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Quand les syndicats tentent de jouer l’international

Entreprise & Carrières, 20/07/2010 | Dialogue Social | publié le : 22.07.2010 |

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De façon spontanée ou structurée, les syndicats tendent à internationaliser leur action pour faire face aux décisions des grands groupes multinationaux.

Des syndicalistes américains, colombiens, turcs et français de Sodexo, le géant de la restauration collective, étaient rassemblés le 1er juillet à Paris. Leur but : dénoncer les mauvaises pratiques de la multinationale française. Des employés américains ont ainsi critiqué les faibles salaires et les difficultés d’implantation syndicale, notamment dans les universités où Sodexo “casse les prix” pour obtenir des marchés de restauration ou de ménage. Des Colombiens ont fait état d’heures supplémentaires non payées et de licenciements consécutifs à des accidents du travail sur fond de répression antisyndicale. « Sodexo affiche des principes éthiques, mais il y a un fossé entre le discours et la réalité », a tempêté Enrique Cuevas, de la Fédération des services CFDT.

En avril, c’est une intersyndicale CFDT-CFTC-FO de Caterpillar qui invitait des syndicalistes belges, allemands, britanniques, italiens, américains et japonais à se réunir sur le site d’Echirolles (Isère). Pour Patrick Cohen, de la CGT, il s’agit de constituer un réseau pour « partager les informations, les diffuser à l’intérieur des usines, pour que chacun comprenne la stratégie du groupe ». Au début de l’année, la direction avait annoncé des suppressions de postes.

Le CE européen en soutien

Face aux décisions des multinationales, les syndicats tentent donc de s’organiser. A côté de ces mouvements ponctuels, la mise en réseau des syndicalistes prend souvent appui sur les réunions régulières d’information et consultation des comités d’entreprise européens (CEE), lesquelles peuvent servir aussi d’aiguillon. Jacques Laplanche, secrétaire CGT du CEE d’Arcelor Mittal, note ainsi que des collègues d’Europe centrale utilisent l’instance pour pallier un dialogue social inexistant chez eux. Il souligne également l’intérêt objectif des syndicats des pays riches à coopérer avec ceux des pays émergents plutôt qu’à se faire concurrence : « Plus vite ces pays adopteront un dialogue social aussi développé que celui qui existe en Europe de l’Ouest, plus vite ils obtiendront de meilleurs droits et un niveau de vie plus élevé, ce qui freinera les délocalisations qui s’opèrent dans l’espace européen aujourd’hui, avec la mise en concurrence des travailleurs », a-t-il déclaré à Liaisons sociales Europe en septembre 2009. Il arrive parfois que les directions jouent le jeu. Dans le même journal, l’ancien directeur des relations sociales Europe d’Arcelor Mittal rendait hommage au comité européen comme facteur d’intégration et d’échanges avec les salariés des différentes activités. Des directions dépassent même leurs obligations en créant, comme Danone ou France Télécom, des comités mondiaux, où siègent des représentants des salariés de tous les pays où ils sont implantés.

Mais d’autres CEE ne sont que des chambres d’enregistrement. « Notre comité est complètement verrouillé, avec une majorité de représentants désignés ou présentés par leur direction », déplore ainsi Jean-Michel Daire, de la CFDT d’IBM France. Les syndicalistes ont cependant créé Iwis (IBM workers international solidarity), réseau d’échanges et de réflexion sur la stratégie du groupe. Et ils s’appuient sur les fédérations européenne et internationale des salariés de la métallurgie, FEM et Fiom, pour faire pression sur leur direction. Récemment, ils ont dénoncé « l’acharnement antisyndical » contre des collègues bulgares. « Si on se bat tous ensemble, on peut obtenir des choses, empêcher de mauvais coups », confiait en avril à L’Humanité Fernando Lopes, secrétaire général adjoint de la Fiom. Il précisait que des réseaux internationaux ont été constitués non seulement chez Caterpillar mais aussi chez SKF, Arcelor Mittal, Ford…

S’agit-il d’initiatives sans lendemain ou d’un réel mouvement de fond ? Jean-Jacques Paris, consultant chez Secafi, estime que l’action transnationale des syndicats se développe et s’avère durable, voire indispensable face à des restructurations elles-mêmes transnationales : « Si vous restez dans votre coin, vous ne pouvez pas agir efficacement, vous avez moins de force », souligne-t-il. A son avis, les syndicats ont bien compris qu’« il faut intervenir tant au niveau national qu’international pour corriger l’asymétrie entre des actions locales et des stratégies multinationales. »

On est encore loin d’une Internationale des syndicats, mais ces derniers obtiennent parfois des résultats : « Des comités européens prennent souvent l’initiative, pour parvenir à de nouvelles formes de structuration normatives à travers des accords-cadres internationaux », indique ainsi Jean-Jacques Paris.

Dans la revue Sociologies pratiques de février 2009, Marc-Antonin Hennebert, du Centre interuniversitaire canadien sur la mondialisation et le travail, analyse l’expérience des syndicats de l’entreprise graphique canadienne Quebecor. Dans la décennie 2000, cette dernière connaît plusieurs restructurations. Avec l’appui de l’Uni (groupement international de 900 syndicats) et sa division sectorielle Uni graphique, le réseau Uni@Quebecor a lancé des actions coordonnées, notamment auprès des clients. Et il a obtenu en 2007 un accord sur le respect des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT): interdiction du travail des enfants ou du travail forcé ; liberté syndicale ; droit à la négociation collective… Des normes évidentes pour les partenaires sociaux français mais jugées coercitives dans plusieurs pays.

Respect des droits humains

François Fatoux, délégué de l’Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse), souligne ainsi que « les accords-cadres internationaux affirment la liberté syndicale, alors que ce droit n’est pas encore totalement admis, dans les pays anglo-saxons notamment ». Aussi, les fédérations syndicales sectorielles et les confédérations européenne et mondiale se mobilisent-elles pour inciter les grandes entreprises à s’engager sur le respect des droits humains.

Sans doute ont-elles été doublées par les ONG pour dénoncer Total, accusé de complicité de travail forcé en Birmanie, ou pour critiquer les fabricants textiles ayant recours au travail des enfants en Asie. Mais les syndicats savent aussi jouer sur l’opinion publique et mettre à mal la réputation des grands groupes, notamment quand ceux-ci se targuent d’être « socialement responsables ».

Par ailleurs, note Lucile Merra, consultante social média, « ils commencent aussi à s’emparer des nouveaux outils de communication, principalement les blogs et pages fans sur Facebook, pour mobiliser, rassembler et diffuser de l’information auprès de leurs militants ». Et ils pourraient envisager de mettre en ligne de mire les multinationales dédaigneuses du dialogue social mais soucieuses de leur image.

L’essentiel

1 Afin d’équilibrer le rapport de forces avec les multinationales en restructuration, les syndicats développent des coopérations transnationales.

2 Elles prennent la forme de mouvements ou s’appuient sur des instances comme les comités d’entreprise européens.

3 Les résultats paraissent faibles et les obstacles nombreux, à commencer par la ratification partielle des conventions de l’Organisation internationale du travail par les Etats-Unis.

MARTINE ROSSARD