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La fonction RH doit-elle faire son aggiornamento ?

L’actualité | publié le : 21.09.2010 | AURORE DOHY

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La fonction RH doit-elle faire son aggiornamento ?

Crédit photo AURORE DOHY

La fonction RH peut-elle encore contribuer à sortir de la crise ? Il lui faudra pour cela se refonder entièrement, préviennent une quinzaine de chercheurs, coauteurs d’un livre événement qui paraît aux Presses de Sciences Po.

Les Presses de Sciences Po publient un recueil de textes intitulé Les ressources humaines pour sortie de crise* à l’occasion des 10 ans du prix du livre RH (lire encadré p. 6). L’ouvrage, en librairie depuis le 16 septembre, réunit les contributions d’une quinzaine de lauréats ou finalistes de ce prix, invités à partager leur vision de la fonction RH aux prises avec la crise économique, et à proposer des portes de sortie.

Apprendre de ses échecs

Des auteurs, parmi lesquels Eric Albert, Norbert Alter, David Courpasson, Bernard Gazier, Nicolas Flamant, Hubert L’Hoste, Jean-Claude Thoenig, portent un jugement sévère à l’égard de la profession. Leur diagnostic est même lancé comme le pavé dans la mare d’une profession qui devrait d’urgence apprendre de ses échecs : non seulement les stratégies des ressources humaines ne se sont pas révélées à la hauteur des enjeux de la crise financière, mais elles ont parfois contribué à aggraver les problèmes rencontrés par les entreprises.

« La quasi-totalité des initiatives des sociétés pour répondre à la crise s’est traduite par des réductions de coûts – baisse des salaires et des avantages sociaux, du temps de travail hebdomadaire pour diminuer la rémunération, et du nombre de salariés. Cette stratégie a provoqué une dégradation de la qualité des services, de la relation clients et de l’innovation : exactement ce qu’il fallait éviter », martèle d’entrée de jeu Jeffrey Pfeffer, professeur à l’université de Stanford.

Comment en est-on arrivé là ? Erigés au rang de business partners du fait de la mondialisation et de la financiarisation des entreprises, les DRH semblent avoir perdu le contact avec le terrain.

« Face à la crise et aux incertitudes qu’elle génère, le premier réflexe des dirigeants est d’accroître leur contrôle sur la situation, souligne Pierre-Eric Tixier, professeur à Sciences Po et coordinateur de l’ouvrage. Ils renforcent les process et recentralisent les décisions au nom de recettes dûment “benchmarkées” d’une entreprise à une autre. »

La théorie contre la pratique

Finalement, le reporting remplace le raisonnement contingent, le discours s’emballe autour de « l’innovation, de l’adaptabilité, de la prise d’initiative », comme le montre Eric Albert. Le théorique l’emporte sur le pratique, et un universel abstrait remplace l’analyse des situations concrètes et fait finalement déni de la réalité, prévient encore Pierre-Eric Tixier. Au grand dam des chercheurs qui partagent le sentiment de ne pas être entendus, cet éloignement du terrain se double d’une insuffisante prise en compte des apports des sciences sociales.

« Ouvrir les fenêtres »

Ressources humaines pour sortie de crise se donne ainsi l’ambition d’injecter dans le débat un ensemble de réflexions à l’intention des DRH et des étudiants en ressources humaines dont la formation est épinglée au passage : « Ce ne sont pas les outils de gestion ou les cours sur le leadership censés former aujourd’hui les futurs managers et les RH qui leur permettront de prendre à bras le corps une question aussi complexe que celle des risques psychosociaux », souligne Pierre-Eric Tixier, qui espère voir l’ouvrage contribuer à « ouvrir les fenêtres ».

Si l’on en croit les sociologues David Courpasson et Jean-Claude Thoenig, il y a urgence, car c’est la légitimité même de la profession qui est en jeu. Dépossédée des fonctions centrales que sont la paie, le recrutement, la formation et la mobilité au profit de cabinets extérieurs qui ont eux-mêmes « recours à des procédures et à des critères impersonnels passe-partout, ce au nom de prétendues bonnes pratiques », la fonction RH a incontestablement du plomb dans l’aile.

« La souffrance et sa réparation seront-elles le prochain volet sous-traité ? Les RH deviendront-elles de simples services achat ? » s’interrogent les deux chercheurs, respectivement professeur à l’EM Lyon et directeur de recherche au CNRS.

Non, risque de son côté Bénédicte Vidaillet, maître de conférence à l’université Lille 1. Pas si elle assume enfin un « point de pouvoir », qui est « d’assurer les fondements de ce qui permet l’organisation. » « Si la fonction RH se préoccupe vraiment des hommes et des femmes qui travaillent dans l’organisation, elle doit prendre au sérieux la nécessité humaine d’évoluer dans un cadre symbolique qui permette une construction identitaire suffisamment stable », souligne Bénédicte Vidaillet, qui en appelle à un véritable aggiornamento de la part d’une profession qui a longtemps « relayé sans recul un discours managérial valorisant systématiquement le changement, les réorganisations, la flexibilité, la mobilité, la polyvalence. »

« En encourageant les pratiques d’individualisation, la fonction RH s’est peu préoccupée de ce qui fait aussi la structure, à savoir ce qui permet aux liens de se créer et de perdurer. La recherche systématique de stimulation individuelle dans une vision simpliste de la motivation humaine a occulté un autre volet, pourtant essentiel, concernant le cadre dans lequel peut se développer le désir de travail », poursuit le maître de conférence. L’enjeu est de taille, car qui d’autre pourra ainsi « connaître et rappeler la nécessité de prendre en compte les limites de l’humain, quand d’autres fonctions – production, finances, informatique – ne sont pas confrontées à la finitude et peuvent rester dans l’illusion de l’absence de limites ? »

* Sous la direction de Pierre-Eric Tixier, Presses de Sciences Po, 232 pages, 22 euros.

Le prix du livre RH

→ Pour la dixième année consécutive, le Syntec Conseil en recrutement, Sciences Po et Le Monde remettront, le 28 septembre, le prix du livre RH. Les nominés 2010 sont : Donner et prendre, N. Alter (La Découverte) ; Entre famille et travail, sous la direction d’A. Pailhé et A. Solaz (La Découverte); Gestion du changement, F. Pichault (De Boeck) ; Le management des ressources humaines dans la grande distribution, coordonné par C. Vignon (Vuibert).

Auteur

  • AURORE DOHY