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Travail de nuit, travail pénible ?

L’actualité | publié le : 31.08.2010 | LAURENT POILLOT, GUILLAUME LE NAGARD

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Travail de nuit, travail pénible ?

Crédit photo LAURENT POILLOT, GUILLAUME LE NAGARD

La réforme des retraites, contre laquelle les syndicats mobilisent le 7 septembre, est notamment critiquée pour son insuffisante prise en compte de la pénibilité. Les effets du travail de nuit et du travail posté en horaires alternants, qui apparaissent à long terme, seraient par exemple ignorés par le dispositif de constat individuel d’incapacité prévu jusqu’ici. Plusieurs entreprises ont choisi de prendre les devants avec des « préretraites travail posté ».

A quelles concessions le gouvernement est-il prêt pour intégrer la pénibilité dans le dossier de la réforme des retraites ? Jeudi dernier, Nicolas Sarkozy a donné son « accord de principe » pour que des amendements au projet de loi soient présentés lors de son examen à l’Assemblée nationale. Mais sans préciser les pistes susceptibles d’être retenues, notamment sur la pénibilité liée au travail de nuit et au travail posté, pour l’heure hors-champ des mesures prévues, bien que le ministre du Travail Eric Woerth s’était dit prêt au débat avant la trêve estivale.

Dès le 29 août, les anesthésistes du secteur public hospitalier ont entamé une “grève de la pénibilité” illimitée, rejoints par les 9 syndicats de la permanence des soins (pédiatres, urgentistes…). « La prise en charge des patients sera garantie. Cependant, nous voulons être réquisitionnés pour notre travail de nuit, puisqu’il est reconnu qu’il affecte la santé, déclare Nicole Smolski, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHAR-e). La pénibilité du travail de nuit et des horaires alternants est plus sournoise que celle du travail physique et de l’exposition aux CMR (produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), car elle est la plus difficile à mettre en évidence durant la période d’activité. »

Nocivité des horaires de nuit

Selon cette anesthésiste de l’hôpital Lyon Croix-Rousse, « il est établi qu’on jouit d’une moins bonne qualité de vie après la retraite : nous voyons une baisse de l’espérance de vie en bonne santé, par le développement de maladies comme le diabète et le cancer ». Plus de 3,5 millions de personnes travaillent actuellement sur une base régulière en travail posté en horaires alternants ou en horaires de nuit.

Le SNPHAR-e en détaille les conséquences à long terme : troubles du sommeil, stress et troubles nerveux (pouvant entraîner des abus de caféine, nicotine, de somnifères, une dépendance à l’alcool et une toxicomanie), troubles gastro-intestinaux (proportions d’ulcère gastrique et d’ulcère duodénal deux fois supérieures chez les travailleurs de nuit), prise de poids, hypertension artérielle et diabète*.

Ce constat est confirmé par les médecins du travail : « Toutes les études prouvent la nocivité des horaires de nuit, affirme Mireille Chevalier, secrétaire générale du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). On sait par exemple qu’ils augmentent les risques de cancer du sein. Mais on soupçonne aussi d’autres cancers hormonodépendants. S’agissant du travail en trois huit, il est souvent corrélé à une incidence précoce du diabète. »

La réforme « ignore » le travail posté

Beaucoup de pathologies graves ne se déclencheront qu’après la retraite. Problème, les manifestations de la pénibilité autorisant un départ anticipé à l’âge légal de 60 ans au lieu de 62 ans ne concerneraient, selon le projet de loi, que les personnes ayant fait constater un handicap entraînant une incapacité de 20 % mesurée par les médecins de la Sécurité sociale, durant leur vie active. Soit 10 000 personnes parmi 660 000 départs par an, selon les prévisions officielles. Dans un entretien aux Echos cet été, Jean-Christophe Sciberras, DRH de Rhodia, a jugé cette proposition « très loin des attentes », regrettant même que la réforme « ignore » le travail posté.

« On ne peut pas traiter ces questions sans s’attaquer aux causes », s’insurge Jean-François Naton, conseiller confédéral CGT, qui comptait sur un autre projet de loi, celui sur la réforme de la médecine du travail, pour fixer les critères de pénibilité. Il dénonce une « forfaiture » du ministre du Travail : « Il nous avait promis que cette réforme serait examinée dans le cadre du projet de loi sur les retraites. Nous n’avons toujours aucun élément sur ce dossier. »

Ces derniers mois, quelques rares entreprises, dont Arkema, Rhodia et EADS, ont pris les devants et négocié des accords de départ anticipé pour le personnel posté.

Accords dans l’industrie chimique

« Il a fallu un conflit au sein de la branche des industries chimiques, mené par les coordinations CGT de Rhodia et d’Arkema, qui appelaient à un jour de grève par mois dans leurs entreprises respectives, pour que s’ouvrent des négociations », rappelle Bernard Ughetto, le délégué syndical central de cette confédération chez Rhodia, et signataire d’un accord sur le départ anticipé des salariés ayant subi les contraintes du travail posté de nuit (lire encadré p. 5). « L’accord signé est certes loin de nos revendications, commente-t-il. Mais, ce qui est primordial, il prend en compte le facteur d’exposition de façon collective et sans visite médicale. Car l’espérance de vie d’un salarié posté est inférieure de cinq à dix ans à celle de son collègue de jour. » Chez Arkema, un accord-cadre sur la pénibilité du travail a été complété d’un accord spécifique, daté du 21 avril dernier, permettant des départs anticipés. « Notre accord-cadre prévoit, d’une part, de prendre en compte de façon collective le travail posté en horaires alternants comme un facteur de pénibilité et, d’autre part, d’entamer avec les partenaires sociaux une concertation sur l’identification d’autres facteurs de pénibilité, précise Jean-Michel Martin, le directeur rémunérations et organisation. Nous avons privilégié une démarche différente de l’approche individuelle aujourd’hui développée dans la réforme. »

Inspirés des Cats

La logique des accords de Rhodia et d’Arkema est inspirée de celle des Cats. Utilisés dans les années 2000, ces dispositifs publics de préretraites pour travail pénible faisaient référence au travail posté et de nuit, mais avec des critères d’éligibilité et des dispenses bien plus larges que ceux fixés par les deux chimistes. EADS a choisi une voie moyenne, en novembre dernier, avec un accord prévoyant des départs anticipés pour les travailleurs postés, en fonction également d’un taux d’incapacité constaté d’au moins 10 %.

* Selon les études mises en évidence par le SNPHAR-e, la prévalence du diabète est de 2,5 % chez les travailleurs de nuit, pour 0, 9 % chez les travailleurs de jour. Les maladies endocriniennes et métaboliques ont une prévalence de 3, 56 % chez les travailleurs de nuit ; de 1, 5 % chez les travailleurs de jour, et de 2, 8 % chez ceux qui ont arrêté le travail de nuit. La prévalence du diabète augmente de manière linéaire en fonction du nombre d’années de travail de nuit.

Travail de nuit, travail posté

→ Selon le Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la pénibilité au travail du 27 mai 2008, sur 22,95 millions d’emplois salariés recensés en 2006, 3,2 millions de personnes (14 %) occupent une activité régulière ou occasionnelle la nuit et 1,61 million de salariés (7 %) travaillent habituellement la nuit. Ils sont 2,04 millions (9 %) à travailler sur des horaires alternants.

→ Le rapport indique par ailleurs qu’il n’existe pas de statistiques ou d’études épidémiologiques permettant de dénombrer le nombre de travailleurs astreints à un rythme atypique, mais qu’un ordre de grandeur de 20 % est généralement admis.

Rhodia et Arkema ont signé pour des “préretraites travail posté”

→ L’accord de Rhodia du 31 juin 2010 reprend les mêmes principaux éléments que celui de l’accord d’Arkema du 21 avril 2010 sur la cessation anticipée d’activité pour les salariés ayant travaillé en horaire continu ou semi-continu. A un détail près : l’ancienneté postée prise en compte par Rhodia s’applique à toute entreprise dans laquelle son salarié a travaillé. Les deux dispositifs sont fondés sur le volontariat.

→ Public concerné : personnel posté ou anciennement posté.

→ Le salarié choisit d’arrêter son activité professionnelle dans les deux ans avant la date de son départ à la retraite à taux plein. Il touche un revenu de cessation d’activité de fin de carrière, égal à 75 % du dernier salaire.

→ Conditions : être âgé d’au moins 58 ans au 31 décembre 2011 ; avoir occupé pendant 22 années au moins un travail posté continu ou semi-continu, incluant du travail de nuit au sens de la CCNIC (poste du matin débutant avant 6 heures, ou poste de l’après-midi se terminant après 21 heures).

→ La durée de la cessation anticipée d’activité est de six mois pour 22 ans d’ancienneté en posté. Elle est augmentée d’un mois par nombre d’années supplémentaires jusqu’à 26 ans d’ancienneté. Au-delà, 27 ans d’ancienneté donnent droit à 12 mois, 28 ans à 16 mois, 29 ans à 20 mois, 30 ans à 24 mois.

Auteur

  • LAURENT POILLOT, GUILLAUME LE NAGARD