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L’évaluation des salariés de nouveau devant les juges

Les pratiques | publié le : 13.07.2010 | SABINE GERMAIN

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L’évaluation des salariés de nouveau devant les juges

Crédit photo SABINE GERMAIN

Les représentants du personnel de General Electric Medical Systems, de HP et d’Airbus contestent les systèmes d’évaluation mis en place dans leur entreprise, auxquels ils reprochent notamment de s’attacher davantage à la personnalité des salariés qu’à leur aptitude professionnelle. Ces derniers temps, les juges ont de plus en plus à se prononcer sur ces dispositifs.

Nouvel épisode dans le feuilleton de la contestation des systèmes d’évaluation mis en place dans les entreprises : une décision concernant Hewlett Packard CCF était attendue le 12 juillet. Le tribunal de grande instance (TGI) d’Evry devait se prononcer sur le caractère licite d’un système de notation demandant aux managers d’identifier 7 % de mauvais éléments lors des entretiens individuels. L’autre division d’HP, HP France, n’avait déjà pas pu déployer son système : le 27 novembre 2009, le TGI de Nanterre a considéré que son quota minimal de mauvaises notes à attribuer était illégal. Le combat n’est pas terminé : la section syndicale CFDT d’IBM France – confrontée au même système de “notation forcée” – s’est jointe à celle d’HP pour créer une plate-forme commune de revendications, dont l’évaluation et le stress généré constituent les premiers dossiers défendus.

Un système basé davantage sur la personne que sur le travail

De même, les représentants du personnel d’Airbus protestent contre le quota de 1 000 “low performers” (10 % des 10 000 cadres de l’entreprise) fixé par la direction au moment où elle a déployé son outil d’évaluation Processus et développement (P & D).

Le 1er juillet, le CHSCT, la CGT et FO ont assigné GEMS (General Electric Medical Systems, filiale d’imagerie médicale de GE de 1 900 salariés, dont plus de 85 % de cadres) devant le tribunal de grande instance de Versailles (lire Entreprise & Carrières n° 1008) qui rendre sa décision en octobre. En cause : le système d’évaluation « qui entretient une rivalité malsaine, encourage les règlements de comptes et s’attache, en définitive, davantage à la personne des salariés et à leur adhésion aux valeurs de l’entreprise qu’à leur travail en tant que tel », estime Jocelyne Chabert, élue CGT au CHSCT.

Se débarrasser de 10 % des effectifs chaque année

Vent debout contre ce système de classement des salariés en cinq niveaux (non satisfaisant, perfectionnement nécessaire, pleinement satisfaisant, excellent et exemplaire), l’élue tient à préciser qu’elle n’a rien contre le principe même de l’évaluation : « Ce besoin d’évaluation est légitime, aussi bien pour l’entreprise que pour les salariés qui ont besoin de cette reconnaissance. » Mais pas question de voir le rêve de Jack Welch, ancien Pdg de General Electric et gourou mondial du management, se réaliser : « Il a toujours considéré qu’il était sain pour une entreprise de se débarrasser chaque année de 10 % de ses effectifs. Ce système de forced ranking est destiné à faire le tri. » (Lire Entreprise & Carrières n° 832.) Une vision récusée par la direction de GEMS : « Notre système d’évaluation se veut objectif et transparent, avec des garanties en cas de désaccord du salarié », explique Matthieu Willot, DRH, ajoutant que ce système d’évaluation repose sur « un gros travail de définition des comportements professionnels, avec une communication très factuelle et très précise ».

Il n’empêche… La contestation des systèmes d’évaluation prend actuellement un tour particulièrement virulent : « Nous sommes vraiment dans une logique d’opposition frontale, observe Pierre Bouaziz, avocat spécialiste de droit social au cabinet Bouaziz Benamara. Les employeurs ont pris conscience du risque de contentieux lié aux systèmes d’évaluation. Ils commencent donc à s’organiser et à fourbir leurs arguments pour démontrer qu’ils respectent le code du travail. Ils peuvent faire référence aux accords de GPEC, qui comportent généralement un volet évaluation, pour montrer aux juges que ce système a fait l’objet d’un consensus. »

Face aux employeurs, les représentants des salariés, et notamment les CHSCT, s’appuient essentiellement sur trois décisions, qui encadrent de plus en plus sévèrement les entretiens d’évaluation. Premier coup de tonnerre : le 31 mars 2007, la Cour de cassation oblige le groupe de protection sociale Mornay à consulter le CHSCT (en plus du CE) avant de déployer son nouvel entretien d’évaluation. Elle considère en effet que les enjeux de l’entretien risquent d’engendrer une pression psychologique « entraînant des répercussions sur les conditions de travail » (lire p. 14). Cette décision légitime toutes les actions engagées par les CHSCT dans le domaine de l’évaluation.

Le 5 mars 2008, la Cour de cassation suspend la réorganisation du travail engagée par Snecma au motif qu’elle ne garantit pas la santé et la sécurité des salariés. « Cet arrêt marque une étape supplémentaire en termes d’obligation de résultat en matière de sécurité au travail, observe Vincent Jacquemond, conseil auprès des CHSCT au sein du cabinet Secafi (groupe Alpha). Il limite le pouvoir de l’employeur dans sa liberté de décider de l’organisation de l’entreprise et confère davantage de pouvoir aux CHSCT, chargés de veiller à l’observation des prescriptions légales. »

Enfin, le 5 septembre 2008, le TGI de Nanterre se penche sur la nature même des entretiens d’évaluation en sanctionnant le dispositif mis en place par le groupe Wolters Kluwer France (WKF est notamment éditeur d’Entreprise & Carrières), au motif que les notions de “focus client”, “création de valeur”, “intégrité”, “travail en équipe”, “responsabilité” sont trop subjectives. Le CE, le CHSCT et l’ensemble des organisations syndicales (SNJ, CFDT, FO, CFTC et CGT) y voient un risque majeur pour la santé des 1 200 salariés.

Préjudiciable à la santé et illicite

Ces trois décisions constituent la trame des procédures engagées par les représentants du personnel : « Dans la procédure que nous avons engagée contre GEMS, nous articulons les arrêts Snecma et WKF pour couper court à un dispositif qui nous semble doublement illicite : parce qu’il est potentiellement préjudiciable à la santé des salariés – arrêt Snecma – et parce que la multiplication de critères comportementaux d’évaluation est contraire au code du travail – jugement WKF », explique Jocelyne Chabert.

A la RATP, la jurisprudence Mornay est invoquée : « Le CHSCT a activé son droit d’alerte car il n’a pas été consulté lors de la mise en place de l’entretien d’appréciation et de progrès », explique Jean-Pierre Mondot, élu Unsa au CHSCT de la RATP Métro. Mais on voit déjà la jurisprudence Snecma pointer : « L’entretien d’évaluation est un outil nécessaire, prévu par le code du travail. A condition qu’il ne fasse pas courir de risques aux évalués ni aux évaluateurs. Car les managers ne sont pas assez formés à l’évaluation : ils doivent se débrouiller tout seuls pour comprendre et utiliser les outils qu’on leur donne. Avec, parfois, une marge d’interprétation génératrice de stress. »

Idem chez Renault Cléon (Seine-Maritime), où la direction refuse de présenter au CHSCT son nouvel entretien d’évaluation en deux phases (bilan et objectifs): « Ce système d’évaluation ne fait aucunement référence aux objectifs de progrès du salarié, observe Ludovic Avenne, élu au CHSCT. Il ne se réfère qu’aux objectifs de production de l’entreprise, en faisant totalement abstraction des filières métiers et de leurs descriptions de poste, pourtant élaborées par la branche de l’industrie métallurgique. » Les négociations sont loin d’être terminées…

« Au-delà de la dénonciation de systèmes dangereux pour la santé des salariés, il est temps de trouver des repères pour élaborer de nouveaux types d’entretiens d’évaluation », clame Corinne Droux, directrice du pôle réorganisation à l’Isast, un cabinet d’expertise en santé au travail. En attendant, l’heure semble plutôt à la contestation tous azimuts.

L’essentiel

1 Les systèmes d’évaluation sont de plus en plus contestés en justice par les représentants des salariés.

2 Les critères subjectifs et la notation avec quotas de « mauvais élèves » font partie des points litigieux.

3 La non-consultation du CHSCT est aussi invoquée, d’autant que de tels dispositifs peuvent s’avérer dangereux pour la santé mentale des salariés.

Auteur

  • SABINE GERMAIN