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« Le lien entre l’âge et la diminution de la performance n’est pas démontré »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 13.07.2010 | PAULINE RABILLOUX

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« Le lien entre l’âge et la diminution de la performance n’est pas démontré »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Entre la nécessité de financer les régimes de retraite de manière pérenne et la réalité de l’emploi des 55-64 ans, qui rend le projet assez utopique, le débat est ouvert. Toutefois, pour améliorer l’emploi des seniors, il ne faudrait plus se focaliser sur l’âge mais penser le travail au fil des âges.

E & C : L’exclusion des seniors du monde de l’entreprise est pour vous le résultat d’un calibrage anthropologique. Qu’entendez-vous par là ?

Stéphane Bellini : La discrimination par l’âge a plusieurs niveaux d’explication. Elle a d’abord été institutionnalisée par des mesures permettant de sortir les plus âgés de l’emploi. Ces dispositifs ont surtout concerné les grandes entreprises mais ont servi d’exemples de ce qui était considéré comme une “bonne” gestion des âges. Ces politiques ont longtemps fait l’objet d’un consensus social puis, avec le problème du financement des retraites, elles sont devenues une anomalie économique. Aujourd’hui, les mesures d’âge disparaissent, mais les représentations sous-jacentes demeurent. Indépendamment des habilités avérées, de véritables filtres à l’embauche, implicites et informels, conduisent à l’exclusion des seniors de l’emploi. La Halde a ainsi montré que le premier critère de discrimination dans l’accès à l’emploi est l’âge. En fait, c’est l’existence d’un modèle de “bon” salarié qui semble se dessiner en creux, aboutissant à ce qui est bien un calibrage anthropologique, c’est-à-dire qui s’exprime sur toutes les dimensions de l’homme au travail : attitude, motivation, relation à autrui, mode de pensée, compétences, savoir-être… Ce calibre est défavorable aux salariés âgés car il renvoie à des traits supposés être ceux de la jeunesse : dynamisme, capacité d’adaptation, aptitude à travailler avec les technologies de l’information, motivation et aussi faible coût du travail. Or, on réalise qu’il faut relativiser l’attribution de ces traits à une catégorie d’âge, d’abord parce qu’une catégorie de population définie par l’âge n’est jamais homogène, ensuite parce qu’on sous-estime l’impact de choix organisationnels sur les compétences, la santé, l’attitude ou encore la relation à l’entreprise.

E & C : Plus qu’une réalité biologique, le vieillissement serait donc une réalité sociale ?

S. B. : Il n’est pas question, bien entendu, de contester les atteintes du grand âge. Concernant la population salariée, aucune étude ne démontre clairement le lien entre l’âge et la diminution de la performance. Non qu’il n’y ait aucune différence entre les comportements selon l’âge – les manières de travailler évoluent au fil des ans –, mais il n’est pas dit que la productivité diminue. Là où les plus jeunes ne comptent pas leurs efforts, les plus âgés mettent au point des techniques d’anticipation des tâches ou des stratégies d’adaptation qui leur permettent de fonctionner à l’économie. De même pour les activités intellectuelles : les salariés âgés mobilisent des capacités cérébrales différentes de celles des plus jeunes pour certaines tâches, notamment celles de mémorisation, effectuant ainsi une “restructuration neuronale” leur permettant de compenser les déficits de performance. Le vieillissement, selon une étude réalisée par Volkoff, Molinié et Jolivet (2 000), accroît certaines pathologies comme les troubles musculo-squelettiques et entraîne une moindre endurance à l’alternance jour-nuit. Mais le vieillissement au travail est la combinaison du vieillissement biologique naturel et de celui produit par des facteurs environnementaux, dont le travail. Le salarié trop vieux pour travailler est peut-être d’abord un salarié usé et largement démotivé par ce qu’on lui propose en entreprise. Le facteur âge ne peut pas être isolé de l’organisation du travail. De même, alors que l’expérience des anciens semble être leur principal atout, il est aisé pour d’aucuns de souligner que cette expérience recouvre parfois une expertise obsolète. Là encore, l’obsolescence des compétences dépend des pratiques de développement des compétences et d’attribution de postes.

E & C : Comment résoudre cette conflictualité entre le travail et l’emploi des salariés vieillissants ?

S. B. : Le discours moral sur la nécessité de valoriser l’expérience professionnelle des seniors est aussi répandu qu’inopérant. Au plan national, raisonner sur l’âge de départ à la retraite sans prendre en considération l’âge moyen de cessation d’activité – aujourd’hui de 58,6 ans – semble voué à l’échec. Ce qu’une législation impliquant un recul de l’âge légal de départ à la retraite devrait permettre d’économiser sur le coût des retraites risque d’être englouti par d’autres mécanismes de solidarité : l’assurance maladie, le RMI, l’assurance chômage. Résoudre le problème de l’emploi des seniors est essentiel, mais ne peut cependant faire l’impasse de la réflexion sur le travail des seniors. Trois pistes se dessinent. D’abord, la formation tout au long de la vie offre des perspectives d’évolution et de mobilité intéressantes. Alors qu’on parle beaucoup de tutorat réservé aux salariés âgés, il faudrait envisager des évolutions de carrière tout au long de la vie. Ensuite, les efforts d’amélioration des conditions de travail méritent d’être relancés pour limiter la pénibilité du travail, physique ou psychosociologique. Enfin, on connaît mal les acquis de l’expérience, les réduisant souvent à une somme d’acquis techniques et négligeant les acquis sociaux et cognitifs. Il est frappant de constater qu’à l’occasion de VAE ou de bilans de compétences, les salariés eux-mêmes, qu’ils soient âgés ou non, révèlent des compétences qu’ils ne percevaient même pas. Bref, l’amélioration de l’emploi des seniors demande paradoxalement d’éviter de se focaliser sur l’âge et de penser le travail au fil des âges.

PARCOURS

• Stéphane Bellini est enseignant-chercheur à l’université de Poitiers dont il est le vice-président, chargé des relations avec le monde socioéconomique. Ses travaux portent sur la gestion des salariés âgés dans l’entreprise et sur la GPEC.

• Il a coordonné, avec Jean-Yves Duyck, un ouvrage collectif, En âge de travailler (Vuibert, 2009). Il vient de publier un article sur la discrimination par l’âge dans Nouvelles perspectives en management de la diversité (éditions EMS, mai 2010).

LECTURES

• Les Seniors dans l’entreprise, E. Marbot et J.-M. Peretti, Village Mondial, 2004.

• L’âge de l’emploi. Les sociétés à l’épreuve du vieillissement, A.-M. Guillemard, Armand Colin, 2003.

• Efficaces à tout âge. Vieillissement démographique et activités de travail, S. Volkoff, A.-F. Molinié et A. Jolivet, Centre d’études de l’emploi, dossier n° 16, 2000.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX