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Les pratiques

La longue lutte des fonctionnaires exposés à l’amiante

Les pratiques | Retour sur… | publié le : 25.05.2010 | HÉLÈNE TRUFFAUT

Dénoncer la présence massive d’amiante, faire reconnaître l’exposition des agents et leur obtenir un suivi médical adéquat. Un combat qui dure depuis plus de trente ans pour les équipes syndicales de l’ancien bâtiment administratif Tripode, à Nantes, aujourd’hui retracé dans un documentaire.

Le 10 juin prochain sera projeté, à Nantes, un documentaire sur les “amiantés du Tripode” : 52 minutes d’interviews et de documents d’époque qui retracent l’histoire de la tour Beaulieu à Nantes. Et des quelque 1800 agents de l’Insee, du Trésor public et du ministère des Affaires étrangères qui ont travaillé, entre 1972 et 1993, dans ce bâtiment truffé d’amiante.

« L’inquiétude a commencé à nous gagner dès 1977 », raconte Francis Judas, délégué CGT à l’Insee et représentant de l’intersyndicale amiante du Tripode. Recouverte d’une simple couche de peinture, l’amiante floquée s’échappe des plafonds et retombe en fine poussière sur les bureaux, comme à Jussieu. Alors que les syndicats des différentes administrations s’unissent pour dénoncer le danger, les directions jouent l’apaisement.

En 1989, l’administration des Finances se dote de comités d’hygiène et de sécurité (CHS) départementaux dotés d’un budget propre. L’intersyndicale monte au créneau et le Tripode devient la priorité du CHS de Loire-Atlantique. Une première étude est lancée en 1990. Le rapport révèle un taux de particules d’amiante dans l’air anormalement élevé, mais inférieur à la norme de l’époque.

Evacuation et destruction de la tour

Au sein du personnel, cependant, la pression monte. Et, en 1991, le ministère de l’Economie et des Finances décide l’évacuation. « A aucun moment, il n’a été question d’amiante », affirme Lucette Joussemet, déléguée Asam-Unsa au ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE), dont les agents sont les derniers à lever le camp à l’automne 1993. En 2005, la tour sera détruite… Après avoir été délestée de 350 tonnes d’amiante.

Mais après l’évacuation, les agents transférés sur d’autres sites se voient simplement proposer un suivi médical (radio pulmonaire et examen respiratoire) tous les cinq ans. Très vite, les syndicats réclament une étude épidémiologique. Puis la reconnaissance en maladie professionnelle pour deux électriciens quadragénaires décédés en 1995 et 1999. Promise en 1999, l’étude ne sera menée qu’en 2004, sur la base d’examens déjà effectués, dont des radios inexploitables. Une seconde étude est lancée en 2006 pour comparer la population du Tripode à un groupe de référence externe. Les résultats vont se faire attendre longtemps.

Bras de fer avec Bercy

En 2007, le ton se durcit, les agents se mobilisent. Les syndicats réclament un nouveau suivi médical avec scanner. Ainsi qu’une reconnaissance par l’administration du caractère spécifique et massif de l’exposition et le classement du bâtiment en site amianté. Le scanner est accordé, sur la base du volontariat. Tandis que le MAEE – qui fait face à un premier cas de mésothéliome (cancer directement lié à l’amiante) – semble prendre toute la mesure du problème, les syndicats poursuivent leur bras de fer avec Bercy. Ils dénoncent la lourdeur de la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle et jugent la prise en charge du personnel inadaptée. « Mi-2008, aucun scanner n’avait été passé et, jusqu’à mi-2009, aucun agent du Trésor public n’avait entamé de démarche de reconnaissance », témoigne Francis Judas.

La situation se crispe à l’annonce, en 2008, du projet de documentaire, dont Bercy tente de bloquer le financement. Colère de l’intersyndicale qui, à l’automne 2009, fait monter la pression à l’occasion de négociations sur la santé au travail dans la fonction publique. En fin d’année, Christine Lagarde, ministre de l’Economie, et Eric Woerth, alors ministre du Budget, confirment le suivi par scanner tous les six ans. Ainsi qu’une amélioration des procédures de reconnaissance de maladies professionnelles des agents du Tripode, pour qui s’appliquera le principe de présomption du lien de causalité entre les pathologies détectées et l’exposition à l’amiante.

Pas de classement en site amianté

René Mayer, délégué CFDT Finances, attend maintenant une centralisation et une gestion informatisée des données médicales. « C’est en bonne voie, explique-t-il. En revanche, nous sommes dans l’impasse pour le classement du Tripode en site amianté, qui permettrait aux agents d’accéder à une préretraite, comme les salariés du privé. »

« La loi ne prévoit rien pour les fonctionnaires et Bercy est intraitable sur point », abonde Francis Judas, qui espère que le film suscitera le débat. Contacté à plusieurs reprises, le ministère du Budget n’a pas donné suite.

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT