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Enquête

« Le low-cost consacre le retour du taylorisme »

Enquête | L’entretien avec | publié le : 15.06.2010 | A. D.

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« Le low-cost consacre le retour du taylorisme »

Crédit photo A. D.

E & C : Les entreprises low-cost sont souvent critiquées pour le peu de cas qu’elles font de leurs salariés. Vous estimez cependant qu’il n’y a là aucune fatalité.

E. C. : Southwest, la compagnie aérienne américaine qui a mis au point, dès 1973, le principe des temps de rotation minimaux des avions au sol, et dont la réputation en matière de salaires et de conditions de travail n’est plus à démontrer, est là pour nous le rappeler. Qu’elle soit une des compagnies aériennes les plus rentables du monde n’empêche en rien son impressionnant taux de syndicalisation (87 %), ni le fait que 10 % à 15 % de ses salariés soient détenteurs d’une partie de son capital.

Une étude conduite en 2006 par la European Cockpit Association estime que les coûts de production d’une compagnie aérienne low-cost sont en moyenne 57 % moins importants que ceux d’une compagnie traditionnelle. Or, la compression des coûts salariaux représente seulement 3 % de ces 57 %. Un entrepreneur qui déciderait de “faire du low-cost” en se contentant d’amputer les salaires et les avantages sociaux n’irait donc pas bien loin.

Qu’il existe des “bons élèves” comme Southwest ne doit cependant pas nous faire oublier la face noire du low-cost, celle dont une compagnie irlandaise semble le représentant emblématique. Une face qui s’illustre, malheureusement, par le refus du syndicalisme, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer en matière de conditions sociales.

E & C : Il est pourtant facile de démontrer que les entreprises low-cost offrent des niveaux de salaire relativement bas.

E. C. : Gardons-nous de tirer des conclusions trop rapides. A l’exception de l’aérien, le low-cost se caractérise par un niveau de qualification moyen assez faible. Les fonctions de type marketing sont en effet beaucoup plus restreintes, pour ne pas dire inexistantes, dans le hard discount que dans une entreprise comme Carrefour. Une telle typologie d’emploi tire mécaniquement le salaire moyen vers le bas. Je doute, en revanche, que la grande distribution classique rémunère beaucoup mieux ses caissières que le hard discount.

Même dans le secteur aérien, qui embauche des pilotes au même niveau de qualification que les compagnies traditionnelles, il faut se méfier des comparaisons hâtives. Non seulement le low-cost ne se positionne quasiment jamais sur les vols longs-courriers, ce qui entraîne toujours un surcroît de rémunération du personnel navigant, mais il est encore très peu impacté par l’effet “pyramide des âges”, très marquant dans une compagnie comme Air France.

Ceci dit, le pilote salarié d’une compagnie low-cost, bénéficiant de la même ancienneté et volant sur le même appareil vers des destinations identiques, peut prétendre au même niveau de salaire que le pilote d’une compagnie classique. En revanche, son salaire horaire sera effectivement plus faible, car on estime qu’il lui faudra voler environ 20 % plus longtemps. Il me semble donc que c’est sur la question de la qualité du travail, plus que sur celle des salaires, que le low-cost doit nous interpeller. Il est en effet indéniable que ce modèle entraîne une intensification de la productivité.

E & C : Faibles niveaux de qualification et intensification du travail : en matière d’organisation, le low-cost n’aurait-il donc rien inventé ?

E. C. : J’ai coutume de dire que le low-cost consacre un peu le retour du taylorisme : des exécutants peu qualifiés réalisant des tâches planifiées par quelques têtes pensantes. Sans une poignée d’ingénieurs capables d’inventer avec un certain génie la Logan, Renault n’aurait pas pu lancer un modèle low-cost produit au Maroc. On imagine également sans difficulté que, pour parvenir à remplir ses avions à 87 % quand une compagnie classique n’y parvient qu’aux trois quarts, Easyjet a su s’entourer de compétences susceptibles de développer l’un des meilleurs modèles de pricing. Plus fondamentalement, le développement du modèle low-cost conduit à s’interroger sur les lacunes de notre système d’éducation et de formation professionnelle. Sur quoi prospère le hard discount, si ce n’est sur l’abondance d’une main-d’œuvre non qualifiée, c’est-à-dire peu coûteuse et interchangeable ? Mais ce n’est pas le low-cost qui a inventé le travail non qualifié.

Auteur

  • A. D.