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Enquête

Discount sur le modèle social suédois

Enquête | publié le : 15.06.2010 | ERIC DELON

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Discount sur le modèle social suédois

Crédit photo ERIC DELON

L’enseigne suédoise, pionnière du discount du meuble, a longtemps constitué un modèle. Elle vient d’essuyer un important mouvement social sur la question des salaires et des conditions de travail.

Dans une vidéo postée le 18 février dernier sur Dailymotion, le tout nouveau directeur général d’Ikea France, le belge Stefan Vanoverbeke, 42 ans, réaffirme ses convictions. Son intervention suivait de quelques jours le déclenchement d’une grève le 5 février, qualifiée d’historique par des organisations syndicales ulcérées par la surdité de la direction face à leurs revendications salariales. « Le modèle social d’Ikea repose sur une culture de l’égalité et de la transparence », affirmait pourtant l’ancien directeur général d’Ikea Pologne.

Créée en 1981, année de l’implantation du premier magasin hexagonal à Paris Nord, Ikea France (26 magasins, 9 000 salariés), filiale du géant suédois de l’ameublement à bas prix, n’a eu de cesse de communiquer sur ce fameux “modèle social à la scandinave”, fondé sur la simplicité, la hiérarchie courte, la recherche du consensus ou encore le recrutement par les compétences.

Répartition des profits

« Le devant de la vitrine est transparent, mais derrière, la politique sociale du groupe est beaucoup plus opaque », tranche Marylène-Laure Douilly, la déléguée centrale CGT. Principal grief des syndicats à l’origine de la grève : la répartition des profits. Selon les organisations syndicales, Ikea France aurait ainsi réalisé un juteux bénéfice net de 52 millions d’euros en 2009. « Nous ne confirmons nullement ces chiffres », plaide Pierre Deyries, le directeur de la communication et du développement durable du groupe. Des montants d’ailleurs impossibles à vérifier car la holding propriétaire d’Ikea (Inter Ikea Systems BV), qui possède le statut de fondation charitable, publie son chiffre d’affaires (21,5 milliards d’euros en 2009) mais pas ses profits.

Baisse des salaires

« L’entreprise n’est pas pire ni meilleure qu’une autre, mais elle n’est régie que par la quête du profit, argumente Marylène-Laure Douilly. Les salaires y sont faibles, la polyvalence forte, les embauches au compte-gouttes. Par ailleurs, les conditions de travail se dégradent d’année en année, avec une baisse des effectifs qui peut atteindre jusqu’à 10 % dans certains magasins. »

Selon la direction, la politique de rémunération du groupe se veut particulièrement attractive avec un salaire minimum de 1 464,57 euros brut pour 35 heures, soit 8,9 % au-dessus du Smic, sans compter un 13e mois et des primes de participation, d’intéressement et de modulation. « En 2000, le salaire minimum d’entrée de la grille des salaires Ikea se situait 14 % au-dessus du Smic, mais aujourd’hui, l’écart se resserre : nous ne sommes plus qu’à 7 % au-dessus du salaire minimum, malgré une progression du chiffre d’affaires, critique Hassina Arabi, au nom du Collectif CFDT d’Ikea France. Nous sommes passés par ailleurs de 13,5 mois de salaire à 13 mois. Quant aux primes d’intéressement et de participation, elles sont en baisse chaque année. En 2009, notre prime d’intéressement s’est élevée à un quart de salaire contre un mois en moyenne les autres années. »

Autre grief soulevé par les syndicats : un système de modulation qui dérègle durablement la vie de famille des salariés. « D’un jour à l’autre et d’une semaine à l’autre, pas un planning ne se ressemble », note Marylène-Laure Douilly.

Organisation du travail

Selon certains experts, le contexte social d’Ikea serait bien différent en Suède, où 95 % des salariés sont syndiqués et où les organisations qui siègent au conseil d’administration accepteraient plus facilement de dialoguer sur le temps de travail, les flexibilités et la polycompétence.« Sur les 24 pays dans lesquels Ikea est présent, la France est celui où la productivité par salarié est la moins élevée », souligne un observateur du secteur.

« Notre très forte expansion en France et notre première place au niveau des distributeurs de meubles ne tiennent en rien du hasard, pointe de son côté le directeur de la communication du groupe. Depuis quinze ans, nous avons investi 1,3 milliard d’euros dans l’ouverture de magasins et de dépôts. »

Discrimination syndicale

Outre les critiques relatives aux rémunérations et aux conditions de travail, les syndicats dénoncent les pressions croissantes exercées sur les élus locaux et sur les délégués syndicaux. « Un dossier en cours a été constitué pour dénoncer cette discrimination syndicale, déjà revendiquée il y a dix ans, dénonce Hassina Arabi. La DRH cautionne et soutient les directions de magasins antisyndicalistes. »

Alors que l’enseigne a prévu d’ouvrir deux nouveaux magasins (Avignon et Reims) d’ici à la fin août, il faudra sans doute que la direction renoue les fils d’un dialogue social, passablement distendus à la suite de la grève de février dernier.

IKEA FRANCE

• Secteur d’activité : ameublement.

• Effectif : 9 000 salariés.

• Chiffre d’affaires 2009 : 2,250 milliards d’euros.

Auteur

  • ERIC DELON