logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

La robotique en quête de bras

Liaisons Sociales Magazine | Relations Sociales | publié le : 29.10.2015 | Manuel Jardinaud

Image

Incitation gouvernementale, réveil des entreprises industrielles, développement de start-up… Les métiers de la robotique sont de plus en plus recherchés. Mais les compétences manquent.

« J’ai un mal fou à trouver des personnes formées ! » Président d’Induselec, une PME francilienne avec une activité d’intégration robotique, Lionel Mercou s’exaspère. « J’ai douze robots à intégrer dans les six mois. J’ai travaillé avec trois cabinets de recrutement pour trouver deux responsables de projet. Cela a pris onze mois ! » affirme-t-il. Cause ou conséquence du retard pris en matière de robotique, l’Hexagone manque de spécialistes. En avril 2014, les professionnels de la métallurgie ont ainsi inclus le « roboticien » dans la liste des métiers en tension au niveau national. Et la demande ne risque pas de faiblir : elle est poussée par l’industrie, qui cherche des gains de productivité, mais aussi par les services.

« Depuis deux ans, les industriels se plaignent d’avoir des difficultés de recrutement. C’est le cas chez les intégrateurs, qui installent les robots, mais aussi chez les utilisateurs », confirme Caroline Bougy, responsable de la promotion des métiers au sein du Symop, le syndicat des professionnels de la robotique. Pour se faire une idée plus claire de l’ampleur du phénomène, l’observatoire des métiers de la métallurgie mène actuellement une enquête sur les métiers de la mécanique, avec un focus particulier sur celui de « technicien robotique et process ».

Cela illustre les enjeux RH de la filière, qui doit relever les redoutables défis de la formation et du recrutement. Car un robot est un système protéiforme faisant appel à de nombreuses compétences. Des ingénieurs, d’abord, avec de multiples spécialités : mécanique, mécatronique, électronique, informatique, robotique… Mais aussi des techniciens assurant l’installation – les « intégrateurs » –, le suivi et la maintenance. Pourtant, les formations ne sont pas légion. On ne compte qu’une dizaine de licences pro, et pas davantage de masters ou d’écoles d’ingénieurs spécialisés !

Résultat, les employeurs s’arrachent les rares diplômés, même si aucun chiffre officiel ne permet d’évaluer le volume global de recrutement du secteur. Au sein des ­licences robotiques complètes, 85 % des jeunes formés occupent un poste dans les trois à six mois suivant la fin de leur cursus, selon le Symop. Certaines promotions afficheraient même un score de 100 %. Pour les étudiants du réputé IUT de Lyon-I, la durée moyenne d’accès au premier emploi est de quatre mois et demi, selon l’enquête sur le devenir des diplômés de 2012. En 2011, sur les dix étudiants en formation, neuf avaient trouvé un poste avant la fin de leur cursus ! Du côté des ingénieurs, l’intégration profession­nelle s’avère égale­ment rapide. La durée moyenne de recher­che d’emploi d’un diplômé de l’école de robotique de Polytech Paris-UPMC se limi­tait à 2,7 mois pour la promotion 2012.

« Obligés de débaucher ».

Les difficultés de recrutement ne sont pas l’apanage des PME, qui représentent l’essentiel des acteurs du secteur. L’unique grand fabricant de robots industriels du territoire, le franco-suisse Stäubli (1 200 salariés près d’Annecy, 4 500 dans le monde), admet rencontrer des difficultés, malgré sa notoriété. « Dès que l’on veut recruter, c’est la croix et la bannière. En général, nous sommes obligés de débaucher pour avoir le bon profil », assure Jacques Dupen­loup, directeur commercial. Ingénieurs R & D, applications ou production, techniciens de service après-vente… Une vingtaine de personnes sont ardemment recherchées cette année. « Pour un simple technicien SAV, nous avons dû développer un cursus d’un an d’intégration et de formation, afin qu’il puisse être véritablement opérationnel. La plupart des gens qu’on embauche n’ont jamais touché un robot de leur vie », poursuit-il.

Faute de trouver l’expertise adéquate à l’extérieur, les entreprises de la robotique doivent se débrouiller. « Il n’y a pas assez de personnes formées à l’intégration et à l’exploitation des robots », justifie Serge Nadreau, directeur de l’activité robotique d’ABB, un des leaders en France. Le groupe dispose de son propre centre de formation pour faire éclore « des techniciens “shiva” multicompétents en mécanique, automatisme et programmation ». Une option à laquelle les nombreuses start-up qui fleurissent à travers le pays ne peuvent recourir. Chez Siléane, qui développe et produit des bras articulés autonomes avec une préhension quasi humaine, le recrutement relève du casse-tête. « Nous rencontrons plus de problèmes pour trouver nos salariés que pour signer des contrats avec des clients ! » s’exclame Isabelle Louison-Henry, DRH de la PME stéphanoise.

Bien qu’elle ait à son actif quinze embau­ches depuis janvier et un plan de 40 recru­tements d’ici à 2017, la jeune pousse en expansion doit batailler pour attirer ingé­nieurs et techniciens dans ses locaux, à 60 kilomètres de Lyon. À tel point qu’une personne est entièrement dédiée au sourcing RH et que le budget formation équivaut à… 14 % de la masse salariale ! « Il y a deux ans, nous avons même atteint 20 %, pour un vaste programme d’acquisition de langage technique. Nous sommes obligés de nous donner les moyens si nous souhaitons réussir », ajoute la DRH.

Les tensions sur le marché de l’emploi ne devraient pas se résorber facilement. Portée par un plan gouvernemental et le besoin des industriels, la robotique a le vent en poupe. D’autant plus que le taux d’équipement en robots est cinq fois plus faible en France qu’en Allemagne. « Les robots fascinent les jeunes, il n’y a aucune raison qu’ils ne viennent pas vers nos emplois », pronostique Jacques Dupenloup. à l’image de la crainte que suscite toujours le robot en France, assimilé à un tueur d’emplois, la spécialisation robotique reste timide. Dans les écoles, de la licence au niveau ingénieur, les équipements robotiques sont encore peu présents.

Modules spécifiques.

Le frémissement est cependant palpable. « Depuis deux ou trois ans, je vois de plus en plus de salariés venir en formation continue. Par exemple, des BTS maintenance qui font une année de spécialisation », note Sébastien Henry, responsable de la licence professionnelle robotique à Lyon-I. Dans l’agroalimentaire, la mise en place d’un module spécifique en robotique est en chantier. De même, certaines techniques indispensables à la spécialité, comme la mécatronique (systèmes complexes), sont en train d’émerger. « Les cursus d’ingénieurs avec une dominante mécatronique ou robotique ne se développent que depuis deux ou trois ans », explique Laurence Chérillat, déléguée générale d’Artema, le syndicat des entreprises de mécatronique.

Selon elle, l’enjeu à venir est bien l’installation et la maintenance du robot et des systèmes qui le composent. La naissance du métier de « technicien-mécatronicien », de niveau bac + 2 ou + 3, est ainsi à l’ordre du jour. Et un référentiel est actuellement en construction. Il s’agit, à terme, de former des spécialistes pas exclusivement destinés à s’occuper de robots mais qui seront à même d’intervenir sur certains de leurs éléments. « Le mécatronicien, c’est le technicien de demain, celui du robot », promet Laurence Chérillat. Avec le roboticien, il formera alors un duo de choc.

Auteur

  • Manuel Jardinaud