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Les conditions de travail en question

Enquête | publié le : 14.09.2010 | VIRGINIE LEBLANC

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Les conditions de travail en question

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

L’absentéisme augmente depuis quelques années en France, et la crise n’a pas affaibli cette tendance, au contraire. Symptôme de démotivation des salariés, le sujet demeure tabou pour les DRH. Pourtant, au-delà des moyens répressifs, les experts mettent en avant l’intérêt de solutions liées à l’organisation du travail et au dialogue entre managers et collaborateurs.

Le baromètre d’Alma Consulting a donné la tendance au début de cette année : l’absentéisme est à la hausse. Dans son enquête réalisée auprès des DRH de près de 200 entités publiques et privées représentant 410 284 collaborateurs, le taux national s’élève à 4,85 %, soit 17,8 jours d’absence en moyenne par salarié en 2009 et une augmentation de plus d’un point par rapport à l’année précédente (3,69 %).

Si les pathologies liées à l’absentéisme sont diverses – TMS, traumatismes suite à des accidents du travail, dépressions – les principaux facteurs avancés dans l’étude sont d’ordre psychologique : la démotivation des salariés (25 %) ; la faible implication dans le travail (22 %) ; le faible sentiment d’appartenance à l’organisation (13 %), les problèmes relationnels avec la hiérarchie ou les collègues (11 %), et le manque d’attention de l’encadrement aux problématiques RH (9 %). Ambiance !

Démobilisation des salariés

En outre, la crise, au lieu d’atténuer le phénomène, l’a renforcé. « En période de crise, nous nous attendions à ce que le taux baisse, reconnaît Yannick Jarlaud, directeur du pôle social d’Alma Consulting. C’est l’inverse, ce qui illustre la démobilisation des salariés. » Denis Monneuse, consultant en ressources humaines au sein de l’institut Entreprise & Personnel, évoque également le mécontentement des salariés, le difficile retour à un rythme normal de travail après les périodes de chômage partiel et la grippe H1N1 (lire l’entretien p. 29). Sans compter des jeunes qui sont moins loyaux vis-à-vis de l’entreprise, selon Pascal Gallois, consultant en management social, associé de Pactes Conseil(1).

« Le rôle des conditions de travail est fondamental, plaide Thierry Rousseau, chargé de mission à l’Anact, dans un guide sur le sujet(2). Dans ce sens, l’absentéisme caractérise toute absence qui aurait pu être évitée par une prévention suffisamment précoce des facteurs de dégradation des conditions de travail au sens large. » Il serait donc davantage pertinent d’exclure de l’indicateur d’absentéisme les congés maternité, les congés légaux et congés de formation par exemple, pour se concentrer sur les arrêts maladies, les accidents de travail et de trajet, les maladies professionnelles et les absences injustifiées.

Problèmes de stress

Le taux d’absentéisme, selon Thierry Rousseau, est bien l’indicateur de dysfonctionnements divers liés à la santé, à l’engagement et à la difficulté de concilier travail et vie privée. « Il faut agir sur l’absentéisme dysfonctionnel, abonde Pascal Gallois. Dans cette zone, il y a notamment celui dû à des problèmes de stress et à la démotivation des salariés dont on valorise peu la présence », observe-t-il. Plus de 50 % des journées de travail perdues dans l’Union européenne le sont à cause du stress. Et les entreprises devraient être incitées à agir face au coût de l’absentéisme : selon nombre d’experts, 1 % d’absentéisme absorberait 1 % de la masse salariale. Même si, pour Guillaume Pertinant, consultant et formateur en RH au sein d’Havasu Consulting, « ce n’est pas très précis ». Le coût dépend en effet de la façon dont l’entreprise gère la subrogation, de son contrat de prévoyance, du budget de remplacement de la personne absente, de la perte de productivité et de qualité, ou encore de la désorganisation engendrée. « La facture de l’absentéisme incluant le coût direct du maintien de salaire peut varier de moins de 1 % à plus de 4 % de la masse salariale, et la partie cachée peut faire tripler la note », constate Yannick Jarlaud.

Selon une étude d’Aon Consulting réalisée en juin dernier auprès de 1 000 personnes en France et 7 500 en Europe, à la question : qu’est-ce qui vous pousserait à diminuer le nombre d’arrêts de travail, sur douze raisons proposées, les salariés français ont répondu : davantage de jours de congés, des incitations financières, davantage de flexibilité dans l’organisation du travail et le temps de travail, et un travail plus intéressant. « Cela illustre bien que 90 % des actions à mener sont liées au management », commente Dominique Mazeau, en charge de l’activité absence management chez Aon consulting France, qui a créé le premier indice européen des arrêts de travail.

Pourtant, les entreprises ont tendance à s’orienter vers des solutions de facilité, maniant la carotte – les incitations financières – et le bâton - les contre-visites médicales (voir graphique ci-contre). « Souvent, les primes de présentéisme sont adossées à l’idée que l’absentéisme serait volontaire, commente Thierry Rousseau. Se pose ensuite la question de leur montant : trop basses, elles n’auront aucun effet, trop hautes, elles risquent de devenir un élément normal de la rémunération. C’est un outil à manier avec la plus grande précaution, qui peut créer un sentiment d’injustice. » Tout comme les contre-visites médicales à la demande des employeurs, dont les entreprises sont friandes (lire Chronopost p. 28 ).

Augmentation des contre-visites

Autorisé depuis 1978, cet outil a connu un regain d’attention dans un contexte de déficit accru de la Sécurité sociale et avec la loi de finances pour 2010, qui a généralisé un dispositif reconnaissant les contre-visites effectuées par des médecins mandatés par les employeurs.

« Le médecin constate que l’arrêt de travail est toujours justifié ou non au jour de la visite : des résultats purement administratifs, qui respectent le secret médical », explique Marie-Stéphane Lelaurin, dirigeante de Securex, le pionnier du marché de la contre-visite médicale. La responsable se défend d’une vision purement répressive des arrêts : « Ces contrôles ont une dimension dissuasive ou préventive si l’employeur rappelle les règles du jeu, explique-t-elle. Il existe des contrôles ponctuels pour éclaircir une situation douteuse. Et d’autres systématiques, par exemple, pendant une période à risques, comme celle des congés scolaires pendant lesquels l’absentéisme est souvent multiplié par deux. » Le seul effet dissuasif de l’annonce d’un contrôle systématique peut jouer. Securex cite le cas d’une collectivité qui avait annoncé ce type de mesure : son taux d’absentéisme de 12 % a chuté à 8 %, avant même le début des contrôles.

Par ailleurs, comme l’ensemble des experts, Marie-Stéphane Lelaurin reconnaît que très peu de salariés sont des « profiteurs ». Sur près de 40 000 visites effectuées en 2009, 57,5 % des arrêts étaient justifiés pour raisons médicales, 30 % dressaient un constat d’absence du domicile, les constats d’arrêts qui n’étaient plus médicalement justifiés s’élevant à environ 6 %.

Plébiscités pour leur efficacité, « les entretiens de retour ou de ré-accueil sont des solutions qui fonctionnent bien », affirme Pascal Gallois (lire Scania et Piscines Waterair p. 26 et 27). « Un vrai dialogue s’instaure entre le collaborateur et le manager », qui doit savoir lui dire combien son absence a été remarquée, valoriser son rôle, sans le culpabiliser. Une démarche louable, mais qui peut devenir problématique en cas de conflit ouvert entre les deux parties. « Dans les pays anglo-saxons, il existe des médiateurs externes, rapporte-t-il. Il faudrait que le manager puisse faire appel à un relais en entreprise lorsque la relation est trop dégradée. »

Promotion de la santé globale

D’autres initiatives sont centrées sur la promotion de la santé globale des salariés. En France, l’Ipsec, institution de prévoyance créée par la Caisse des dépôts, travaille depuis plus de cinq ans avec Solareh, une entreprise canadienne spécialisée dans la prévention de l’absentéisme au travail, l’accompagnement psychosocial et professionnel des personnes en arrêt de travail de courte et longue durée. Elle vient de lancer une offre “mieux-être au travail”, bâtie autour d’un accompagnement du salarié en arrêt et des managers, mais également autour de démarches préventives, en fonction des résultats d’un audit social préalable.

Au Canada, un label Entreprise en santé, que Solareh détient, distingue les entreprises qui promeuvent et intègrent la santé globale des salariés dans leur mode de gestion. « Les entreprises sont évaluées sur quatre sphères d’intervention », explique Dominique Héraudet, directrice des services professionnels de Solareh : habitudes de vie, pratiques de gestion (communication, reconnaissance, autonomie), équilibre vie privée/travail, environnement de travail. Initiative opérationnelle depuis mars 2009, elle a, par exemple, permis à l’entreprise Visa Desjardins (900 personnes), sur trois ans, de diminuer son absentéisme de 28 %, et de 26 % le sentiment de déprime. De quoi faire rêver certains DRH de l’Hexagone.

(1) Auteur de L’absentéisme, comprendre pour agir, éditions Liaisons, 2009.

(2) Coordonnateur de la publication de l’Anact, L’absentéisme, outils et méthodes pour agir, juillet 2009.

l’essentiel

1 Le taux d’absentéisme se situerait autour de 5 % en France dans le secteur privé. Mais il n’est pas partout défini de la même façon.

2 Les contre-visites médicales ont le vent en poupe.

Elles ont un effet dissuasif, même si les absences abusives sont considérées comme mineures.

3 Les entretiens de retour et l’introduction de changements dans l’organisation du travail sont les solutions jugées les plus pertinentes par les experts.

Arrêts de travail : inflation des contrôles

→ Le contrôle des arrêts de travail par la Cnam s’est fortement accru ces dernières années : près de 2,4 millions en 2009, contre 1,5 million en 2008 ; 900 000 en 2007 et 700 000 en 2006.

→ En 2008, sur 285 000 contrôles réalisés par les services de la Cnam, pour des arrêts de travail de courte durée ciblés sur les salariés ayant des arrêts fréquents ou répétés, 13 % se sont révélés injustifiés.

→ Sur 1,2 million de contrôles des arrêts de plus de 45 jours (systématiquement contrôlés), 10 % ont recueilli un avis défavorable des médecins contrôleurs.

Contrôle des arrêts : le nouveau décret déplaît au Conseil de l’Ordre

→ Selon un décret du 24 août 2010, pour des salariés qui ont fait l’objet, pendant leur arrêt de travail, du contrôle d’un médecin mandaté par leur employeur concluant à l’absence de justification ou faisant état de l’impossibilité de procéder à l’examen de l’assuré, le médecin-conseil de l’assurance maladie peut demander à la caisse de suspendre les indemnités journalières (IJ). Le salarié dispose alors d’un délai de dix jours francs à compter de la notification de la décision de suspension des IJ pour demander à la caisse un examen de sa situation par le médecin-conseil, qui doit se prononcer dans un délai de quatre jours.

→ Le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) émet des réserves sur la parution de ce décret : « L’examen de l’assuré par le médecin-conseil ne serait plus obligatoire, il se bornerait alors à valider l’avis du médecin contrôleur patronal », conteste le Cnom.

→ Une seconde disposition prévoit que, lorsqu’une interruption de travail intervient dans un délai de dix jours francs à compter d’une décision de suspension des indemnités journalières, le versement de ces indemnités est subordonné à un avis du service du contrôle médical. Le Cnom désapprouve aussi cette disposition « susceptible de porter atteinte à la santé du salarié malade qui devra poursuivre son activité dans l’attente de l’avis » et regrette là « une suspicion inacceptable sur la justification médicale de l’arrêt ».

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC