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« L’ISO 26000 va faire mûrir l’évaluation de la RSE »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 07.09.2010 | LAURENT POILLOT

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« L’ISO 26000 va faire mûrir l’évaluation de la RSE »

Crédit photo LAURENT POILLOT

La responsabilité sociale des entreprises n’est entrée dans les pratiques que depuis dix ans, ce qui explique les différences d’approche ou de maturité sur ce sujet. L’adoption de la norme ISO 26000 va progressivement changer la donne à l’échelle internationale.

E & C : Au printemps, Foxconn a défrayé la chronique à cause d’une série de 11 suicides de salariés en quelques mois. Or ce sous-traitant chinois d’Apple affiche un rapport de 66 pages sur sa politique de RSE. Les auditeurs ont-ils les moyens d’observer les conditions de travail des salariés ?

Jacques Igalens : L’audit social des sous-traitants est très largement sous-dimensionné. Bien souvent, l’audit d’une entreprise chinoise de plusieurs milliers de personnes ne représente que quatre jours pour une équipe de 2 personnes. C’est évidemment insuffisant.

Cependant, ces démarches sont récentes. Elles vont devenir plus sérieuses grâce à la mise en place d’évaluations fiables. Un exemple en France : l’organisme de contrôle américain Fair Labor Association essaie actuellement de s’implanter dans l’Hexagone. S’il y parvient, il permettra d’apporter une opinion indépendante sur les audits sociaux que font les entreprises françaises sur la chaîne de leurs sous-traitants.

Autre point intéressant : on assiste à des regroupements d’entreprises pour mettre en commun leurs audits quand elles partagent les mêmes fournisseurs. De grandes enseignes de la distribution, sous l’égide de la Fédération française du commerce et de la distribution, sont partenaires de l’“initiative clause sociale”, qui leur sert à amortir le coût des audits, tout en agissant plus en profondeur. Ces améliorations sont inévitables, car le consommateur est devenu sensible aux conditions sociales de production des produits qu’il achète.

E & C : Comment mettre en place un reporting fiable ?

J. I. : En se fondant sur les normes existantes, dont la plus répandue est la GRI, Global initiative reporting. Elle a beaucoup de qualités techniques, notamment sur le choix des indicateurs et la progressivité des actions. Cette norme est ambitieuse, mais il ne suffit pas de s’en prévaloir pour être exemplaire. Encore faut-il faire vérifier son rapport par un organisme compétent et indépendant. Dans le cas de Foxconn, l’entreprise s’était “autoévaluée”. Or on voit depuis près de quatre ans de grands cabinets, issus du monde de l’audit, développer des prestations d’attestation de la qualité des rapports.

Dès qu’une entreprise se montre transparente, elle s’expose à des tensions qui créent le mouvement. C’est pourquoi la reddition de comptes est essentielle. En France, l’article 116 de la loi NRE du 15 mai 2001 a imposé aux entreprises cotées de publier des indicateurs. Et le seul fait de devoir publier des résultats avait déclenché des actions d’amélioration.

E & C : Quels acteurs font le mieux respecter la RSE ? Les syndicats, ou les ONG ?

J. I. : Historiquement, ni l’un ni l’autre. Elle a été imposée par le mouvement des consommateurs et des marchés financiers – en pratique, depuis une dizaine d’années. En France, il n’y a toujours pas d’unanimité parmi les syndicats sur son utilité. La CFDT et la CGT sont pour ; d’autres, comme FO, émettent des réserves.

Leurs enjeux plongent leurs racines beaucoup plus loin dans le mouvement social. Prenez les problématiques d’égalité hommes-femmes : les syndicats ouvriers en parlent depuis des décennies, bien avant que la RSE soit d’actualité. La RSE n’est pas sous la pression des syndicats, mais sous celle des marchés financiers, de l’investissement socialement responsable, de l’opinion publique et, je vous l’accorde, des ONG.

E & C : La RSE a parfois un ton incantatoire…

J. I. : Je n’en suis pas sûr. Vous évoquiez l’audit social des fournisseurs et sous-traitants. Personne n’en parlait il y a vingt ans. Les donneurs d’ordres n’étaient pas concernés par le sort des salariés de ces entreprises. Leurs responsabilités élargies – vis-à-vis des bassins d’emploi, de l’environnement, des riverains… – sont un phénomène nouveau.

Certes, il apparaît désordonné. Mais une remise en ordre est attendue, grâce à la publication, à la fin 2010, de la norme ISO 26000. Son final draft a été accepté à Copenhague, fin juin, et fait l’objet d’un vote par tous les pays qui constituent l’ISO. Selon toute vraisemblance, elle sera adoptée. Cette norme, qui est un “principe guide”, non certifiable, va donner les lignes directrices pour que les entreprises adoptent toutes le même langage. Elle arrive à son heure pour produire des effets positifs.

Les textes seront publiés en décembre. Les multinationales soucieuses de leur réputation auront à cœur d’être parmi les premières à l’appliquer dès 2011. Elles mettront en place des processus de gestion conformes à l’esprit de cette norme, qui est très particulière. Par exemple, elle détermine la notion de sphère d’influence, qui n’est ni la chaîne de valeurs, ni la sphère de sous-traitance. Un autre concept est le devoir de vigilance sur les droits de l’homme et le droit du travail.

E & C : Pensez-vous que la RSE puisse être standardisée ?

J. I. : Elle gagnera à mieux définir les principes de reddition de comptes. Car on pourra établir des comparaisons, impossibles jusqu’ici, d’une entreprise à l’autre. Toutes n’en sont pas au même niveau. Certaines font l’inventaire à la Prévert des actions qu’elles accomplissent dans tous les domaines, d’autres quantifient leurs progrès par des mesures monétaires ou non monétaires. D’autres enfin, comme Lafarge, Danone ou Total, commencent à présenter des séries avec des indicateurs qui sont suivis dans le temps, sur des périmètres toujours identiques. La publication d’une norme acceptée va faire progresser les choses.

PARCOURS

• Jacques Igalens, professeur des universités, est responsable du parcours recherche du master management en ressources humaines à l’IAE de Toulouse. Fondateur, en 1989, de l’Association francophone de gestion des ressources humaines (AGRH), ses travaux portent sur la GRH, l’audit social et la responsabilité sociale des entreprises.

• A ce titre, il animera le groupe de réflexion de l’Anvie “Prévention et gestion du risque éthique”, le 28 septembre. <www.anvie.fr>

• Il vient de publier La sûreté éthique (éd. EMS, juin 2010). Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages aux éditions PUF, collection “Que sais-je ?”, sur la RSE et l’audit social.

LECTURES

• The Oxford handbook of corporate social responsibility, Andrew Crane et Abagail McWilliams, Oxford University Press, 2008.

• Corporate social responsibility, José Allouche, Palgrave Macmillan, 2006.

• Social responsibilities of the businessman, Howard R. Bowen, Harper & Brothers, 1953.

Auteur

  • LAURENT POILLOT