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1er juil . 2009 : abolition des privilèges conventionnels

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 15.06.2010 |

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1er juil . 2009 : abolition des privilèges conventionnels

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En 1789, l’Assemblée nationale constituante a aboli les privilèges. En 2009(1), la Cour de cassation, mue par le même esprit révolutionnaire, a proclamé la fin des avantages accordés aux salariés par la négociation collective selon leur statut, dès lors qu’aucune raison objective ne les justifie. Cette solution, animée par de nobles sentiments – imposer l’égalité de traitement des salariés – pourrait aboutir à l’effet inverse au but recherché : des garanties conventionnelles uniformisées par le bas, sans parler de la fragilisation de la négociation collective.

En l’espèce, en vertu d’un accord d’entreprise, les cadres bénéficiaient de 30 jours de congés payés. Les non-cadres ne pouvaient au mieux prétendre qu’à 25 jours. Un livreur, contestant cette différence, a assigné son employeur aux fins d’obtenir un rappel d’indemnités de congés payés. En appel, l’employeur soutenait qu’aucune disposition légale ou conventionnelle n’interdisait de prévoir un nombre de jours de congés différent selon le statut. Il ajoutait qu’en tout état de cause, les contraintes spécifiques aux cadres, notamment l’importance des responsabilités confiées, justifiaient une telle différence de traitement.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au motif que « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ». Ce faisant, la Haute juridiction a transposé aux avantages conventionnels une solution précédemment rendue, s’agissant de l’attribution de titres restaurant aux seuls non-cadres(2). Dans le même temps, elle a accentué la portée du contrôle des juges du fond, lesquels devront désormais « contrôler concrètement la réalité et la pertinence » des raisons objectives justifiant la différence de traitement.

A la lecture de cette décision, Trenet aurait pu chanter : que reste-t-il de nos accords ? Prenons quelques exemples :

En matière de primes, en vertu du principe dégagé par cet arrêt, les cadres pourraient désormais exiger de leur employeur le paiement de la prime d’ancienneté souvent octroyée aux seuls non-cadres.

En matière de mutuelle-prévoyance, les différences de traitement sont vouées à disparaître, sauf à justifier, statistiques à l’appui, de conditions de travail propres à certains salariés impliquant une meilleure prise en charge. Certains secteurs comme la métallurgie ont d’ailleurs, d’ores et déjà, décidé d’harmoniser les régimes de mutuelle-prévoyance dont bénéficient leurs salariés.

En matière d’indemnités de rupture, la cour d’appel de Montpellier(3) a récemment considéré que le plus haut niveau de responsabilité des cadres, leur plus grande difficulté à retrouver un emploi et le plus grand préjudice financier qu’ils subissent après la rupture de leur contrat de travail ne justifient ni un mode différent de calcul de l’indemnité de licenciement, ni un préavis plus long que les autres salariés. Elle a ainsi fait droit à la demande d’un non-cadre en paiement d’un complément d’indemnités de licenciement et de préavis. Le message de la Cour de cassation a été bien reçu : la chasse aux avantages conventionnels catégoriels est ouverte !

Cet arrêt s’inscrit dans la volonté de la Haute juridiction d’assurer l’égalité de traitement. La solution retenue aurait-elle été différente si l’employeur avait justifié la différence de traitement par les conditions matérielles concrètes de travail qu’impliquent les responsabilités assumées par les cadres (volumes d’heures, stress, déplacements, etc.) ? Il est permis de le penser. Toutefois, si cet arrêt devait faire d’autres émules, les partenaires sociaux, au lieu de justifier difficilement des raisons objectives fondant la différence de traitement, risquent de se contenter d’uniformiser les avantages conventionnels par le bas. La Cour de cassation aura donc été l’instigatrice de la diminution des garanties sociales des salariés, alors que les accords collectifs ont pour essence de promouvoir leur amélioration !

Fernando Lima Teixeira et Nicolas Sauvage, avocats au cabinet Reed Smith LLP avocats, membres d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.

(1) C. soc. 1er juil . 2009, n° 07-42.675.

(2) C. soc 20 fév. 2008, n° 05-45.461.

(3) CA Montpellier 4 nov. 2009 n° 09/01816.