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Enquête

Des gains de productivité aux marges du droit

Enquête | publié le : 15.06.2010 | A. D.

Après Easyjet, condamnée en avril, c’est au tour de Ryanair d’être dans la ligne de mire de la justice. Pour des raisons d’économies, la compagnie low-cost s’entête à faire travailler sous contrat irlandais ses salariés basés en France.

Le dossier judiciaire du low-cost aérien n’a pas fini de faire des vagues. Condamnée en avril par le tribunal correctionnel de Créteil à verser 1,4 million d’euros de dommages et intérêts à Pôle emploi pour avoir employé 168 salariés français sous contrat britannique entre 2003 et 2006, la compagnie aérienne Easyjet vient de faire appel. Ses déboires avec la justice ne l’ont cependant pas empêchée, depuis cette date, de se conformer au droit social français.

Information judiciaire

Ce n’est pas le cas de l’irlandaise Ryanair, à l’encontre de laquelle le Parquet d’Aix-en-Provence a ouvert une information judiciaire en janvier dernier. Les charges qui pèsent sur la société qui continuerait à faire travailler sous contrat irlandais les 120 salariés de sa principale base française, le terminal low-cost de l’aéroport de Marseille-Provence, sont nombreuses : travail dissimulé, emploi illicite du personnel navigant, mais également entrave au fonctionnement du CE, du CHSCT ainsi qu’à l’exercice du droit syndical.

Pour Franck Mikula, le président de l’Union des navigants de l’aviation civile (Unac), une des 3 organisations, avec le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) et la Caisse des retraites des navigants, à l’origine d’une plainte déposée en janvier auprès du parquet d’Aix, cette action judiciaire ne pouvait avoir lieu plus tôt : « La compagnie a longtemps brouillé les pistes en affectant, semaine après semaine, ses navigants à des bases d’exploitation différentes, rendant extrêmement difficile toute tentative d’enquête. Vraisemblablement handicapée par ce casse-tête organisationnel, elle a fini par faire machine arrière. »

Selon un mémorandum réalisé fin 2009 par l’Union interfédérale des transports-CGT, le rattachement des salariés de Ryanair au droit irlandais permettrait à la compagnie de s’exonérer totalement du paiement des taxes et des cotisations sociales. « Le fonctionnement de Ryanair est l’application dans l’esprit et les actes de la directive Bolkestein que le Parlement a repoussée », poursuit la CGT. Le préjudice pour les organismes sociaux floués est estimé à 4,5 millions d’euros. Difficile d’estimer à quel point le modèle économique de Ryanair est dépendant de cette exonération de charges sociales. Relativisant l’importance du social dans les stratégies de compression des coûts des compagnies aériennes (lire p. 27), l’économiste Emmanuel Combe rappelle que « le rattachement des salariés d’Easyjet au droit français n’a pas conduit la compagnie à fermer de lignes ».

Chantage à l’emploi

Apparemment indifférente aux calculs de ce genre, la compagnie dirigée par le très provocant Michael O’Leary ne se laisse pas pour autant intimider. Celle que le rapport Beigbeder(1) distingue de ses concurrentes en qualifiant son modèle de “low-cost pur” – implantation dans les aéroports secondaires, publicité agressive – en opposition au middle-cost représentée par Easyjet, s’est, en effet, fait une véritable spécialité de la contestation du droit du travail français. Après avoir été déboutée par le Conseil d’Etat qui avait rejeté sa demande de porter l’affaire devant la Cour européenne de justice, en 2007, Ryanair a saisi la Cour européenne des droits de l’homme afin de contester le décret français de 2006 soumettant les équipages des lignes internationales, au départ et à destination de la France, au droit social français. Alors qu’elle attend encore le verdict de l’instance européenne, Ryanair use désormais d’une stratégie dont elle est également coutumière : le chantage à l’emploi. La compagnie a en effet indiqué qu’elle n’hésiterait pas à fermer sa base de Marseille dès octobre prochain en cas de jugement défavorable.

Concurrence du TGV

La menace est prise très au sérieux par la chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence, gestionnaire de l’aéroport. Avec près de 1,5 million de passagers en 2009 (20 % du trafic de la plate-forme), Ryanair a permis à l’aéroport de résister face à la mise en service du TGV Méditerranée. Selon la CCI, la compagnie irlandaise fait également « venir plus de 400 000 nouveaux touristes chaque année et a procuré plus de 550 millions d’euros de retombées économiques directes et indirectes pour le territoire ». Aux abois, l’aéroport Marseille-Provence a lancé, le 21 mai, un groupe de soutien sur Facebook sous l’intitulé : « Sauvons les vols low-cost en France ! »

(1) Le low-cost : un levier pour le pouvoir d’achat, décembre 2007.

Auteur

  • A. D.