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Le dialogue social part sur une nouvelle base

Liaisons Sociales Magazine | Dialogue Social | publié le : 21.07.2014 | Sabine Germain

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Information plus transparente pour les représentants du personnel, outil de discussion sur la stratégie de l’entreprise, la base de données unique vise à doper le dialogue social. Le pari n’est pas gagné.

Doit-on parler de BDU, pour reprendre le concept de « base de données unique » instauré par l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 ? Ou de BDES, sigle de « base de données économiques et sociales » détaillée dans le décret qui en précise les contours ? La Direction générale du travail (DGT) a décidé de faire simple : elle parle tout simplement de BDD, abréviation de « base de données ».

Au grand regret des partenaires sociaux, qui restent attachés à l’appellation originelle, laquelle incarne bien leur volonté d’harmoniser le niveau d’information entre directions et instances représentatives du personnel. Ces hésitations sémantiques traduisent le flou qui règne sur la mise en œuvre de ce nouvel outil de dialogue social par lequel les syndicats espèrent être plus impliqués dans la définition et le déploiement des grandes orientations stratégiques. Reste à voir comment les entreprises s’en empareront.

La vérité oblige à dire qu’elles ne savent pas trop comment s’y prendre… et que l’administration ne les a jusqu’alors pas beaucoup aidées. Il a en effet fallu attendre le 18 mars pour que la DGT publie la circulaire répondant à toutes les questions laissées en suspens par le décret du 27 décembre…

Que doit-on trouver dans cette base de données ? Grosso modo toutes les informations qui devaient déjà être transmises au CE ou au CHSCT et portées au bilan social : investissements, fonds propres, endettement et impôts, rémunération des salariés, des dirigeants et des actionnaires, activités sociales et culturelles, flux financiers, sous-traitance, transferts commerciaux et financiers entre entités…

Avec une différence notable : il est demandé aux entreprises de se projeter à trois ans et de mettre ces informations dans une logique prospective. « Pas forcément avec des données chiffrées, précise Éric Lhomme, directeur performance RH d’Altedia. Mais il faut au moins être capable d’annoncer une tendance ou de proposer plusieurs scénarios. »

Sauf accord collectif prévoyant une consolidation au niveau du groupe, la base de données a pour périmètre la seule entreprise. Mais ses informations doivent être « mises à jour » – à quel rythme – et placées à la disposition du CE, du CHSCT et des délégués du personnel et syndicaux qui sont tenus, en retour, à une « obligation de discrétion »…

Accès différencié

Et le temps presse. La base est obligatoire dès le 14 juin dans les entreprises d’au moins 300 salariés, celles de 50 à 300 ayant un an de répit. Mais la circulaire précise qu’il suffit d’avoir ouvert les négociations à cette échéance. « La date du 14 juin est un jalon, temporise Éric Lhomme. La BDU doit être opérationnelle lors de la première consultation sur des enjeux stratégiques. »

« Il n’est question de sanction ni dans la loi, ni dans le décret, ni dans la circulaire, ajoute Nadia Ghedifa, directrice générale de Secafi. Compte tenu des délais, de nombreuses entreprises ne seront pas prêtes le jour J. Mais attention : celles qui traînent trop pourront se voir opposer un délit d’entrave. » Un risque, les syndicats se montrant demandeurs.

« Nous avons été sollicités par plusieurs organisations pour ouvrir des négociations dès le mois d’avril, témoigne Marc Veyron, directeur des affaires sociales de Capgemini. Si tout se passe bien, notre accord devrait être ratifié avant l’échéance. » Tout ira ensuite très vite : la SSII s’est en effet dotée de son propre outil informa­tique, avec un accès différencié : « Le CHSCT n’a par exemple accès qu’aux informations sociales. Nous ne sommes tenus de partager les informations économiques qu’avec le CE. »

Cette question du système d’information n’est pas anecdotique : lors des négociations, certains dirigeants se sont montrés obsédés par les enjeux de confidentialité. Une exigence prise très au sérieux par les éditeurs de logiciels. « Nous avons mis au point des fonctionnalités de gestion des accès et de la confidentialité, explique Brice Mallié, cofondateur du fournisseur de SIRH Crosstalent. Certains documents ne peuvent être que consultés, et non téléchargés ou imprimés. »

Cet impératif de discrétion fait néanmoins sourire les professionnels du dialogue social : « La plupart des informations sont accessibles à qui veut bien se donner le mal de les chercher, souligne Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail. Au lieu de faire de la rétention, les direc­tions ont tout intérêt à partager l’information : cela leur permet de construire le dialogue sur une relation de confiance. »

C’est la philosophie du nouvel outil : enrichir le dialogue social grâce à une information partagée des enjeux stratégiques de l’entreprise. « Dans le meilleur des cas, cela devrait en effet permettre de mieux anticiper et de responsa­biliser les partenaires sociaux, observe Éric Lhomme. Au pire, cela ne changera pas grand-chose… »

Prudence de mise, aussi, pour l’avocat Géry Waxin, qui a animé des matinées de sensibilisation des DRH à la mise en œuvre de la BDD : « Dans les années 1980, on a beaucoup attendu de la publication des bilans sociaux. Or les partenaires sociaux n’ont pas su s’emparer de la formidable masse d’informations qu’ils leur apportent. »

Échanger sur le futur

Dans les starting-blocks pour investir ce créneau, Nadia Ghedifa se veut plus optimiste : « Les partenaires sociaux vont enfin pouvoir parler d’avenir avec leur employeur, alors qu’ils n’ont longtemps pu parler que du passé ou du présent. Je suis convaincue que de nombreuses restructurations auraient pu être mieux gérées si elles avaient été anticipées. »

À chacun de trouver ses marques dans cet espace élargi du dialogue social. « Les partenaires sociaux doivent comprendre qu’une prévision à trois ans n’est pas un objectif tangible. Quant aux directions d’entreprise, elles doivent accepter de communiquer et de discuter sur leur stratégie », poursuit-elle. Cet apprentissage risque d’être plus difficile pour les PME : « Elles pourront s’appuyer sur l’expérience des grandes entreprises », assure Éric Lhomme. Le délai d’un an qui leur est accordé ne sera pas superflu.

 

Auteur

  • Sabine Germain