Pour Jean-Michel Denis, professeur de sociologie à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée et auteur de deux enquêtes sur l'action collective dans le secteur du nettoyage, la situation des "dames-pipi" de la Mairie de Paris, sans employeur depuis un changement de sous-traitant, est courante dans la branche.
Mardi 29 septembre, le tribunal des prud'hommes de Paris examine les dossiers de six salariées en charge du nettoyage des toilettes de plusieurs lieux touristiques parisiens. Elles sauront enfin si elles auraient dû être reprises par Sarivo PointWC, une filiale de la société 2theloo. Ce sous-traitant, qui a remporté ces marchés de la Mairie de Paris comme ceux, il y a quelques mois, des gares SNCF, refuse d'appliquer la convention collective de la propreté qui prévoit la reprise automatique des salariés. Selon lui, l'activité principale des "boutiques-toilettes" n'est pas le nettoyage.
Que pensez-vous des arguments développés par 2theloo?
Se prétendre hors de la convention collective qui doit normalement s'appliquer est un grand classique du secteur. Le repreneur peut par exemple déclarer que son activité principale est le gardiennage, l'entretien des espaces verts ou l'aménagement des bureaux…pour ne pas avoir à respecter l'annexe VII. Et pour cause, ces prestations sont déjà proposées par les entreprises de nettoyage, qui ont développé leurs services auprès de leurs clients dans le tertiaire. Ce n'est pas un hasard si la branche de la propreté inclut les "services associés"! Les entreprises, notamment les plus grandes d'entre elles, essaient de jouer là-dessus. C'est un moyen comme un autre de peser sur la convention collective de la propreté.
Les passations de marchés sont fréquentes dans le secteur du nettoyage. Comment les salariés les vivent-ils?
Ces personnels sont davantage liés à leur lieu de travail qu'à leur employeur. Il n'empêche que les passations dégradent les conditions de travail. Les marchés se négocient à la baisse et très régulièrement. La concurrence est rude pour remporter les marchés. Pour honorer les contrats, les cadences augmentent. Lors d'un transfert de personnel, il peut donc y avoir de grandes inquiétudes. En particulier sur les petits chantiers, où la présence syndicale est faible. Lorsque les primes d'ancienneté ou le 13ème mois n'apparaissent plus sur les fiches de paye, ces employées défilent auprès des permanences juridiques tenues par les organisations syndicales. Et peuvent ainsi obtenir gain de cause devant la justice.
Quelle est la responsabilité des donneurs d'ordre?
En général, le donneur d'ordre estime qu'il n'est pas concerné puisqu'il a externalisé. Le nombre d'emplois en jeu est souvent trop faible pour susciter une réaction de l'opinion publique. L'enjeu, pour les syndicats, est alors d'en appeler à sa responsabilité morale. En l'occurrence, celle de la ville de Paris est d'ordre économique, juridique et symbolique. Dans cette affaire, elle montre un visage loin d'être anodin aux personnels, dans un secteur où travaillent essentiellement des femmes, souvent d'origine étrangère, et dont le niveau de qualifications est extrêmement faible en général.