’ils adoptent une vision à long terme et repensent l’entreprise comme un des moteurs du progrès social. Pourquoi cet appel et quelles en ont été les suites ?

F. G. : A un moment critique pour l’économie, qui a mis sur le devant de la scène des patrons « voyous » et des entreprises mobilisées uniquement sur les résultats de très court terme, nous avons voulu montrer qu’il existait un autre modèle. La plupart des patrons ne sont pas des cyniques et ont une vision à moyen et long termes de leur entreprise. Il existe beaucoup d’entreprises qui, cotées ou non, arrivent à convaincre leurs actionnaires, les investisseurs, les différentes parties prenantes, que l’on peut travailler sur le long terme. Des marges de manœuvre existent et nous avons voulu l’affirmer avec cet appel. Depuis, nous avons été rejoints par d’autres entrepreneurs – nous sommes une quinzaine aujourd’hui –, nous avons partagé nos réflexions sur l’entreprise durable et avons formalisé ces idées. Un ouvrage qui rend compte de nos convictions devrait paraître avant fin 2010. L’objectif n’est pas de donner des leçons mais de créer un effet d’entraînement, de mettre de l’énergie positive dans un marché du travail encore très grippé.

* Les dirigeants de Rhodia, Priceminister, Accenture France, Toshiba Systèmes France, Planet Finance, Europ Assistance Holding.

PARCOURS

• Françoise Gri est présidente de Manpower France depuis 2007.

• Ingénieure en informatique, elle a effectué une grande partie de sa carrière chez IBM France dont elle a été présidente.

• Elle a publié, en collaboration avec Le Journal des entreprises, Plaidoyer pour un emploi responsable (Stock, 2010).

• Elle tient un blog consacré aux problématiques du travail et de l’emploi : <www.francoisegri.com>

LECTURES

• La géopolitique de l’émotion, Dominique Moïsi, Flammarion, 2008.

• Womenomics, Avivah Wittenberg-Cox et Alison Maitland, Eyrolles, 2008.

• L’Ecume des jours, Boris Vian, Le Livre de Poche, 1997.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET