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Le grand mirage de l’eldorado cubain

Liaisons Sociales Magazine | Relations Sociales | publié le : 11.05.2015 | Hector Lemieux, à La Havane

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Politiciens et investisseurs occidentaux voient en Cuba une île pleine de promesses. Malgré les réformes, la réalité socio-économique est pourtant très en deçà. Les possibilités de développement restent bien minces.

«Si les États-Unis peuvent investir ici, ce sera très positif, notamment dans l’agriculture. Nous manquons de pièces pour nos machines agricoles qui datent de l’époque de l’URSS… quand ce ne sont pas des bœufs qui tirent des charrues.» Ingénieur en mécanique agricole, Sarita scrute l’ouverture diplomatique de Cuba avec espoir.

Après avoir travaillé pendant deux ans au ministère de l’Agriculture, cette Havanaise de 28 ans a abandonné sa carrière. «Le gouvernement paie trop mal. Je travaille comme serveuse dans un paladar [un restaurant privé] et je gagne trois fois plus», ­explique la jeune femme, dont une partie de la ­famille vit aux États-Unis. Comme beaucoup de ses concitoyens, Sarita espère connaître des jours meilleurs grâce à l’Oncle Sam. Mais le pays ne la fait pas rêver: «Trop violent. Et puis ici la santé et l’éducation sont gratuites.»

Depuis le rapprochement diplomatique entre les deux nations et les visites de plusieurs délégations commerciales, les entrepreneurs américains ­s’extasient sur l’«eldorado» cubain, à grand renfort de communication. American Express, MasterCard et bien d’autres ont annoncé leur retour dans l’île communiste. Les entreprises françaises aussi veulent croire à de nouveaux débouchés. Lors d’une visite historique, prévue le 11 mai à Cuba, François Hollande tentera de donner un coup de pouce aux maigres relations commerciales qui existent entre Paris et La Havane.

Capacité d'emprunt nulle

Faut-il beaucoup attendre d’un possible changement d’ère? Rien n’est moins sûr. Au moins à court terme. «Cuba a un potentiel économique certain, notamment dans le domaine du tourisme et de la santé, voire du nickel. Mais c’est aussi un pays avec une capacité d’emprunt nulle, où il n’y a aucune ressource pour financer des projets. Et comme les Cubains ne veulent pas accor­der de concessions à des investisseurs étrangers et entendent conserver la main sur tout, cela réduit à néant les possibilités d’investissement», prévient un économiste occidental vivant à La Havane depuis plusieurs années.

La réalité économique locale est à 1000 lieues de l’imaginaire occidental. Les lourdeurs bureaucratiques, héritage de l’époque soviétique, demeurent considérables. Les pénuries de matières premières et les pannes de courant sont la règle. Pour pallier l’indigence du salaire mensuel moyen (20 euros), les Cubains pillent leurs entreprises et revendent jusqu’aux ampoules électriques des bureaux.

«Lorsqu’il y a un camion disponible, il manque les pneus. Lorsqu’il y a les pneus et qu’ils ne sont pas usés, il n’y a pas de moteur. Et lorsqu’il y a un moteur, il n’y a pas de pétrole ou alors le chauffeur l’a revendu», illustre Yohandry, ancien cadre du ministère de l’Intérieur, aujourd’hui au chômage. De surcroît, le crédit bancaire n’existe pas. « Obtenir un crédit pour acheter une pelle n’est pas possible », confie Yordi, jeune cuentapropista – c’est-à-dire un entrepreneur à son compte.

Vive la propriété socialiste

Résultat, les annonces étrangères sont en décalage complet avec la réalité cubaine. Netflix a ainsi proclamé son arrivée à Cuba… alors qu’il y a très peu d’ordinateurs dans l’île et pas le moindre Internet à haut débit pour télécharger des films. Le gouvernement a d’ailleurs promis que tous les habitants seraient reliés à la Toile en… 2020!

«Je n’ai pas le droit d’avoir Internet à la maison. Et si je pouvais, à 3 euros l’heure de connexion, je dépenserais mon salaire mensuel en moins de 10 heures», sourit Pablo, ingénieur électricien. Ce quadra cinéphile préfère de loin acheter des DVD piratés dans la rue. Pour 1 euro, il a droit à cinq nouveautés de son choix.

La Révolution est-elle immobile? Pas vraiment. Raul Castro, le frère de Fidel, au pouvoir depuis 2008, a favorisé les investissements étrangers. Mais il doit ménager la vieille garde. En décembre, devant le Parlement cubain, le président-général a d’ailleurs prévenu : le système économique « continuera de s’appuyer sur la propriété socialiste », promettait-il, tout en discutant avec les Américains.

Des vitrines françaises

Ce double langage illustre bien le dilemme cubain. S’il est théo­riquement possible, selon la loi 77, d’avoir une entreprise à capital 100% étranger, c’est impossible dans les faits. Pernod Ricard a ainsi dû ­s’associer à Cuba Ron pour créer le Havana Club. De même, une entreprise étrangère ne peut acheter de terrains et n’est autorisée à employer seule des Cubains qu’après avoir obtenu une licence.

«Il n’y a rien à faire ici, les choses n’avancent pas. Car les annonces ne sont jamais suivies ­d’effet. Les Français ont à Cuba la plus belle brochette d’entreprises de la planète. Mais, à l’exception de Pernod Ricard et de Bouygues, ce ne sont que des vitrines», observe notre économiste occidental, pour le moins dépité. Le géant français du bâtiment est ainsi impliqué dans plusieurs projets hôteliers, dont un hôtel de luxe, la Manzana de Gomez, au cœur de la vieille Havane.

Quelque 60 entreprises françaises font théoriquement affaire avec Cuba, mais les échanges bilatéraux entre les deux pays n’ont atteint que 180 millions d’euros en 2014. La France, dixième partenaire de l’île, y exporte des produits alimen­taires et du matériel de transport.

Consommation anémique

Si l’on en croit Raul Castro, la croissance économique s’est limitée à 1,3% en 2014. Un taux très faible, que le chef de l’État a promis de booster en 2015, pour atteindre 4 %. Voire. Le leader cubain a procédé depuis 2010 à une rationalisation budgétaire et diminué le nombre d’emplois dans les entreprises publiques pour donner davantage de place au secteur privé.

En quatre ans, le nombre de travailleurs indépendants –chauffeurs de taxi, vendeurs de sandwichs…– a plus que doublé pour dépasser les 489 000, alors que le secteur public occupe toujours près de 70% des actifs. La consommation dans les circuits de distribution traditionnels reste, elle, anémique et l’économie parallèle considérable.

Les statistiques et les données chiffrées n’ont d’ailleurs pas grand sens. Selon les sources, le PIB de Cuba varie entre 50 et 70 milliards de dollars par an! «Il n’y aura aucun développement économique sans la disparition des Castro. Il faudra alors ramener les choses à leur juste mesure. Il n’y a ici que 11 millions d’habitants, qui gagnent en moyenne 20 dollars par mois. Même avec les revenus du marché noir, il n’y a aucun pouvoir d’achat», confie un diplomate occidental.

L’intérêt des États-Unis serait en fait ailleurs. Yaritza, dentiste havanaise de 40 ans, l’a bien compris. «Cuba est la clé des Caraïbes pour contrôler l’Amérique du Sud et le pétrole du Venezuela. Obama le sait, mais il doit savoir aussi que ce n’est pas avec un salaire de 25 dollars par mois que je pourrai acheter des produits américains», conclut-elle.

Auteur

  • Hector Lemieux, à La Havane