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Travail des sans-papiers : des employeurs veulent clarifier les règles

Les pratiques | publié le : 01.06.2010 | MÉLANIE MERMOZ

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Travail des sans-papiers : des employeurs veulent clarifier les règles

Crédit photo MÉLANIE MERMOZ

Alors qu’un nouveau projet de loi sur l’immigration est en passe d’être examiné au Parlement, les 6 500 grévistes sans papiers continuent de réclamer une révision des critères de régularisation. Des employeurs ont récemment appuyé leur demande.

Plus de sept mois après le déclenchement d’un mouvement de grève qui rassemble 6 500 travailleurs sans papiers issus de près de 2 000 entreprises, la situation commence, un peu, à bouger. Mi-mai, les cinq syndicats (CGT, CFDT, FSU, Solidaires, Unsa) demandant une régularisation sur la base du travail, ont été reçus deux fois en moins d’une semaine au ministère de l’Immigration et de l’Intégration. Les grévistes réclament une nouvelle circulaire pour encadrer et favoriser la régularisation des salariés sans papiers, et dénoncent celle du 24 novembre 2009. « Ce texte est on ne peut plus flou, il entérine officiellement l’arbitraire des préfectures », dénonce Raymond Chauveau, coordinateur pour la CGT du mouvement des travailleurs sans papiers. Particularité de ce mouvement – le deuxième après celui de 2008 –, les revendications des grévistes ne sont plus seulement soutenues par les organisations syndicales et de défense de droit des étrangers, mais aussi par des entreprises.

Demande de conditions précises pour l’autorisation de travail

En mars, organisations syndicales et représentants patronaux (Ethic, Syndicat national des entreprises du déchet, Veolia Propreté…) ont rendu publique une “position commune”, dans laquelle ils demandent des « conditions précises et objectives d’obtention d’autorisation de travail et de séjour pour les salariés étrangers sans papiers, mais qui s’acquittent, de même que leurs employeurs, de leurs cotisations et impôts ». Le texte de l’approche commune « n’a pas vocation à prendre position sur la question de la régulation des flux migratoires en France », il se « veut pragmatique, constructif et positif ».

Pascal Decary, DRH de Veolia Propreté, est l’un des initiateurs de l’approche commune. En avril 2008, des salariés du mouvement, pour la plupart intérimaires, occupent une agence francilienne de l’entreprise. D’une part, cet épisode conduira le DRH à exiger des entreprises de travail temporaire des garanties administratives plus strictes – Adecco, pour cette raison, ne fait plus partie de ses prestataires.

D’autre part, prenant conscience à cette occasion que des employés de Veolia Propreté travaillent avec de faux papiers, il décide de les aider à régulariser leur situation : « Nous n’avions aucune raison de nous séparer de salariés professionnels, formés, qui donnent satisfaction dans leur travail, explique-t-il. Mais quand nous les avons accompagnés dans leurs demandes de régularisation, nous avons été confrontés aux différences de pratiques entre les préfectures. »

Rationalité économique de la régularisation

Un constat partagé par de nombreux chefs d’entreprise qui, après avoir découvert que la situation administrative de leurs salariés n’était pas en règle, les soutiennent dans leurs démarches, là où beaucoup d’autres ont choisi de s’en séparer, en respectant plus ou moins les procédures de licenciement. « Nous demandons que les démarches de régularisation soient simplifiées, fluidifiées. Nous voulons un cadre décent et un traitement humain », reprend le DRH de Veolia Propreté.

Ces représentants patronaux soulignent non seulement l’exigence d’humanité, mais aussi la rationalité économique de cette régularisation. « Pourquoi devrait-on expulser des gens, alors que les entreprises ont besoin d’eux ? », s’interroge Léonidas Kalogeropoulos, vice-président d’Ethic. Le texte de l’approche commune souligne que l’emploi de salariés sans papiers est en effet « une réalité économique […], en particulier dans les secteurs tels que le BTP, l’hôtellerie-restauration, le gardiennage-sécurité, le nettoyage, les services à la personne, la sous-traitance et le travail temporaire ». Des secteurs en tension du point de vue du recrutement.

Position mitigée côté patronat et pouvoirs publics

Initiative inédite, l’approche commune suscite le débat chez les employeurs. « Nous nous reconnaissons pleinement dans cette démarche. Personne n’a intérêt à maintenir des salariés en situation de précarité », déclare ainsi sans ambiguïté le président de l’ANDRH, Michel Yahiel.

Position plus mitigée côté Medef : après avoir affirmé que la régularisation des travailleurs sans papiers ne regardait pas les patrons mais l’Etat, Laurence Parisot a exigé l’arrêt des grèves pour participer à des discussions sur le sujet. Il faut dire qu’il est sensible. Ainsi, plusieurs DRH de grandes entreprises auraient contacté Pascal Decary, après son interview du 15 avril sur le site Mediapart, pour lui apporter leur soutien tout en n’osant pas s’exprimer publiquement sur la question. Le 21 mai, Derichebourg Multiservices a néanmoins pris position dans le même sens.

Côté CGPME, la gêne est palpable. Alors que le sigle de l’organisation patronale figure sur tous les documents de l’approche commune, celle-ci affirme ne jamais avoir signé le texte : « Nous suivons cette démarche avec intérêt, mais nous avons quelques divergences d’approche », reconnaît du bout des lèvres Geneviève Roy, la toute nouvelle vice-présidente chargée des affaires sociales.

Pas de nouvelle circulaire en vue

De son côté, le ministère de l’Immigration campe sur ses positions. Pas question d’élaborer une nouvelle circulaire ; tout juste a-t-il proposé, lorsqu’il a reçu les syndicats, de procéder à une évaluation de celle du 24 novembre 2009. Petite satisfaction pour les grévistes toutefois : pour la première fois, le ministère du Travail était représenté par le directeur général du travail lors des discussions. « Cette présence est indispensable, car le mouvement des salariés sans papiers est avant tout un conflit du travail », estime Raymond Chauveau.

Les occupations se poursuivent

Pendant ce temps, les occupations continuent : début mai, une centaine de sans-papiers ont investi le siège de l’entreprise de travail temporaire Randstad pour obtenir les documents nécessaires à leur régularisation. Et le 17 mai, un chantier parisien du groupe Eiffage a été investi par plusieurs dizaines de travailleurs sans papiers pour interpeller ce géant du BTP et, à travers lui, les donneurs d’ordre, sur leurs responsabilités.

L’essentiel

1 Depuis octobre 2009, plus de 6 000 travailleurs sans papiers ont lancé des mouvements de grève et d’occupation de locaux d’entreprises.

2 Ils sont soutenus par certaines entreprises et organisations patronales qui réclament également des critères clairs et objectifs de régularisation.

3 Fin mars, un nouveau projet de loi visant notamment à renforcer la lutte contre le travail d’étrangers sans titre a été présenté en conseil des ministres.

Renforcement de la législation

→ Pour la cinquième fois en six ans, la législation encadrant l’immigration est modifiée. La lutte contre le travail illégal est intensifiée dans l’avant-projet de loi Besson présenté le 31 mars 2010 en conseil des ministres.

→ La protection des travailleurs étrangers est légèrement améliorée : le salarié sans papiers licencié bénéficierait d’une indemnité forfaitaire de trois mois (au lieu d’un mois actuellement). En cas d’expulsion vers le pays d’origine, l’employeur devra acheminer à ses frais les sommes dues.

→ Côté employeurs, les sanctions se durcissent. Ceux qui emploient des étrangers sans titre risquent d’être écartés de la candidature aux marchés publics pour une durée de six mois maximum, et de devoir rembourser certaines aides publiques perçues. La possibilité d’une fermeture administrative, qui existe déjà, est réaffirmée.

→ La responsabilité des donneurs d’ordre est accrue : le fait de recourir sciemment aux services de l’employeur d’un étranger sans titre serait puni de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Auteur

  • MÉLANIE MERMOZ