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Se moquer de son employeur : à consommer avec modération

Enquête | publié le : 20.07.2010 | VIRGINIE LEBLANC

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Se moquer de son employeur : à consommer avec modération

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

L’excès d’humour peut être dangereux pour la conservation de son emploi. De récentes affaires ont montré que, si le droit à la liberté d’expression est sacré, les salariés doivent toutefois faire attention à son usage.

Blaguer un samedi soir avec ses “amis” sur Facebook peut mener directement à la case licenciement. Trois salariés de l’entreprise de conseil en technologies Alten en ont fait l’expérience. Ils ont été licenciés pour faute grave, fondée sur le dénigrement et l’incitation à la rébellion. Connectés depuis leur domicile sur le réseau social, un salarié avait indiqué faire partie du “club des néfastes”, en référence à un adjectif employé par sa direction, deux autres salariés lui ont répondu « bienvenue au club ». Leurs échanges avaient été par la suite divulgués par un autre salarié à la direction.

Dénigrement et incitation à la rébellion

Grégory Saint Michel, l’avocat des deux salariés qui ont porté l’affaire devant les prud’hommes de Boulogne-Billancourt (le troisième a accepté une transaction), estime que la conversation avait le caractère de « correspondance privée ». Les juges n’ayant pas réussi à départager les protagonistes, une audience supplémentaire associera un magistrat. Pour justifier sa décision, la direction indique également que « les deux salariés concernés appartenaient à la DRH » et étaient donc « tenus à un certain devoir de confidentialité et de réserve ».

Liberté d’expression et de création

Aurélie Boullet risque, quant à elle, deux ans d’exclusion sans salaire de la fonction publique territoriale. C’est la sanction prononcée par le conseil de discipline du conseil régional d’Aquitaine, et qui devait être confirmée ou non par le président de la collectivité d’ici à la fin du mois de juillet. Sous le pseudonyme de Zoé Shepard, la haute fonctionnaire, chargée de mission à la délégation aux affaires européennes et internationales, avait publié en mars 2010 un pamphlet intitulé Absolument dé-bor-dée ! ou le paradoxe du fonctionnaire*. Il décrit une administration anonyme paresseuse et des collègues manquant pour le moins de vivacité d’esprit.

« C’est une œuvre de fiction, les agents étaient totalement inventés, expose Delphine Krust, avocate de l’auteure. Le droit à la liberté d’expression et de création doit pouvoir s’exercer, quand bien même des fonctionnaires sont en cause. De nombreux ouvrages font de l’humour sur le monde du travail, la région Aquitaine en a manqué. »

En effet, l’employeur est vent debout contre cet ouvrage : « L’exclusion est une sanction lourde mais bien dosée, car ses propos sont loin de l’humour, justifie Jean-Luc Mercadié, directeur général des services de la région. Ses attaques sont féroces, violentes et diffamatoires. »

Les limites du rire et de l’humour

Ces affaires montrent bien que si le principe général de la liberté d’expression (articles L. 1121-1 et L. 2281 du Code du travail) s’applique, l’humour est finalement apprécié au cas par cas. « C’est le juge du fond qui apprécie le dénigrement : il faut une vraie volonté de porter atteinte aux intérêts de l’entreprise », explique Nicolas Billon, avocat chez Simon Associés. La diffamation et l’injure sont, elles, proscrites, et passibles de sanctions pénales.

Quant aux grivoiseries et propos déplacés répétés, ils peuvent être retenus pour qualifier une situation de harcèlement sexuel. La difficulté est que « les limites du rire et de l’humour ne sont pas appréciées partout de la même façon », commente Grégory Saint Michel. Par exemple, des propos tenus entre collègues dans un secteur ne seront pas forcément acceptés dans un autre plus “feutré” ».

En outre, « le web peut décomplexer et pousser certains salariés à utiliser des propos qu’ils n’auraient jamais tenus sur le papier, or, juridiquement, ils sont responsables de ce qu’ils écrivent », fait remarquer Eric Barbry, avocat au cabinet Alain Bensoussan. Et après constat d’huissier, il est tout à fait possible de solliciter des adresses IP et de remonter jusqu’à l’utilisateur de l’ordinateur.

Utilisations abusives

De son côté, « l’employeur peut prévenir les utilisations abusives de la liberté d’expression sur Internet, notamment en faisant signer des chartes d’utilisation d’Internet aux salariés, après consultation du CE et du CHSCT », ajoute Nicolas Billon.

« En France, le salarié qui crée un blog doit respecter la loi informatique et libertés. Il prend un risque s’il y mentionne des données personnelles sur ses collègues de bureau ou sur un responsable de l’entreprise, même en des termes humoristiques. Cela a déjà été jugé par la Cour de justice des communautés européennes, dans un arrêt du 6 novembre 2003 », complète Ariane Mole, avocate associée au cabinet Bird & Bird.

* Absolument dé-bor-dée ! ou le paradoxe du fonctionnaire, Zoé Shepard, Albin Michel, mars 2010.

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  • VIRGINIE LEBLANC