logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Des postes conçus par ceux qui les occupent

Enquête | publié le : 25.05.2010 | VIOLETTE QUEUNIET

En simulant leur activité sur une plate-forme de réalité virtuelle, les opératrices de la fromagerie Milleret ont permis d’améliorer l’ergonomie de leur futur poste de travail. Des changements dans l’organisation permettent aussi de contenir les TMS.

Concevoir une nouvelle ligne de conditionnement en intégrant les normes ergonomiques, c’est bien. Permettre à ses futurs utilisateurs de l’expérimenter à l’avance pour pouvoir en corriger les défauts, c’est mieux… et c’est ce que permet la réalité virtuelle. Des opératrices de la fromagerie Milleret, sur le territoire de Belfort, en ont fait l’expérience, sur la plate-forme aménagée à cet effet dans un laboratoire de l’université de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM). Equipées d’un casque, elles ont vu défiler les fromages sur leur futur poste et se sont mises au travail. « Dans notre jargon, nous appelons cela une “situation intermédiaire réaliste”: la personne travaille sur ce nouveau poste comme elle l’entend, sur la base de ses points de repère, de ses savoirs et de ses savoir-faire. Cela lui permet de s’approprier le poste, et de valider ou non tel ou tel aspect », explique Jean-Claude Sagot, directeur du département Ergonomie, design et ergonomie mécanique de l’UTBM, et responsable de l’équipe Ergonomie et conception des systèmes (Ercos).

Anticiper les problèmes de conception

Autour de la plate-forme, l’ensemble des acteurs intervient sur la conception du poste de travail (ingénieurs production, qualité, méthode). Thierry Martin, patron de Milleret, témoigne de l’intérêt de cet outil. « Cela nous a permis d’anticiper des problèmes de conception qu’on aurait rencontrés lors de la mise en service. Par exemple, les opératrices nous ont dit qu’elles étaient trop éloignées de leur poste. On avait conçu la ligne selon les normes ergonomiques standards, qui n’étaient pas adaptées à notre personnel. La hauteur a donc été baissée. »

Co-conception

Jean-Claude Sagot insiste, pour sa part, sur la dimension de « coconception » propre à la plate-forme virtuelle. « C’est un système d’aide à la prise de décision, à la conception et à la coopération entre les métiers », résume-t-il. Ainsi “co-conçue”, la nouvelle ligne a été ensuite fabriquée par un sous-traitant et livrée à l’entreprise. Temps d’étude et de conception : moins de trois mois. Au total, 24 ouvrières sont concernées par ce nouvel aménagement.

En participant à cette expérience*, Thierry Martin cherchait aussi à réduire les TMS, qui avaient fait grimper sa cotisation AT-MP (7 TMS avaient été déclarés entre 2000 et 2004). Le volet ergonomique n’a d’ailleurs été qu’un des leviers d’action. Avec un groupe de travail intégrant le CHSCT, le médecin du travail, les opératrices et les ingénieurs, le dirigeant a agi sur la prévention des TMS. Sur les conseils du médecin du travail, il a favorisé les rotations de postes, afin d’éviter les gestes répétitifs.

L’aspect organisation du travail a aussi été pris en compte. Ainsi, les opératrices sont maintenant prévenues à l’avance de la quantité de fromages à emballer et savent à quelle heure elles pourront partir. L’absence de communication sur ce sujet était en effet une source de stress – qui joue un rôle dans l’apparition des TMS – pour ces femmes qui sont aussi pour la plupart mères de famille.

Implication des salariés pour la première fois

Cinq ans après l’introduction de cette nouvelle ligne de conditionnement, l’entreprise n’a plus déclaré de TMS. Mais le dirigeant, comme le médecin du travail, restent prudents. « On ne peut pas en tirer encore de conclusion. L’entreprise a eu en tout cas une bonne démarche en associant les salariés dans un travail collectif », observe le Dr Bénilde Feuvrier, médecin du travail. C’était d’ailleurs la première fois que Milleret, pourtant imprégnée de la culture projet, impliquait les salariés.

Thierry Martin reconnaît que les opératrices parties prenantes ont été des « moteurs dans l’intégration de la ligne, et le relais du changement auprès de leurs collègues ». Le chef d’entreprise a des projets de mécanisation sur d’autres lignes et compte bien se rapprocher de l’équipe Ercos de l’UTBM. « Nous reprendrons les mêmes outils pour ne pas faire d’erreurs. »

* Une expérimentation menée dans le cadre d’une action de prévention durable des TMS, financée par la DRTEFP et associant Fact (Franche-Comté amélioration des conditions de travail) et l’UTBM, équipe Ergonomie et conception des systèmes du Laboratoire systèmes et transports.

MILLERET

• Activité : transformation laitière, production de fromages à pâte molle et d’Emmental.

•  Effectifs : 129 salariés.

•  Chiffre d’affaires 2009 : 48 millions d’euros.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET