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Les pratiques

Le Club Med joue la transparence

Les pratiques | publié le : 11.05.2010 | EMMANUEL FRANCK

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Le Club Med joue la transparence

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Le Club Méditerranée a soumis ses recrutements et l’évolution professionnelle de ses salariés à une analyse statistique d’une ampleur inégalée en France, afin de détecter d’éventuels risques de discriminations. Les résultats, qu’Entreprise & Carrières livre en exclusivité, sont plutôt bons, mais quelques points méritent de progresser.

L’exercice auquel s’est livré le Club Méditerranée est unique en France. Il est déjà rare de soumettre à l’analyse ses processus de recrutement et les trajectoires de ses salariés au risque, probable, d’y rencontrer des phénomènes discriminatoires. Le faire à une telle échelle l’est encore plus : 19 000 candidatures et 26 000 salariés étaient couverts. Quant à mettre les résultats sur la place publique… Les entreprises qui l’ont fait se comptent sur les doigts d’une main : Casino, Adecco, et maintenant le Club Méditerranée ; plus discrètes : PSA, L’Oréal, Air France.

Le Club Méditerranée a confié à l’association ISM-Corum, qui avait déjà diagnostiqué Casino et réalisé un testing pour le compte du Bureau international du travail, le soin de mener deux enquêtes statistiques destinées à comparer, d’une part, le traitement des candidats à l’embauche selon leur sexe et leur origine supposée (telle qu’évoquée par le prénom), d’autre part, la situation professionnelle et le parcours des salariés selon ces deux mêmes critères. L’anonymat des personnes était respecté ; la méthode avait reçu l’approbation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Des résultats globalement satisfaisants

Les résultats de ces études sont globalement satisfaisants, mais n’excluent pas quelques phénomènes discriminatoires. En résumé, il ressort que les femmes et les hommes sont traités à peu près de la même manière, ce qui est moins vrai pour les personnes avec un prénom extra-européen ; que certaines filières (par exemple la plonge) ont tendance à s’ethniciser ; et qu’il y a peu de passages du statut de “gentil employé” (GE) au statut de “gentil organisateur” (GO : statut en général plus valorisé).

« On se reconnaît : les études ne font pas apparaître de risques discriminatoires majeurs, même s’il y a des résultats qui nécessitent que l’on fasse évoluer les situations concrètes, ce que nous ne nions pas », déclare Karine Tessier, directrice des affaires sociales, pour qui l’exercice s’inscrit « dans une démarche de progrès ».

Autocensure

La première étude, portant sur les candidatures, fait d’abord apparaître des phénomènes d’autocensure. Ainsi, l’hébergement, une fonction qui a plutôt l’image de manquer de perspectives professionnelles au sein du Club Méditerranée, a reçu bien plus souvent, au niveau GE particulièrement, des candidatures féminines que masculines ; et, parmi les femmes mais aussi les hommes qui y ont postulé, les porteurs d’un prénom discriminant sont en plus forte proportion que les autres, notent les auteurs, Eric Cédiey et Fabrice Foroni, respectivement directeur et chargé d’études à ISM-Corum.

Constat inverse pour la fonction GO-Loisirs, davantage valorisée. Les postulations « concernent 39 % des candidatures des femmes ayant une formation générale supérieure au bac et portant un prénom non-discriminant, contre 23 % seulement de celles des femmes de même niveau mais portant un prénom discriminant ».

De ces comportements, le Club Méditerranée n’est finalement pas comptable. En revanche, l’issue donnée aux candidatures (refusées ou acceptées) relève bien de sa responsabilité.

L’étude ne repère pas d’écarts significatifs entre les taux de refus des candidatures des femmes et des hommes : 87 % de refus pour les premières, 86 % pour les seconds. Les femmes porteuses d’un prénom discriminant sont traitées à l’égal des autres femmes. En revanche, « les candidats porteurs d’un prénom discriminant ont été un peu plus fréquemment refusés que les autres » : 85 % de refus quand le prénom n’est pas discriminant ; 89 % lorsqu’il l’est. « Cet écart n’a rien de colossal, mais il est statistiquement significatif vu les effectifs impliqués », relève Eric Cédiey.

Risque de discrimination dans les recrutements

Le phénomène se confirme lorsqu’on regarde les probabilités d’acceptation des candidatures au sein des trois grandes filières (GE-Hôtellerie, GO-Hôtellerie et GO-Loisirs). Les hommes et les femmes sont traités de la même manière, ainsi que les personnes portant un prénom discriminant lorsqu’elles postulent à un poste de GE. En revanche, il y a des écarts entre les candidatures à des postes de GO selon la consonance des prénoms. Ainsi, 13 % des candidats à un poste de GO en hôtellerie dont le prénom n’est pas discriminant ont été acceptés, contre 8 % lorsque leur prénom l’est. « Ces résultats ne semblent pas pouvoir être expliqués par un manque de qualification […]. En l’état des données disponibles, il faut donc soulever ici l’hypothèse d’un risque de phénomène discriminatoire […] dans les recrutements vers des emplois de GO », relèvent les auteurs.

Par ailleurs, les rejets de candidature dès la lecture du CV – donc à la première étape – ont été un peu plus fréquents à l’encontre des candidates que des candidats, essentiellement pour cause d’« insuffisance de disponibilité ». « Le Club Méditerranée pourrait ici se trouver confronté, au moins en partie, aux difficultés classiques que les contraintes de disponibilité entraînent pour l’égalité des chances des femmes dans l’emploi, sur fond d’équilibre entre vies professionnelle et familiale », relève l’étude.

Progressions de carrière

La seconde étude, qui s’appuyait sur les fichiers du personnel, portait sur les progressions de carrière des GE et des GO. Il en ressort que les GE portant un prénom discriminant sont surreprésentés à la “plonge”, quelle que soit leur ancienneté (sauf après plus de vingt saisons). Ainsi, 40 % des hommes recrutés comme GE en 2006-2007 et porteurs d’un prénom extra-européen travaillent à la plonge, contre 14 % de ceux portant un prénom non-discriminant. A l’inverse, les GE porteurs d’un prénom non-discriminant apparaissent de plus en plus concentrés, à mesure que l’ancienneté s’élève, dans les services techniques.

« Effectivement, certaines filières, dont la plonge, dans laquelle viennent régulièrement travailler, chaque saison, beaucoup de salariés comoriens et sénégalais, ont tendance à s’ethniciser. Mais il faut dire que ces candidatures fonctionnent beaucoup en réseau et par interconnaissances : les salariés contribuent donc eux-mêmes à cette ethnicisation. L’étude nous a permis de prendre conscience du phénomène et nous devons veiller, quand l’ancienneté augmente, à proposer ici autant de possibilités de mobilité professionnelle qu’ailleurs », explique Karine Tessier.

Par ailleurs, l’étude fait apparaître des écarts entre les trajectoires des GE selon leur sexe et leur prénom. Ainsi, les hommes GE portant un prénom discriminant accèdent en moindre proportion, au fil de leur ancienneté, à un contrat permanent. Au début, tous les GE sont recrutés en contrat saisonnier, mais après vingt ans d’ancienneté, l’étude repère un retard global important dans l’accès à un contrat permanent pour les prénoms discriminants. « Ce point est l’exemple même d’un écart repéré par les statistiques qui a réclamé que le Club Méditerranée se penche sur les situations concrètes de deux ou trois villages », explique Eric Cédiey.

En outre, les femmes GE et les hommes GE porteurs d’un prénom discriminant accèdent plus rarement à un poste de GO. « D’une manière générale, le statut de GE offre moins d’opportunités de carrière, du fait qu’il y a un moindre nombre de métiers sous statut GE. Et c’est le passage de GE à GO qui permet une réelle progression hiérarchique, car les postes de managers sont sous statut GO. Or il faut admettre qu’il y a assez peu de passages d’un statut à l’autre. Mais nous avons peu de demandes en ce sens, sans doute parce qu’être GO implique de vivre en permanence dans le village, et d’être mobile géographiquement. En revanche, lorsque nous avons des demandes, nous y accédons si la personne a les compétences pour tenir le poste », explique Karine Tessier.

A l’intérieur du statut de GO, les progressions sont plus égalitaires : l’impact de la consonance du prénom et du sexe se réduit avec l’ancienneté. A mesure que l’ancienneté augmente, les hommes GO sont de plus en plus souvent détenteurs d’un contrat permanent, sur un poste “normal” (pour la totalité de la saison et non ponctuellement en renfort), et à responsabilité, quel que soit leur prénom. L’examen comparé des carrières entre les hommes et les femmes aboutit aux mêmes conclusions. Par contre, un écart persiste avec l’ancienneté dans les fonctions sports, où les hommes porteurs d’un prénom discriminant se trouvent en moindre proportion que les autres.

Lancement d’un “chantier diversité”

Afin de réduire les écarts de traitement, le Club Méditerranée lancera en mai un “chantier diversité”, intégré au projet d’entreprise, qui mettra en œuvre les 20 préconisations du rapport d’ISM-Corum validées par les délégués syndicaux. Parmi elles : supprimer du dossier de candidature la question relative à la situation familiale ; ne plus faire figurer le nom et le lieu de naissance des parents du candidat, ni la photo de ce dernier (éléments indispensables à l’établissement d’un visa) sur son dossier de candidature, mais dans une enveloppe à part ; sensibiliser les professionnels RH afin qu’ils suscitent des mobilités de GE à GO parmi les femmes et les porteurs d’un prénom discriminant ; faire procéder à un testing sollicité ; former en interne aux risques de discrimination…

L’essentiel

1 Afin d’évaluer les risques de discriminations générés par ses procédures RH, le Club Méditerranée a fait réaliser deux enquêtes statistiques d’une ampleur inégalée en France.

2 Il en ressort que les femmes sont traitées à peu près à l’égal des hommes, mais qu’il existe des discriminations à l’encontre des salariés d’origine extra-européenne.

3 Le Club Méditerranée met en place des mesures pour corriger les écarts de traitements, dans le cadre d’un “chantier diversité” qui doit être lancé ce mois-ci.

Méthodologie des enquêtes

→ Les deux études réalisées au Club Méditerranée ont été menées et financées dans le cadre du projet Averroès (Actions visant l’égalité sans distinction de race de religion ou d’origine dans l’emploi et les services), issu du programme européen Equal. Le projet a été mené entre fin 2005 et fin 2008. Il a donné lieu à un rapport de 90 pages officiellement finalisé en novembre 2009. Les syndicats ont collaboré à l’ensemble de la démarche.

→ La première étude portait sur 19 000 candidatures déposées sur le site de e-recrutement du Club Méditerranée entre le 6 juin 2007 (entrée en activité du nouveau site) et le 29 février 2008.

→ La seconde étude, réalisée à partir des fichiers du personnel, portait sur 26 000 salariés du périmètre Club Méditerranée S.A., employés sous droit français par l’entreprise, soit qu’ils aient été recrutés en France, soit qu’ils travaillent en France.

→ Une première approche a consisté à comparer les situations des salariés présents en 2006-2007 (fonctions, contrats, types de postes), qu’il s’agisse de leur première saison ou en les répartissant sur différentes classes d’ancienneté (jusqu’à plus de vingt saisons). Une seconde approche a consisté à comparer les évolutions des salariés entrés en 2001-2002 (accessions au statut de GO, à un poste de responsable) selon leur durée de présence ultérieure au Club Méditerranée (jusqu’à dix saisons et plus).

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK