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L'étude qui dissèque les comptes des syndicats

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 03.12.2014 | Anne-Cécile Geoffroy

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Cotisations, subventions, mises à disposition… La publication des comptes des syndicats, devenue obligatoire, permet de comprendre de quoi ils vivent. Trois chercheurs de la chaire Mutations Anticipations et Innovations de l'IAE de Paris ont ausculté les comptes de 80 fédérations.  

Pas simple de jouer la transparence. Alors qu’en janvier le nouveau fonds paritaire de financement des partenaires sociaux, issu de la loi du 5 mars 2014, doit sortir de terre, un travail de recherche arrive à point nommé pour éclairer d’un jour nouveau les pratiques syndicales.

Pendant un an, trois chercheurs, Rémi Bourguignon, de l’IAE de Paris 1, Mathieu Floquet, de l’université de Lorraine, et Stéphane Lefrancq, du Cnam de Paris, aidés du cabinet d’experts-comptables Audisol, ont épluché les comptes portant sur 2012 de 80 fédérations syndicales publiés au Journal ­officiel. Un an plus tôt, ils avaient réalisé le même exercice sur les confédérations syndicales et patronales.

Qualité de l'information

Depuis la loi du 20 août 2008, les syndicats sont en effet tenus de publier leurs comptes et, pour ceux dont les revenus dépassent 230 000 euros, de les faire certifier par un commissaire aux comptes. Confédérations, fédérations, unions territoriales et syndicats se plient donc, avec plus ou moins de bonheur, à cette nouvelle obligation de transparence.

Un exercice « inabouti », expliquent d’emblée les chercheurs, qui s’intéressent notamment au délai de publication des comptes. Un indice de la ­qualité de l’information. « La célérité des organi­sations syndicales reste encore à prouver même si les délais se réduisent progressivement », constate Rémi Bourguignon.

Vingt-huit fédérations, toutes étiquettes confondues, ont ainsi mis plus d’un an pour publier leurs chiffres 2012. Les confédérations ne sont pas meilleures. Le bonnet d’âne revient à la CGT, qui a attendu 259 jours pour s’exécuter. Contre 150 pour sa grande rivale, la CFDT. Mais attention à ne pas confondre vitesse et précipitation. Si Solidaires fait vite, il réussit le tour de force de publier – et, plus étonnant, de faire certifier ! – des comptes dont le bilan n’est pas équilibré en 2010 et 2011.

« Ces dernières années, les syndicats ont dû ­apprendre à travailler avec les commissaires aux comptes, et vice versa. Quatre ans après, leur principal sujet reste de publier et de faire certifier leurs comptes sans réserve », souligne Rémi Bourguignon. Impératif avec la création du fonds paritaire de financement, qui sera alimenté par des subventions de l’État pour leur participation à la démocratie sociale. « Pour ce fonds, tout l’enjeu est de garder une bonne traçabilité de l’argent que nous recevons. Ça va faire encore évoluer l’exercice de certification des comptes », explique Thierry Cadart, le trésorier de la CFDT.

 Inadéquation comptable

Pour aider leurs troupes, les confédérations ont mis sur pied des formations ad hoc à destination des trésoriers. Et, surtout, tenté de les équiper de logiciels comptables. À la CFDT, l’outil choisi multiplie pour le moment les bugs. « En attendant de les résoudre tous, les syndicats se débrouillent par eux-mêmes. On partage les bonnes pratiques », confie Thierry Cadart, qui a fait du sujet l’une de ses priorités. La CFTC s’est aussi dotée d’un logiciel, Cosimo. « Mais on se rend compte que cela ne suffit pas, constate Bernard Sagez, le trésorier confédéral. Nos militants manquent de temps. Ils ont besoin d’être accompagnés ­d’experts-comptables. Mais nous ne pouvons rien imposer, juste conseiller. »

Le syndicalisme est ainsi fait que chaque structure reste autonome. Une confédération ne constitue pas une entité « mère », autorisée à contrôler les ressources et l’activité de ses filiales. Impensable pour celles-ci que les exigences liées à la présentation des comptes remettent en cause leur construction politique et leurs axes stratégiques.

« S’il existe encore une réticence à publier des comptes transparents, il y a surtout une inadéquation des règles comptables au ­secteur syndical, souligne Rémi Bourguignon. À moins de changer les statuts de tous les syndicats, il est impossible pour eux de consolider leurs comptes. »

Les documents permettent néanmoins de mieux comprendre de quoi vivent les fédérations. Et ce que pèsent les cotisations. Un sujet ultra­sensible pour toutes les organisations, soucieuses de défendre leur représentativité. La loi du 20 août 2008 indique en effet que « les cotisations provenant de leurs adhésions doivent représenter la partie principale de leurs ressources car elles constituent la seule véritable garantie d’indépendance ».

Selon les chiffres publiés par les trois chercheurs, la part des cotisations dans le financement des fédérations est en moyenne de 55 %. Le reste provient de subventions publiques hétéroclites : des aides pour la formation des responsables syndicaux ou des conseillers prud’homaux, d’autres pour favoriser la coopération syndicale internationale, des fonds issus de la formation…

Mises à disposition oubliées

A priori tout va bien ! « Mais ce chiffre cache ­finalement une grande diversité de situations, prévient Rémi Bourguignon. Pour un quart des ­fédérations, les cotisations représentent moins de 34 % de leurs ressources. À l’autre bout, pour 25 % d’entre elles, les adhésions pèsent 81 %. » Et les chercheurs vont encore plus loin dans leur démonstration.

S’il est un sujet sur lequel les ­fédérations se montrent très majoritairement opaques, c’est bien celui du personnel mis à disposition, une autre forme déguisée de subvention. « Et pour une bonne raison : si elles valorisaient l’emploi de ces militants, rémunérés par leur entreprise d’origine, la part des cotisations dans leurs ressources chuterait fortement », décrypte Rémi Bourguignon. À l’image de la CGT Cheminots qui, dans ses comptes, ne déclare que six salariés. Et fait l’impasse sur les dizaines de militants mis à disposition par la SNCF après les élections professionnelles.

Les chercheurs ont ainsi fait le calcul à partir des données des 38 fédérations (sur les 80 étudiées) qui ont fourni une information sur ce sujet. « En valorisant un équivalent temps plein à 51 851 euros, la part des cotisations dans les ressources passe de 55 % en moyenne à 29 % », indique Rémi Bourguignon.

Mais l’indépendance financière se mesure-t-elle simplement à la part des cotisations dans leurs ressources ? Les fonds syndicaux, c’est-à-dire leur trésorerie, sont un autre élément à prendre en compte. Sur ce sujet, force est de constater que les syndicats se portent plutôt bien. L’analyse des comptes des fédérations – comme des confédérations – montre qu’elles ont su se constituer une cagnotte confortable.

Solidité financière

En moyenne, les 80 fédérations ont un an de trésorerie devant elles. « Les 25 % les plus riches disposent même de fonds qui leur permettraient de tenir quinze mois sans autre apport », précisent les chercheurs. Des réserves qui, d’une certaine manière, leur permettent d’afficher leur indépendance financière. Mais sans leur garantir forcément une solidité à toute épreuve.

Pour assurer véritablement leurs arrières, les syndicats doivent veiller… à ne pas trop dépendre des chèques des salariés ! Et à diversifier leurs sources de revenus. « Il existe une corrélation ­négative entre la part des cotisations et le montant des fonds syndicaux. Les structures qui ont un taux de financement par les cotisations très fort sont finalement plus précaires car elles sont moins financées par les subventions publiques », explique Rémi Bourguignon.

C’est le cas des syndicats autonomes SUD, Unsa et FSU. Pour les chercheurs, exiger des syndicats qu’ils soient uniquement financés par l’adhésion reviendrait à les affaiblir. Et à mettre à mal notre modèle social qui veut que 95 % des salariés soient ­couverts par une convention collective alors que seuls 8 % sont syndiqués. Reste à savoir ce que l’on veut préserver

Retrouver l'intégralité de l'étude ici

 

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy