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Bataille de définitions sur la pénibilité

L’actualité | publié le : 07.09.2010 | SARAH DELATTRE

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Bataille de définitions sur la pénibilité

Crédit photo SARAH DELATTRE

La prise en compte de la pénibilité s’est imposée au cœur de la bataille entre le gouvernement et les syndicats sur la réforme des retraites. Ces derniers jugent injuste la mesure d’une incapacité de 20 %, et demandent une prise en compte collective des facteurs d’exposition. Les médecins du travail s’inquiètent du rôle qu’ils pourraient avoir à jouer.

En ce 7 septembre de mobilisation contre la réforme des retraites, dont l’examen commence à l’Assemblée, il est un chiffre qui ne passe décidément pas dans les rangs syndicaux : celui de 20 %. Devenu emblématique de la bagarre engagée entre les organisations de salariés et le gouvernement sur la prise en compte des carrières pénibles, il résume une approche que les syndicats jugent unanimement injuste.

En l’état actuel du projet de réforme, les salariés « qui, du fait d’une situation d’usure professionnelle constatée », souffrent d’une incapacité permanente (reconnue au titre de maladie professionnelle ou d’accident du travail) supérieure ou égale à 20 % pourront encore partir à 60 ans et toucher une pension complète. Ce nouveau dispositif devrait être accordé de manière individuelle, le gouvernement refusant l’approche qui consiste à fixer a priori une liste de métiers ou de classifications professionnelles réputées pénibles. Sujet de fâcherie avec le Medef, le financement devrait être assuré par un versement sur les cotisations patronales de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, déficitaire de 713 millions d’euros en 2009.

« La mesure sera sans effet »

« La proposition du gouvernement est socialement inacceptable et techniquement absurde, commente Henri Forest, secrétaire confédéral CFDT en charge de la santé au travail. Elle ne s’adresse de façon restrictive qu’aux salariés ayant déjà des atteintes à la santé à 60 ans ; la mesure sera sans effet car la plupart des salariés concernés bénéficient déjà d’un dispositif de départ à 60 ans au titre de l’invalidité à 50 % ou de l’inaptitude médicale. Dans le même temps, le gros contingent des victimes de TMS ne pourra pas y prétendre. Le gouvernement renforce les injustices. Et la réforme ne considère pas les salariés exposés à la pénibilité qui ont une espérance de vie réduite en moyenne de 3 à 4 ans à cause des effets différés. » Les syndicats tiennent en effet à une mesure collective des facteurs de pénibilité professionnelle.

« Le projet de réforme ne fait pas référence à l’environnement agressif, aux rythmes de travail, aux efforts physiques et psychiques qui peuvent avoir des effets différés sur la santé, détaille Eric Aubin, en charge du dossier retraites à la CGT. Il faudrait un dispositif pénibilité qui permette de partir avant 60 ans et un autre qui prenne en compte la durée des expositions professionnelles. »

Dispositif trop étroit

Le dispositif jusqu’ici retenu apparaît étroit : une épaule ou une cheville bloquée, ou encore des douleurs fortes du rachis cervical peuvent par exemple constituer une incapacité de 20 % (lire p. 6). Il élimine notamment ceux dont l’incapacité permanente est comprise entre 10 % et 20 % et qui bénéficient pourtant de la loi sur l’emploi des travailleurs handicapés.

Les médecins du travail mettent en garde

Pour le SNPST (syndicat national des professionnels de la santé au travail), qui s’inquiète de la mise en œuvre d’une telle mesure, c’est niet ! Dans un communiqué, l’organisation met en garde le gouvernement : « Si la loi à venir demande aux médecins du travail de statuer individuellement sur le droit au départ en retraite anticipée au titre de la pénibilité », ellle les appellera à refuser d’appliquer le texte. « Nous avons un rôle à jouer dans la prévention de la pénibilité par l’amélioration collective des conditions de travail, mais nous refusons de décider qui doit partir plus tôt », martèle Mireille Chevalier, secrétaire générale.

90 000 départs anticipés par an

Qualifié d’« avancée sociale majeure » par Eric Woerth, ce nouveau droit au départ anticipé devrait concerner, après montée en charge, 10 000 personnes par an, selon les prévisions officielles. En cumulant le dispositif carrières longues réajusté (notamment élargi aux salariés ayant commencé à travailler à 17 ans) et qui pourrait, selon le ministre du Travail, atteindre 90 000 départs par an à l’horizon 2015, le gouvernement estime à 100 000 le nombre de personnes pouvant profiter d’un dispositif anticipé de départ à la retraite, en raison de conditions de travail pénibles. Or en 2009, 30 000 personnes étaient parties en retraite au titre des “carrières longues”, soit trois fois moins que les années précédentes.

Néanmoins, si Eric Woerth reste droit dans ses bottes concernant le recul de l’âge légal de départ à la retraite (de 60 à 62 ans et de 65 à 67 ans pour une retraite sans décote), il a avancé d’un pas sur le volet de la pénibilité : « Nous continuons à travailler sur la question du lien entre l’exposition à certaines catégories de risques professionnels et son impact sur l’espérance de vie en bonne santé », assurait-il à Entreprise & Carrières le 6 juillet dernier. Position renouvelée et précisée dans Le Figaro du 31 août, où le ministre se disait prêt à « regarder s’il n’est pas possible de mieux répondre aux situations de pénibilité à effets différés, c’est-à-dire le cas des salariés qui ont eu une vie professionnelle très usante sans que cela soit médicalement constatable au moment de la retraite ». Même assurance devant les journalistes économiques de l’Ajef, le 2 septembre dernier.

De son côté, l’Elysée a donné son accord de principe au gouvernement pour déposer des amendements au projet lors de l’examen parlementaire.

Aller plus loin sur la pénibilité

« Le gouvernement nous a dit d’aller plus loin sur la pénibilité », a déclaré Denis Jacquat, rapporteur UMP du texte. Le député avance l’idée « d’accords collectifs de branches qui créeraient des dispositifs d’allègement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles ». Les dispositifs seraient financés par un fonds créé par les entreprises à l’intérieur d’une branche. Pour l’heure, quelques entreprises et branches ont pris les devants. C’est le cas chez Arkema et Rhodia, qui prévoient des départs anticipés pour les salariés en travail posté. Même chose chez EADS, alors que la métallurgie met l’accent sur l’aménagement des temps partiels.

Reste aussi, sur le plan de la prévention, à assurer la traçabilité des expositions professionnelles, alors qu’Eric Woerth voudrait les consigner dans un carnet de santé individuel du salarié. Une expérimentation sur ce thème se déroule actuellement dans 5 régions pilotes (lire l’entretien p. 5).

Traçabilité des risques

En attendant, exceptés le document unique et le dossier médical du travail, rien ne permet de garder précisément la trace des risques professionnels auxquels les salariés ont été confrontés au long de leur carrière. Pour sa part, la CFDT plaide « pour une traçabilité assurée par les Carsat (Ex-Cram, NDLR), lesquelles assureraient la conservation des données, transmises par l’employeur avec l’appui du Service de santé au travail, sur le compte retraite du salarié ».

Alors que, sur le sujet, des négociations paritaires de trois ans avaient échoué en 2008, le champ de bataille de la réforme des retraites s’est donc concentré autour des compensations de la pénibilité. Le niveau de mobilisation déterminera la place qu’elles peuvent prendre dans la réforme.

La mesure de l’incapacité professionnelle

→ Le taux d’incapacité permanente est déterminé grâce à un barème indicatif d’invalidité. Il prend en compte la nature de l’infirmité, l’état général, les facultés physiques et mentales de la victime, ses aptitudes et sa qualification professionnelle. A titre d’exemple, une épaule bloquée qui limite les mouvements peut justifier d’une incapacité de 20 %, une cheville bloquée 10 % à 35 %, des douleurs importantes au niveau du rachis cervical 15 % à 30 %, un pouce amputé 35 %.

→ Le médecin conseil de la Caisse d’assurance maladie garde toute latitude de s’écarter de ces moyennes. Selon la Cnam, un maçon de 52 ans, qui souffre d’arthrose et d’une lombosciatique douloureuse après un accident de travail peut, par exemple, se voir attribuer un taux d’incapacité de 20 %.

Auteur

  • SARAH DELATTRE