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SAS et le droit du licenciement : les juges lisent-ils trop de thrillers ?

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 01.06.2010 | GÉRARD KESZTENBAUM

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SAS et le droit du licenciement : les juges lisent-ils trop de thrillers ?

Crédit photo GÉRARD KESZTENBAUM

Un directeur de magasin d’une SAS (société par actions simplifiée) licencie une salariée. Une clause de responsabilité contenue dans le contrat de travail du directeur prévoit que celui-ci a « le pouvoir de choisir et d’engager le personnel employé et ouvrier après accord de la société, d’appliquer les lois sociales à l’ensemble du personnel et de faire appliquer les lois et règlements portant sur l’hygiène et la sécurité ». Mais les statuts de la SAS ne contiennent aucune disposition en la matière.

La salariée conteste la validité de son licenciement devant le conseil de prud’hommes qui la déboute de sa demande, mais la cour d’appel de Versailles (24 septembre 2009, Casino c/Mme Vinzend) infirme le jugement rendu par la juridiction prud’homale. Elle se fonde sur l’article L. 227-6 du Code de commerce qui dispose que « la société est représentée à l’égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société dans la limite de l’objet social. Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article ».

La cour d’appel estime que les salariés sont des tiers au sens de l’article L. 227-6 du Code de commerce. Ils peuvent donc se prévaloir des règles de forme exposées dans cet article ; le salarié est recevable à demander la nullité de son licenciement sur ce fondement.

Elle considère, ensuite, qu’un pouvoir exercé en principe par le président d’une SAS ne peut être confié à une autre personne qu’à deux conditions : la délégation de pouvoir doit être prévue dans les statuts et déclarée au RCS avec mention sur l’extrait du K-bis. Or, en l’espèce, les statuts ne contiennent aucune référence « au pouvoir de licencier le personnel » et aucune déclaration au RCS avec mention au K-bis n’a été faite.

La cour en conclut que « le défaut de qualité entraîne la nullité du licenciement » et accorde, à ce titre, des indemnités au salarié. Le fait que son contrat de travail ait été signé par le directeur du magasin n’établit pas la délégation de pouvoir.

C’est un scénario que Gérard de Villiers ne nous avait pas encore servi dans ses célèbres romans d’espionnage où il met en scène SAS le prince Malko Linge et son délégataire Elko Krisantem : s’il veut faire licencier des employés sans risque d’annulation, même avec un motif réel sérieux, SAS doit encore nommer son DRH (Elko Krisantem) DGD (directeur général délégué) et veiller à en faire mention au Kbis.

Est-ce qu’à la fin, ce formalisme excessif et destructeur ne va pas se retourner contre les salariés et l’emploi ? Le droit social français, même recodifié, est déjà fort complexe et il est difficile à faire comprendre et accepter à un employeur étranger, même s’il vient d’une démocratie occidentale développée. Surtout, si on l’avait convaincu quelques années auparavant que, pour se simplifier la vie (sociale), rien ne vaut la SAS et qu’il décide en raison de la crise de fermer un atelier de 20 ouvriers et constate avec stupeur, à la fin, qu’il aurait dû nommer son DRH directeur général, nomination assortie d’une délégation de pouvoirs précise et statutaire avant d’être condamné, non seulement à des dommages et intérêts substantiels, mais également à des préavis de trois mois au lieu de deux ainsi qu’à verser à ses anciens ouvriers des indemnités conventionnelles de licenciement sur le fondement des dispositions applicables aux cadres (CA Montpellier, 13 janvier 2010, SAS Biterroise de Véhicules Industriels c/Patrick Diaz).

En définitive, notre prince autrichien qui aime tant la France risque fort de demander à Elko Krisantem de lui trouver un pays plus accueillant pour ses investissements futurs.

On vous le disait bien : les juges des chambres sociales lisent trop de thrillers !

Gérard Kesztenbaum, avocat au cabinet Fidal, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.

Auteur

  • GÉRARD KESZTENBAUM