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Le social au rabais est-il une fatalité ?

Enquête | publié le : 15.06.2010 | AURORE DOHY

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Le social au rabais est-il une fatalité ?

Crédit photo AURORE DOHY

Fréquemment épinglé pour ses pratiques sociales minimales, voire abusives, le secteur du low-cost est moins homogène qu’il n’y paraît. Et, comme contrepartie à la polyvalence et à l’intensification du travail qu’il requiert, il offre parfois des perspectives de carrière insoupçonnées.

Depuis la constitution d’une représentation syndicale dans l’enseigne, il y a tout juste un an, les élus de Leader Price(1) ne savent plus où donner de la tête. « Tout est à faire, témoigne ce délégué syndical. Nous n’avons ni mutuelle, ni titres restaurant, ni participation. » Organisées en début d’année, les premières NAO se sont soldées par une fin de non-recevoir de la part de la filiale hard discount du groupe Casino. « Difficile de se battre pour des avantages sociaux, lorsqu’une importante partie des salariés, du fait d’une maîtrise insuffisante du français, a déjà du mal à poser ses congés », déplore l’élu. Ce témoignage correspond trait pour trait à l’image que véhicule depuis longtemps le modèle économique du low-cost. Antisyndicalisme, rémunérations au lance-pierres, avantages sociaux inexistants, sous-effectif érigé en système : les exemples ne manquent pas, qui démontrent que la compression des coûts prônée par ce modèle n’épargne pas les salariés.

Impact du low-cost sur les salariés

En Allemagne, la chaîne de drogueries Schlecker vient de perdre la bataille qui l’opposait au puissant syndicat Ver.di. Accusée de faire réembaucher ses propres salariés à des conditions moins disantes par une société d’intérim, elle a été contrainte de faire machine arrière (lire p. 25). Malgré leur infortune, les salariés de l’enseigne ont cependant pu compter sur la présence de contrepoids syndicaux. Ce n’est pas le cas des employés de Wal-Mart, l’emblématique enseigne américaine de hard discount, dont les pratiques antisyndicales sont désormais bien connues (lire p. 26).

Développé dans les années 1970, le modèle économique du low-cost, qui connaîtra dès lors une diffusion croissante, est-il pour autant synonyme de rabotage social ? « Lorsque la réduction des coûts s’appuie sur une réelle innovation technique ou organisationnelle, le low-cost n’a absolument pas besoin de tirer sur la corde sociale, souligne Bruno Fay, le coauteur de l’ouvrage No low cost(2). Et de citer l’exemple de la compagnie aérienne américaine Southwest, la première à avoir réduit au minimum le temps de rotation des avions au sol, ou encore celui de la chaîne d’ameublement Ikea. « Le génie d’Ikea est de s’être entouré de designers talentueux, tout en inventant un nouveau modèle logistique, précise Bruno Fay. En parallèle, l’enseigne s’est donnée les moyens de mettre en œuvre une politique sociale responsable, associée à une démarche de développement durable. »

Ces entreprises, qui assoient leurs gains de productivité sur l’innovation, les auteurs de No low cost les qualifient de “low cost 1.0” par opposition au “low cost 2.0” qui masque, derrière le concept marketing qu’est devenu ce modèle, une politique agressive de réduction des coûts dont les salariés sont les premiers à faire les frais. « L’intelligence et le goût pour l’innovation étant des denrées plus rares que l’opportunisme et la cupidité, le low-cost authentique est bien moins courant que le low-cost dévoyé », déplore Bruno Fay.

Course à la productivité

En généralisant la course aux gains de productivité à l’ensemble de l’économie, la crise économique a vraisemblablement nivelé cette distinction entre bons et mauvais élèves. A l’origine d’une grève qualifiée d’historique en février dernier, les organisations syndicales d’Ikea France dénoncent une dégradation progressive du fameux “modèle social Ikeai” : diminution des effectifs dans les magasins, écrasement des salaires et durcissement du système de modulation du temps (lire p. 22).

Délégué syndical central CGT chez Ed, Bruno Keyser a noté, lui aussi, une dégradation des conditions de travail. Les salariés de la filiale hard discount de Carrefour ne sont pourtant pas les plus mal lotis du secteur : leur niveau de salaire et leurs avantages sociaux (titres restaurant, prime de vacances, 13e mois, intéressement et participation) sont alignés sur ceux de la maison mère. Ils peuvent, en outre, compter sur une solide mutuelle.

C’est au niveau de l’effectif des magasins que le bât blesse. « Lorsque je suis entré dans l’enseigne il y a quatorze ans, il y avait un agent de sécurité dans chaque magasin, précise Bruno Keyser. Aujourd’hui, nous assurons nous-mêmes cette fonction. Pas facile, lorsque nous ne sommes que 2 – une situation de plus en plus fréquente – pour tenir la caisse, réceptionner la marchandise, remplir les rayons et faire le ménage ! »

Intensification du travail

Pour l’économiste Emmanuel Combe (lire entretien p. 27), en effet, ce n’est pas tant au niveau salarial qu’au niveau des conditions de travail que le modèle économique du low-cost pose problème : « Il est indéniable que le low-cost entraîne une intensification du travail. » DRH de Transavia, la filiale low-cost d’Air France, Anne-Nathalie Sebelin ne s’en cache pas : c’est bel et bien de la productivité qui sera exigée des salariés de la compagnie aérienne, en particulier durant les six mois de pleine saison touristique. Un pilote pourra alors voler jusqu’à 90 heures mensuelles, et le personnel navigant commercial (PNC) 85 heures, pour un niveau de salaire équivalent à celui de la maison mère : 60 000 euros annuels minimum pour un pilote et 110 000 euros pour un commandant de bord. « Du fait de la taille de l’entreprise, le personnel de Transavia peut également espérer une progression de carrière beaucoup plus rapide que dans une compagnie traditionnelle », souligne Anne-Nathalie Sebelin qui évoque le modèle start-up dans cette filiale de 300 salariés.

Ascenseur social

En guise de progression de carrière, c’est un véritable ascenseur social que met en avant Benoît Combes, le fondateur des jardineries Garden Price. Afin de réduire ses coûts, cette chaîne low-cost cible une clientèle de connaisseurs se passant volontiers des conseils d’un vendeur. Un positionnement qui lui permet d’embaucher de jeunes, voire très jeunes, vendeurs sans qualification. « Certains d’entre eux ont été conduits jusqu’aux portes des magasins par des parents excédés de les voir passer leurs journées devant une console de jeux », raconte Benoît Combes.

Embauchés au Smic et formés sur le tas selon les règles de la polyvalence chère au low-cost, ils pourront prétendre, au bout de deux ans seulement, au poste de directeur du magasin et doubler leur salaire. Trois des 5 directeurs actuels de magasin sont ainsi issus de la promotion interne. Benoît Combes, qui a mis en place un dispositif d’augmentation de salaire automatique (+5 % après six mois ; +10 % après un an), veille à l’atmosphère sociale de son enseigne. « Contrairement au secteur alimentaire, le client de Garden Price vient chez nous pour ses loisirs, explique-t-il. Ce n’est pas un vendeur se sachant exploité qui lui réservera l’accueil qui convient. »

(1) Les premières élections professionnelles chez Leader Price ont eu lieu en juillet 2009, suite à la constitution d’une unité économique et sociale (UES).

(2) No low cost, Bruno Fay et Stéphane Reynaud, éditions du Moment, 2009.

L’essentiel

1 Fréquemment épinglé pour faire peu de cas de ses salariés, le secteur du low-cost présente des réalités sociales diverses.

2 Certes, faibles niveaux de qualification, polyvalence des salariés et intensification du travail restent le dénominateur commun à l’ensemble du secteur.

3 Mais dans certaines organisations, la légèreté de l’organigramme favorise l’accélération des carrières.

Auteur

  • AURORE DOHY