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« Le web 2.0 remet en cause le management »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 11.05.2010 | PROPOS RECUEILLIS PAR VIOLETTE QUENIET

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« Le web 2.0 remet en cause le management »

Crédit photo PROPOS RECUEILLIS PAR VIOLETTE QUENIET

La révolution numérique en cours, celle du web 2.0, n’est pas technologique mais sociale et culturelle. Elle reste encore largement incomprise des entreprises parce qu’elle remet en cause la hiérarchie et les modes de management.

E & C : Selon vous, il se produit avec le web 2.0 une révolution douce qui est l’œuvre de citoyens ordinaires et non d’experts en high tech. Une révolution qui déroute les entreprises. Pourquoi ?

Christophe Deshayes : Jusqu’à présent, l’entreprise a toujours été l’endroit de l’innovation technologique pour une raison simple : la technologie coûte cher, du moins à ses débuts, et seule l’entreprise peut se l’offrir. Cela a été le cas avec l’informatique.

Aujourd’hui, les technologies numériques sont la fusion de l’informatique, des télécommunications et de l’audiovisuel. Certes, ce qui rend le maillage possible est l’informatique. Mais si l’on observe les usages, les personnes qui passent du temps sur les sites relevant du web 2.0 – les réseaux sociaux tels que MSN, Facebook, Twitter, YouTube… –, utilisent des technologies qui viennent du téléphone et de l’audiovisuel. Ce sont davantage des technologies de la communication que de l’information. Celles-ci ne coûtent rien et, pour la première fois, tout le monde s’en saisit avant l’entreprise. La dynamique à l’œuvre est profondément relationnelle et sociale, et non pas technique. On trouve dans le numérique des gens qui ont des envies et qui ont du temps : jeunes, retraités, chômeurs, personnes à la recherche d’une identité qu’ils n’ont pas toujours dans la vie réelle. Et, parmi eux, il y a des gens assidus qui font des choses très impressionnantes. C’est un monde mal compris par les élites du monde réel. Mais, comme leur poids est considérable – les communautés rassemblent en effet 1 milliard d’individus – les entreprises s’y intéressent. Avant tout pour faire du chiffre d’affaires : le métier de community manager, dont le rôle est de développer la notoriété et surtout l’influence de la marque, progresse à grande vitesse. Mais elles s’y intéressent aussi parce que ces technologies pourraient mobiliser autrement les collaborateurs, notamment les jeunes générations qui n’ont pas envie de se fondre dans un moule trop hiérarchique.

E & C : Vous faites allusion aux pratiques d’entraide et de contribution, à l’œuvre dans les communautés numériques. Comment les entreprises pourraient-elles s’en inspirer ?

C. D. : En mettant en place des outils collaboratifs. Il ne s’agit pas des outils habituels, sur lesquels les gens travaillent déjà depuis longtemps avec un administrateur, des codes, des mots de passe, et qui supposent une communauté de travail décidée par un manager. Cette fois, il s’agit de faire émerger des réseaux sociaux qui n’existaient pas ou qui mériteraient d’être développés, et ce à partir des pratiques réelles de fonctionnement de l’entreprise. On sait très bien qu’une entreprise ne se résume pas à son organigramme, à ses processus ni à ses modes d’organisation. C’est souvent par des compétences non reconnues – connaître la bonne personne au bon endroit, par exemple – que les problèmes se résolvent. C’est ce que j’appelle l’effet machine à café : c’est complètement informel, non organisé, mais très efficace. Il y a donc un enjeu considérable à développer, dans le contexte de l’entreprise, ce type de communauté. Les entreprises n’ont pas suffisamment réfléchi à ce que cela implique et préfèrent aborder le sujet par les outils informatiques. Mais les gens ne collaborent que s’ils ont envie de le faire. Une communauté ne se manage pas.

E & C : Qu’en pensent les DRH ?

C. D. : Ce sont sans doute ceux qui freinent le plus, car ils ont bien compris tout ce que cela remet en cause. Le mode de fonctionnement d’une communauté numérique heurte toutes les représentations classiques du management de ces trente dernières années. Sur une communauté, j’expose un profil et je reçois des évaluations par mes pairs, comme les notes sur eBay. Si j’ai de bonnes évaluations, je suis considéré par le groupe comme quelqu’un à écouter. Dans l’entreprise, cela signifie que ce n’est plus la hiérarchie qui m’évalue mais mes pairs ! Et ce, dès l’exposition du profil : je me déclare compétent dans un domaine qui ne correspond pas forcément à mon poste. Cela remet en cause la représentation que l’on a de l’entreprise et de sa hiérarchie !

E & C : La communauté est-elle l’ennemi de l’organisation ?

C. D. : La communauté professionnelle est un mode d’organisation historique. On a tenté et presque réussi à l’éradiquer. Pour réduire les coûts, le ’modèle“ gestionnaire n’a pas voulu laisser ces communautés organiser leur travail elles-mêmes. L’actuel engouement pour les communautés s’explique certes par le web 2.0 et les réseaux sociaux, mais aussi par le constat des limites du “tout-processus”. Ecoutez l’éloge actuel de l’agilité !

Les entreprises s’intéressent donc au travail collaboratif, une manière acceptable de parler de communautés. Elles pourront y gagner, mais ne soyons pas angéliques : le communautarisme, fût-il virtuel, reste un communautarisme. La communauté signifie de l’entraide pour ceux qui sont à l’intérieur. Elle inclut, mais elle exclut aussi tous ceux qui n’en font pas partie, et éventuellement les autres communautés qui sont en concurrence. Les communautés numériques ne recèlent donc pas que du positif. Pour en tirer tout le profit et ne pas en rencontrer trop tôt les effets pervers, les entreprises doivent prendre le temps d’y réfléchir et de travailler la question sérieusement.

PARCOURS

• Christophe Deshayes dirige Documental, qu’il a créé en 1996 et qu’il définit comme un « observatoire impertinent des systèmes d’information ». L’observatoire apporte aux entreprises des clés de lecture pour les aider à réfléchir sur les évolutions des TIC et de leurs usages.

• Diplômé de l’Inseec, il a travaillé auparavant dans de grandes sociétés de services en ingénierie informatique.

• Il est l’auteur de nombreux articles sur les technologies de l’Internet et vient de publier, avec Michel Berry et l’Ecole de Paris du management, Les vrais révolutionnaires du numérique (éd. Autrement), complété par le site <www.revolutionnairesdu numerique.com>.

LECTURES

• L’identité à l’ère numérique, Eric Freyssinet, Guillaume Desgens-Pasanau, éd. Dalloz, 2009.

• Le futurisme de l’instant : Stop-Eject, Paul Virilio, éd. Galilée, 2009.

• Cultures adolescentes. Entre turbulence et construction de soi, ouvrage dirigé par David Le Breton, éd. Autrement, 2008.

Auteur

  • PROPOS RECUEILLIS PAR VIOLETTE QUENIET