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Beaucoup de bruit pour rien ?

Enquête | publié le : 04.05.2010 |

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Beaucoup de bruit pour rien ?

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Moins du tiers des DRH citent l'emploi des seniors parmi leurs priorités. De quoi s'interroger sur la nature des accords ou des plans d'actions mis en oeuvre sous la contrainte légale. C'est sans doute par des dispositifs de GRH transversaux, comme la GPEC, considérée comme une préoccupation majeure par notre panel, que les entreprises abordent la question.

Vingt-six mille accords ou plans d'actions signés, 80 accords de branche : la menace de sanction financière pour les entreprises peu soucieuses de leurs salariés seniors semble avoir porté. Ainsi, parmi les entreprises représentées dans le panel de notre enquête exclusive, 44 % ont signé un accord sur l'emploi des seniors, 30 % ont engagé un plan d'actions et 7 % bénéficient d'un accord de branche.

Mesures de départ volontaire des seniors

Néanmoins, 11 % des entreprises interrogées n'avaient encore engagé aucun accord ou plan d'actions en mars dernier, et ne bénéficiaient pas d'un accord de branche : elles étaient déjà susceptibles d'être taxées par l'Urssaf à hauteur de 1 % de leur masse salariale pour chaque mois non couvert (depuis fin janvier pour les plus de 300 salariés ; à partir d'avril pour les autres). Autre enseignement : près du tiers des DRH révèlent que, dans leur entreprise, des seniors font toujours, à un titre ou à un autre, l'objet de mesures de départ volontaire, alors que 36 % seulement attestent que ce n'est pas le cas chez eux.

Par ailleurs, les chiffres du ministère du Travail ne disent pas grand-chose de l'efficacité à attendre des dispositifs mis en oeuvre dans les entreprises à la faveur de ces plans ou accords. Ces derniers imposent de prendre des mesures pour trois champs d'action sur six proposés par les décrets, et, de s'engager avec des objectifs chiffrés sur le maintien dans l'emploi des salariés d'au moins 55 ans, ou sur le recrutement de salariés d'au moins 50 ans. Ce dispositif est-il de nature à faire décoller l'emploi des seniors au-dessus de son modeste taux actuel de 38,9 %, ou à faire remonter l'âge moyen de départ au-delà de 58 ans et 9 mois ?

« Mettre une contrainte, sanctionnée financièrement et assortie d'objectifs flous dans une période de sortie de crise, ce n'était pas servir la cause des seniors, estime la sociologue Anne-Marie Guillemard, professeure à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et auteure notamment de l'Age de l'emploi. Résultat : des accords ou plans par lesquels on s'est surtout efforcé d'éviter la pénalité. » D'autant plus que les décrets ont tardé et que les circulaires d'application n'ont été connues qu'à l'été 2009. Sans surprise, pléthore de DRH et de RRH se bousculaient lors des matinées organisées dans les dernières semaines de 2009 par de grands cabinets d'avocats en droit social, afin d'éviter d'être mis à l'amende. Ainsi, de nombreux accords se fixent pour objectif de maintenir leur taux d'emploi des plus de 50 ans dans l'entreprise à son niveau actuel.

Temps partiel

L'aménagement du temps de travail et sa flexibilisation a aussi fait un tabac, alors que les préretraites ne sont plus possibles : beaucoup d'entreprises prévoient un temps partiel de fin de carrière en acceptant de cotiser sur l'équivalent d'un temps complet. Autre dispositif à succès : le tutorat, permettant une transmission du savoir-faire mieux organisée, alors que la fin de la mise à la retraite d'office ne permet plus à l'employeur d'anticiper avec certitude les flux de départ. Quant à la réduction de la pénibilité, autre champ d'action proposé, elle est généralement absente des accords. « Chez Renault, elle a été écartée d'emblée et renvoyée à une négociation ultérieure, indique Fabien Gâche, DSC CGT non signataire. En deux réunions, pressée par l'obligation légale, la direction ne pouvait pas aller sur le fond. »

Un dossier qui n'est plus à l'ordre du jour

Pour les DRH interrogés par Inergie, le dossier de l'emploi des seniors n'est pas - ou plus - prioritaire : 29 % seulement du panel le considérant comme tel. Etonnant, après la mobilisation de ces derniers mois pour faire face aux échéances ? Peut-être moins qu'il n'y paraît, dans la mesure où la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences se hisse au 2e rang des priorités revendiquées par les DRH.

Développement des compétences et accès à la formation

Or la grande majorité des entreprises refusent de traiter une génération en particulier, préférant une approche transversale, notamment par la GPEC. Les plans ou accords engagés par les DRH interrogés portent ainsi en priorité, en dehors du tutorat et de la transmission du savoir et des compétences (67 %), sur le développement des compétences et des qualifications et l'accès à la formation (63 %), et sur l'anticipation de l'évolution des carrières professionnelles (60 %). Sans surprise, la réduction de la pénibilité arrive en 5e position (47 %) et le recrutement des salariés âgés ferme la liste (24 %). Ce n'est pas par l'embauche que le taux d'emploi des seniors va s'améliorer.

Axa : sept ans de gestion des âges

Avec une moyenne d'âge de 49 ans et un tiers de l'effectif âgé de 55 ans et plus, Axa a dû se préoccuper très tôt de gérer des secondes parties de carrière. Le plan d'actions présenté par l'entreprise aux services de l'administration du travail pour faire face à la contrainte légale détaille des pratiques et reprend des objectifs qui se retrouveront dans le troisième accord de GPEC de l'entreprise, en cours de négociation.

« Parmi les six domaines d'action définis par le décret, nous souhaitons nous focaliser sur l'anticipation des carrières professionnelles, le développement des compétences et l'accès à la formation ainsi que l'aménagement des fins de carrières », précise Frédérique Bouvier, directrice emploi et compétences d'Axa France. Des pratiques que les accords de GPEC, signés depuis sept ans, ont déjà permis de mettre largement en oeuvre. Objectifs annoncés cette fois : 100 % d'entretiens de seconde partie de carrière réalisés à l'horizon 2012 ; même accès à la formation pour les salariés de plus de 55 ans et les autres (70 % contre 88 % en moyenne actuellement).

Cette politique sociale, qui a valu à l'entreprise d'être l'une des 11 de la dream team ministérielle en 2009 auditées sur leurs bonnes pratiques seniors par Vigeo, a démarré dès 2003. Le DRH de l'époque, Cyrille de Montgolfier convainc les syndicats de renoncer aux préretraites dans le cadre d'une vaste fusion des 4 entreprises qui constituent le groupe et d'une réorganisation par marchés. L'accord Cap Métiers (2003-2006) sécurise les mobilités internes, mobilise de la formation et des compétences pour l'accompagnement des reclassements. Il permet la reconversion des salariés cumulant un âge élevé et une forte ancienneté, allant des fonctions essentiellement administratives vers des activités commerciales et de front office.

L'accord suivant poursuit cette logique de mobilité. A cette époque, Axa France crée des emplois en France et au Maroc. « Il était indispensable de donner une visibilité sur les métiers en croissance en France - souscription, gestion de sinistres complexes... -, indique Frédérique Bouvier. L'accord en cours de négociation vise les mêmes objectifs de maintien dans l'emploi. En 2003, on quittait Axa en moyenne à 55 ans ; en 2013, on devra pouvoir y rester dans de bonnes conditions et, si on le souhaite, jusqu'à 65 ans. »

G. L. N.

Saïd Tazaïrt DRH de NCR France et Belgique

« Ce sujet m'inspire plusieurs considérations générales. La première concerne les syndicats : il existe une contradiction flagrante entre les revendications des confédérations et l'approche de terrain. Ils sont d'accord pour négocier sur les seniors à condition de ménager les possibilités de départ (individuelles ou collectives), mais ils rechignent à s'engager sur des objectifs précis et ambitieux. La seconde concerne l'entreprise : la réglementation a moins d'impact lorsque le taux de rotation des seniors est égal à zéro avec une très forte ancienneté. Le problème, alors, n'est pas de maintenir l'emploi, mais d'accompagner au mieux ceux qui souhaiteront faire valoir leur droit à la retraite au plus près des 60 ans ou au-delà.

Enfin, il faudrait changer la mentalité des salariés. Ceux à très forte ancienneté se sentent «propriétaires» de leur indemnité de licenciement et escomptent, dans la majorité des cas, une rupture (individuelle ou collective) aux alentours de 57 ans. L'instauration du dispositif de résiliation conventionnelle est un élément antagoniste avec une politique senior. Les 55-60 ans sont, de très loin, les plus demandeurs de ce type de rupture.

Mais cette loi a des effets positifs : elle oblige à une attention particulière en matière de formation, de conditions de travail, d'anticipation des parcours professionnels, de temps partiel... toutes problématiques qui relèvent davantage (ou tout autant) de la GPEC. Quant aux effets pervers, certains engagements, tels l'adaptation par la formation, l'évolution vers des fonctions moins pénibles de service ou de back office, ou sédentaires pour les itinérants, en vue de maintenir les seniors en emploi le plus longtemps possible sont, paradoxalement, de nature à inquiéter nombre d'employés et de partenaires sociaux. En effet, ils sont souvent perçus comme des «biais» pour maintenir le salarié le plus longtemps possible en emploi et fermer toute perspective de départ «anticipé».

Mais ce plan senior crée une forme de discrimination envers les autres catégories d'âge, en fixant les efforts sur les seniors alors qu'aucune loi, aucun programme volontariste concernant l'emploi des jeunes n'est mis en oeuvre. Lorsque que l'on connaît la difficulté et la précarité des débuts de carrière, nous pourrions légitimement nous étonner que la balance des deux pôles de l'emploi - les jeunes et les seniors - très problématiques en France soit traitée de façon aussi déséquilibrée. »