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« L’entreprise a été construite en marginalisant les femmes »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 01.06.2010 | VIOLETTE QUEUNIET

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« L’entreprise a été construite en marginalisant les femmes »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Les inégalités hommes-femmes dans le monde du travail s’expliquent aussi par des motifs inconscients. Construite par les hommes pour échapper aux femmes, l’entreprise est masculine dans ses gènes et entend le rester. L’horizon de la parité est donc encore lointain.

E & C : Malgré les avancées législatives, la parité hommes-femmes est loin d’être réalisée dans les entreprises. Au-delà des obstacles culturels et sociaux qui freinent la carrière des femmes, il faut, selon vous, chercher une autre explication d’ordre psychanalytique…

Gérard Pavy : Beaucoup de raisons expliquent l’absence de parité mais l’une des plus importantes est une résistance de l’élément masculin à la réalisation effective de cette parité.

En simplifiant à l’extrême, et aussi bizarre que cela puisse paraître, disons que l’homme n’a de cesse de quitter sa mère et de mettre ses émotions à distance. Afin d’échapper à l’emprise maternelle, il crée des organisations 100 % masculines : l’armée, l’église, l’entreprise. Et voilà que les femmes veulent y entrer, c’est l’horreur ! Les hommes mettent donc en place des stratégies pour marginaliser les femmes. Le mouvement a été systématisé avec l’industrialisation : les femmes ont été marginalisées dans les entreprises, soit parce qu’elles n’avaient pas les compétences techniques, soit parce que les hommes en faisaient leur instrument.

Aujourd’hui encore, et malgré leur part importante dans l’entreprise, les femmes restent sur des positions secondaires, correspondant à la répartition traditionnelle des rôles. Il y a des fonctions dites féminines, considérées comme moins nobles, et celles de prestige et bien rémunérées qui sont masculines. Les hommes n’ont de cesse de trouver des stratégies de sanctuarisation pour rejeter les femmes de ces fonctions. En médecine, par exemple, il y a maintenant beaucoup de femmes, mais les grands professeurs d’université sont des hommes. Pas seulement pour maintenir leur pouvoir, mais par peur de l’élément féminin. Il y a quelque chose du côté du féminin qui questionne le pouvoir, le pouvoir hiérarchique, et en subodore les faiblesses.

E & C : Comment les femmes peuvent-elles faire leur place malgré tout ?

G. P. : Elles sont un peu dans une situation sans issue ! Si elles assument leur féminité, elles risquent d’être marginalisées car ne correspondant pas aux codes masculins. Les comportements valorisés pour gagner dans l’entreprise se trouvent plutôt dans le répertoire masculin : la logique, la maîtrise, la structure, ce que, dans le jargon psychanalytique, on appelle l’obsession. Les femmes, elles, sont plutôt du côté de l’intuition, de l’émotion, du sentiment, c’est-à-dire l’hystérie ; utilisons aussi ce mot même s’il est fréquemment mal compris.

L’autre voie est d’adopter le profil viril, ce qui signifie souvent faire une croix sur la vie familiale. Une étude américaine parue en 2002 indique que les femmes qui réussissent sont souvent célibataires et sans enfant : c’est le cas de 49 % de celles qui gagnent plus de 100 000 dollars par an, et seulement de 19 % des hommes. Devenir manager tout en restant féminine est certes possible, mais la marge est étroite.

E & C : Aujourd’hui, de plus en plus d’hommes, surtout les jeunes, ne veulent plus sacrifier leur vie privée à l’entreprise. Cela peut-il faire bouger les choses ?

G. P. : Il est vrai que l’homme s’hystérise. De nouveaux profils masculins apparaissent qui remettent en cause la logique du travail et souhaitent se ménager une vie privée. C’est le fait de la génération Y. Mais il faut bien voir que la compétition est mondiale et qu’il existe une telle pression pour maintenir les organisations classiques que cela me semble être la bataille du pot de terre contre le pot de fer. Souvenons-nous aussi que les modes d’organisation plus autonomes, à la suédoise, se sont fait ratatiner. On est dans des organisations à process, à flux tendu. Les autres modèles restent à la marge du système.

E & C : Est-on condamné à rester dans ces schémas archaïques ?

G. P. : Non, mais il ne faut pas se bercer d’illusions et rester raisonnable dans ses attentes. Le Bureau international du travail estime qu’au rythme actuel, il faudra 475 ans pour arriver à la parité ! On peut aussi voir les choses autrement. Certes, les femmes ne sont pas aux postes de pouvoir dans les organisations. Mais elles ont le pouvoir dans la vie privée, ce qui est très important. Elles-mêmes contribuent à la lenteur du processus, faut-il le préciser, en investissant davantage inconsciemment leurs fils que leurs filles. Fils qui n’auront qu’une idée ensuite : échapper à leur pouvoir en se réfugiant dans l’entreprise. Et le cycle continue !

E & C : Quels conseils donneriez-vous aux responsables RH en charge de la parité ?

G. P. : Tout ce qui permet d’ouvrir les parcours professionnels est essentiel : élargir le recrutement à une plus grande diversité de profils, promouvoir la formation continue sur l’ensemble de la vie au travail, fluidifier les parcours. En revanche, je ne crois pas à la politique des quotas, qui est contre-productive. Aux entreprises de travailler sur la souplesse et la fluidité dans les parcours professionnels pour faire, peu à peu, tomber les digues et favoriser l’évolution des mentalités. Aux femmes aussi de développer des stratégies de reconnaissance d’un autre discours dans l’entreprise.

PARCOURS

• Gérard Pavy est sociologue, consultant, psychanalyste et coach. Il conduit plusieurs séminaires à Sciences Po et enseigne dans le MBA d’HEC.

• Titulaire d’un MBA de Wharton et d’un DEA en sociologie de Sciences Po, il a fondé Pavy Consulting et l’Institut La Fontaine.

• Il est l’auteur de plusieurs ouvrages analysant les ressorts cachés des organisations : La logique de l’informel (éd. d’Organisation, 2002), Dirigeants-salariés, les liaisons mensongères (éd. d’Organisation, 2004), La parité : enjeux et pièges, la dynamique des sexes au travail (éd. L’Harmattan, 2010).

SES LECTURES

• Quand les femmes s’éveilleront – Oser le féminin, Valérie Colin-Simard, Pocket, 2009.

• Executive women and the myth of having it all, Sylvia Ann Hewlett, in Harvard Business Review, avril 2002.

• Masculin/féminin. La pensée de la différence, Françoise Héritier, Odile Jacob, 1996.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET