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Enquête

La rupture dans la continuité

Enquête | publié le : 04.05.2010 |

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La rupture dans la continuité

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Selon l'enquête exclusive Inergie-ANDRH-Entreprise & Carrières, la réforme de la représentativité syndicale ne bouleverse pas le dialogue social dans les entreprises.

Révolutionnaire sur le papier, la loi du 20 août 2008 rénovant la démocratie sociale ne bouleverse pas la donne dans les entreprises. Plus de la moitié (54%) des DRH interrogés par Inergie déclarent que cette réforme n'a pas modifié leur paysage syndical. Ce résultat peut signifier deux choses : soit les élections nouvelle formule ont eu lieu et les salariés-électeurs ont reconduit les mêmes syndicats qu'auparavant, soit les élections n'ont pas encore eu lieu. La réforme se met en effet en place progressivement, entre août 2008 et août 2013. Ce n'est que cette année-là que la révolution aura lieu, lorsque le ministère du Travail publiera la liste des organisations syndicales représentatives au niveau national. Et comme les seuils déclenchant la représentativité (10% dans les entreprises ; 8% dans les branches et l'interpro) seront soumis à une évaluation d'ici au 31 décembre 2013 (art. 16 de la loi du 20 août), il n'est pas impossible qu'ils évoluent.

Une réforme cruciale pour les syndicats

En attendant, au milieu du cycle, il est logique que toutes les entreprises n'aient pas encore organisé leurs élections. D'autant que, dans beaucoup d'entre elles, les scrutins sont retardés, le temps, pour les partenaires sociaux, de s'approprier les nouvelles règles. Ce qui n'est pas toujours simple, comme chez Capgemini, où la négociation du protocole préélectoral a pris pratiquement dix mois (lire ci-contre). Il faut dire que l'enjeu des élections est fort pour les DRH, mais surtout pour les syndicats, dont certains jouent leur survie.

Lorsque le paysage syndical est modifié, la conséquence est d'abord une « réduction du nombre d'organisations représentatives » (21% des répondants), puis un « changement des interlocuteurs » (13%). Certains syndicats, jusqu'alors représentatifs, perdent cette qualité faute d'obtenir 10% des suffrages, tandis que d'autres l'acquièrent en franchissant ce seuil dans le bon sens.

Il en résulte un resserrement et, plus rarement, un renouvellement du paysage. Ainsi, à l'issue des élections de mars 2009 à la SNCF, il ne reste plus que quatre syndicats représentatifs au niveau national (CGT, Unsa, SUD, CFDT). L'arrivée de nouveaux syndicats est plus rare.

Moins de diversité dans la représentation syndicale

« Nous ne constatons pas de créations massives de syndicats, du fait de la faiblesse du vivier de militants », relevait ainsi Charles-Louis Molgo, chef du bureau des relations collectives du travail à la Direction générale du travail du ministère, au cours d'un colloque organisé par l'Association française d'étude des relations professionnelles (Aferp). Le scénario que les DRH craignaient par-dessus tout ne se réalise donc pas, ou très partiellement.

De même, seuls 16% estiment qu'il est désormais plus difficile de conclure des accords, alors que, pour être valides, ils doivent en effet avoir été signés par des syndicats ayant recueilli 30% des suffrages et n'avoir pas fait l'objet d'une opposition (50%), ce qui oblige les DRH à rechercher des majorités.

Enfin, l'enquête Inergie confirme que le volet de la loi relatif aux carrières syndicales est quasiment oublié puisque seuls 8% des DRH déclarent avoir engagé une réflexion sur cette question, alors qu'il s'agit d'une obligation.

Raphaël Doutrebente DRH de Brittany Ferries

« La loi du 20 août 2008 a pour principale vertu d'avoir clarifié la représentativité des syndicats, puisque celle-ci est maintenant essentiellement fonction de l'audience.

Cette réforme a toutefois plusieurs limites. La principale critique que je lui fais - il est vrai que ce n'était pas l'objet de la loi - est de ne pas traiter du problème du taux de syndicalisation, faible chez les salariés français. Si les syndicats n'avaient pas à se préoccuper des adhésions, ils pourraient davantage se concentrer sur les débats et les enjeux de l'entreprise. De ce point de vue, le système belge, dans lequel l'adhésion est directement prélevée sur la feuille de paie, me semble plus vertueux. Lors de la campagne pour l'élection présidentielle en France, il avait été un moment question d'adhésion obligatoire. Il est dommage que cette proposition n'ait pas eu de suite.

Une autre limite de cette réforme est qu'elle conduit à ce qu'un syndicat puisse être représentatif dans un établissement, mais pas sur l'ensemble de l'entreprise et inversement, ce qui complique encore davantage les relations sociales. Comme d'ailleurs la réduction du nombre de syndicats en capacité de négocier : auparavant, lorsque des syndicats minoritaires signaient, les syndicats majoritaires étaient obligés, à tout le moins, de s'interroger sur leur position. Ces derniers sont maintenant beaucoup plus sûrs d'eux.

Enfin, dernière critique : un syndicat, même majoritaire, ne représente vraiment l'opinion des salariés que dans le cas où le taux de participation a été relativement élevé. Il est vrai que la critique vaut pour toutes les élections. »

Capgemini : un an pour organiser des élections

Après de multiples péripéties, les salariés de Capgemini votent pour leurs 29 CE et DP... et pour donner la légitimité à certains des 9 syndicats présents dans l'entreprise.

Chez Capgemini (20 000 salariés), les élections professionnelles n'ont rien d'un long fleuve tranquille. Les négociations pour les organiser, entamées en mai 2009, n'ont pris fin qu'en février 2010. Et, après le dépouillement du premier tour prévu le 6 mai, il faudra sans doute attendre la fin du second tour programmé le 22 juin, avant de pouvoir mettre en place les instances représentatives du personnel.

Avec la loi d'août 2008 sur la représentativité syndicale, les nouvelles règles et le nouvel enjeu des élections ont accentué les difficultés et multiplié les sources de contentieux au sein d'une UES comprenant de multiples entités. Certains syndicats voulaient davantage de mandats au CE, d'autres plus de délégations du personnel. « Après des mois de négociations, nous avons dû demander l'arbitrage de la DDTE qui a validé le découpage que nous proposions, soit 14 CE et 29 DP, détaille Jacques Adoue, DRH de Capgemini. Pour certaines dispositions, il fallait la majorité et, dans d'autres cas, l'unanimité, objectif d'autant plus difficile à atteindre quand les négociations se déroulent avec 9 syndicats. » L'unanimité requise pour prolonger les mandats prenant fin en septembre 2009 a alors été acquise. Mais elle ne l'a pas été pour maintenir le collège unique traditionnel dans le groupe, car la CGC réclamait un collège cadres au CE.

Accords spécifiques

Le DRH a donc renoncé au protocole préélectoral et opté pour des accords spécifiques, parfois avec les seuls 5 syndicats historiques. Ou bien avec 7 organisations, en conviant SUD et l'Unsa qui disposaient déjà de représentants de section syndicale. Ou encore avec les 9 organisations en incluant les nouveaux venus, Capgemini action sociale et Mouvement pour la démocratie sociale (MDS), vainement contestés en justice par la direction et certaines organisations représentatives. « Des syndicats opportunistes », commente Jean-Marc Fournier, DS CGT de l'UES, qui, pour sa part, conteste en justice le vote électronique.

Au-delà des multiples péripéties, l'enjeu essentiel demeure. Quelles organisations syndicales parmi les 9 existantes obtiendront 10 % des suffrages au premier tour chez les candidats titulaires du CE ? Car, seules ces dernières seront représentatives et pourront désigner des délégués syndicaux pour négocier des accords d'entreprise. La direction assure tout faire pour favoriser la participation au scrutin : campagne de communication, diffusion de deux tracts par ses soins pour chaque liste, rappel des acquis du dialogue social, vote électronique. Et ce, avec la volonté affichée d'avoir des syndicats légitimés par les urnes, dans une entreprise qui s'avère le plus gros adhérent de Syntec informatique.

« Les syndicats qui seront représentatifs au sein de Capgemini France ont de fortes chances de l'être également au niveau de la branche compte tenu de la taille du groupe en France », souligne le DRH.

MARTINE ROSSARD