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Les DRH veulent garder le contrôle

Enquête | publié le : 21.09.2010 | EMMANUEL FRANCK

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Les DRH veulent garder le contrôle

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Souvent présentée comme la panacée, l’externalisation de pans entiers de la fonction RH comporte en fait de nombreuses limites qu’il faut prendre en compte : perte de compétences, délitement de la relation employeur-salarié, surcoûts cachés, dysfonctionnements…

Ryan Bingham est un consultant qui voyage aux quatre coins des Etats-Unis pour faire le sale travail à la place des employeurs : annoncer aux salariés qu’ils sont licenciés. Ryan Bingham est reconnu pour son savoir-faire : très peu de salariés qu’il a licenciés se suicident. Ryan Bingham est un personnage de fiction joué par George Clooney dans le film In the air, et il le restera sans doute longtemps, en tout cas en France, où l’on voit mal un employeur se défausser ainsi sur un consultant. « En Grande-Bretagne, la fonction RH peut être plus facilement déléguée à des consultants qui interviennent dans les entreprises comme s’ils étaient les employeurs », constate Stéphanie Stein, avocate en droit du travail associée au cabinet Eversheds. Il lui arrive ainsi que son interlocuteur soit non pas son client anglais, mais un consultant. L’entreprise sans DRH : impensable en France.

Contrairement à ce que laissent entendre certains prestataires, l’externalisation des RH n’est ni automatique, ni inéluctable, ni totale. Ainsi, ce n’est pas dans l’Hexagone que les entreprises signent de gros contrats de business process outsourcing(BPO) aux termes desquels elles externalisent la totalité d’un processus RH à un prestataire pendant plusieurs années. IBM propose le managed business process outsourcing (MBPO), une prestation d’externalisation des processus RH basée sur la délocalisation dans cinq grands centres de services RH, et qui va au-delà de l’hébergement des systèmes d’information RH et de la tierce maintenance applicative. Mais, comme l’admet Claude Lhoste, directeur de l’activité MBPO chez IBM France, « la France connaît un retard dans l’adoption de ce type d’approche, même s’il n’y a pas d’obstacles fondamentaux » (lire p. 29).

Une offre complète de services

L’externalisateur de paie ADP dispose d’une offre BPO nommée managed services, dans laquelle « nous essayons de tout prendre en charge, dans la limite de ce qui fait sens, explique Thomas Chardin, directeur marketing en charge des offres RH d’ADP. Il y a quelques années, nous proposions de prendre en charge la relation avec les salariés qui se posent des questions sur leur paie, mais il n’y a pas de demande pour ce type de service en France ».

Cegedim SRH confirme. L’externalisateur pour la gestion de la paie et des RH propose teams RH, comportant quatre niveaux de services dont le plus complet va jusqu’à prendre en charge la relation avec les organismes tiers et avec les salariés. Deux prestations qui « ne sont pas encore intégrées par nos clients », admet Valérie Dormeau-Ralli, directrice marketing de Cegedim SRH.

Des avantages multiples

L’éditeur Sopra, qui a l’ambition de proposer un continuum de services sur la GRH, la paie et la gestion des temps, a élargi son offre jusqu’à la saisie et au contrôle des informations, la préparation des déclarations légales, l’assistance au contrôle Urssaf, mais apparemment sans aller jusqu’à faire l’interface avec le salarié. « En 2009-2010, dans un appel d’offres sur trois, l’entreprise nous demandait de détailler notre solution d’externalisation. A l’arrivée, une entreprise sur dix signe pour l’externalisation », indique Véronique Montamat, directrice du marketing de Sopra Group. S’il existe bien une offre d’externalisation poussée de la fonction RH, celle-ci est en fait en avance sur la demande.

L’externalisation dispose de multiples avantages : économies, harmonisation des procédures (lire p. 28), sécurité juridique, sécurisation des ressources (lorsqu’un responsable paie part à la retraite, par exemple), recentrage de la DRH sur des tâches à valeur ajoutée, flexibilité (lire p. 26). Mais elle a aussi ses limites. D’abord, l’externalisation totale, même pour des tâches très administratives comme la paie, est impossible. « Même avec la meilleure volonté du monde, un prestataire spécialisé ne pourrait pas réaliser l’ensemble des tâches liées à la gestion de la paie […]. D’une part, parce qu’une partie de ces tâches sont, en pratique, réalisées par l’entreprise elle-même, comme la collecte des informations nécessaires à l’établissement du bulletin […]. D’autre part, parce que le prestataire ne peut pas juridiquement se substituer au rôle d’employeur de l’entreprise externalisatrice », écrit ainsi Thomas Chardin, dans Externalisation RH. Guide pratique et questions clé*, un ouvrage dans lequel il consacre plusieurs pages au mythe de l’externalisation totale.

En outre, l’externalisation est, selon lui, limitée par des considérations d’efficacité : « Quand cela demande plus de temps à une entreprise de nous fournir les informations que de faire elle-même les déclarations, cela ne vaut pas la peine d’externaliser. » C’est ce raisonnement qui a conduit le cabinet de conseil Marsh à rapatrier une partie de la gestion de sa paie, qu’il avait confiée à ADP (lire ci-contre).

Privilégier une approche progressive

Car l’externalisation n’est pas, en soi, génératrice d’économies : les gains dépendent notamment de l’organisation de départ de l’entreprise externalisatrice. Plus l’organisation de cette dernière laisse à désirer, plus les gains sont potentiellement importants. D’un autre côté, « il est préférable de régler ses problèmes en interne avant de les confier à un prestataire », rappelle Dominique Raviart, responsable de recherche chez Nelsonhall, cabinet de conseil spécialisé en BPO. En outre, « il est risqué de cumuler transformation des fonctions et des processus avec refonte de l’informatique sous-jacente et délocalisation à bas coûts », ajoute-t-il avant de préconiser une « approche progressive ».

Sans compter que l’externalisation n’a pas bonne presse en France, où elle génère souvent des tensions sociales. C’est la raison pour laquelle les DRH lui préfèrent la mutualisation dans des centres de services partagés RH (CSP RH) (lire Entreprise & Carrières n° 1004).

Enfin, il existe une « limite morale » fixée par le DRH lui-même, « lorsqu’il estime que telle ou telle tâche lui revient », explique Thomas Chardin. Ainsi, l’Association des foyers de province a sciemment décidé de ne sortir qu’une partie de la gestion de sa paie, car elle estime qu’elle doit conserver une expertise suffisante pour répondre aux questions des salariés (lire p. 25).

De fait, la relation avec le salarié est le domaine que les DRH peuvent ou veulent le moins externaliser. Et ce d’autant que l’entreprise est complexe socialement, comme la Comédie française (lire p. 27). Ryan Bingham n’y aurait pas été bien accueilli.

* Avec Patrick Bouvard, éditions d’Organisation, 2008.

L’essentiel

1 Les prestataires de systèmes d’informations RH disposent maintenant d’une offre qui permet d’externaliser presque totalement la fonction RH.

2 Les entreprises françaises ne se risquent pas à franchir le pas.

3 Si l’externalisation présente de multiples avantages économiques et organisationnels, elle a aussi ses limites.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK