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« La Cour européenne a déplacé la question du temps de trajet vers celle du temps de travail effectif »

Liaisons Sociales Magazine | Relations Sociales | publié le : 25.09.2015 | Eric Béal

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Avocat défenseur des salariés, maître Marie-Laure Dufresne-Castets estime que l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, concernant les déplacements des salariés sans lieu de travail fixe, va permettre de faire évoluer la jurisprudence française.

Dans un arrêt récent, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) déclare que "lorsque les travailleurs (…) n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, le temps que ces travailleurs consacrent aux déplacement quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur constitue du temps de travail (…)". Que pensez- vous de ce jugement sur le fond ?

C'est une décision très intéressante car le temps de trajet domicile-travail y est clairement traité comme du temps de travail effectif. Jusqu'à la loi TEPA de 2005, la question de savoir si et à quelles conditions le temps de trajet devait donner lieu à rémunération était fixée par la jurisprudence, par référence à la définition du temps de travail effectif défini comme le temps pendant lequel le salarié doit se tenir à la disposition de l'employeur.

La loi TEPA de 2005, qui ne parle plus de temps de trajet, mais de "temps de déplacement professionnel" a fait disparaître la notion de temps de travail effectif. Elle utilise une notion plus complexe et plus floue, transcrite dans l’Art 3121 – 4 du Code du travail. Il s'agit du temps normal de transport entre le domicile et le lieu de travail. Si le trajet dépasse ce temps dit "normal", il doit faire l'objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est forfaitaire. Cependant, la loi ne précise pas ce que recouvre ce terme de "normal". Si le lieu d'exécution du travail est variable, l'employeur doit prendre en charge le surcroit de déplacement, comme par exemple pour un formateur qui se rend sur des lieux de formation à travers toute la France ou l'ouvrier dont les chantiers sont mobiles.

Comment cet arrêt peut-il modifier le calcul du temps de travail en France ?

Il faut être prudent, car l’arrêt de la CJUE intervient dans un contexte précis. Il s’agit d’une entreprise, Tyco, qui a fermé tous ses bureaux régionaux en 2011 pour ne garder que son siège à Madrid. Ce faisant, elle a rattaché tous ses techniciens d’installation et de maintenance sur ses locaux madrilènes, tout en les affectant dans les mêmes zones territoriales que précédemment. Ils disposent d’un véhicule de fonction et d’un téléphone et reçoivent une feuille de route chaque soir, avec les différents sites à visiter et les horaires des rendez-vous à respecter le lendemain. Depuis 2011, Tyco décomptait le temps de déplacement domicile-client comme du temps de repos et calculait la durée quotidienne de travail de ses employés entre l’heure d’arrivée chez le premier client et l’heure de départ du site du dernier client de la journée.

Quel est l'apport de cet arrêt ?

La CJUE retient que, lorsque des travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, le temps de déplacement qu'ils consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés qu'il leur a été ordonné de visiter par l'employeur, constitue du temps de travail effectif au sens de la directive. Bien sûr, le champ d'application est restreint, mais nous pouvons voir dans cette jurisprudence un retour de la notion de temps de travail effectif en matière de temps de trajet.

La Cour estime en effet que les techniciens de Tyco sont à la disposition de leur employeur pendant le temps des déplacements. Ils sont en effet soumis à ses instructions et n’ont pas la possibilité de disposer librement de leur temps. La Cour a déplacé la question du temps de trajet vers celle du temps de travail effectif, défini comme toute période au cours de laquelle un travailleur est à disposition de son entreprise.

Enfin, la CJUE élargit son propos et précise que les travailleurs sans lieu de travail fixe exercent leurs fonctions au cours du déplacement qu’ils effectuent vers ou depuis un client. Elle relève que ces déplacements sont « consubstantiels à la qualité » de ces travailleurs. Donc le lieu de travail ne peut être réduit à un endroit physique.

En quoi ce point vous parait-il important ?

Vous avez des milliers de formateurs ou autres professionnels français qui se déplacent constamment chez leurs clients pour effectuer leur prestation. Sans parler des commerciaux toujours sur les routes. Le calcul de leur temps de travail est souvent minimisé. Pour être présent à 8h du matin chez un client à plusieurs centaines de kilomètres de chez lui, un formateur doit partir le soir précédent et dormir à l’hôtel. Pour le moment, ce temps de déplacement important n’est pas considéré comme du temps de travail effectif. On peut imaginer que cette décision de la CJUE puisse faire évoluer le droit dans un sens qui lui soit favorable.

Auteur

  • Eric Béal