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Doit-on craindre l’embrasement des conflits sociaux ?

Entreprise & Carrières, 21/04/2009 | Dialogue Social | publié le : 21.04.2009 |

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Séquestrations, incivilités, blocages d’usine… Alors que les annonces de fermeture de sites industriels se succèdent, les salariés multiplient les actions radicales. Ces “dérapages” sont-ils susceptibles de se propager ?

 

Depuis le début du mois de mars, chaque semaine (consulter l'actualité chez Molex Automotive et Continental) apporte son lot d’actions “coups de poing” initiées à l’annonce d’une fermeture de site ou au cours de la négociation d’un plan social. Après 3M Santé, Caterpillar ou Sony (lire Entreprise & Carrières n° 949), quatre cadres du fabricant britannique d’adhésifs Scapa ont été séquestrés pendant 24 heures, le 8 avril, par des salariés espérant une revalorisation de leurs indemnités de départ. Le même jour, répondant à l’appel des syndicats après l’échec d’une négociation sur le plan social qui devrait concerner 358 des 1 740 salariés français, les salariés du fabricant de grues Manitowoc ont bloqué les accès aux trois usines du groupe en France. Le lendemain, ce sont trois cadres de l’équipementier automobile Faurecia, à Brières-les-Scellés, dans l’Essonne, qui se sont trouvés “retenus” par des salariés protestant, eux aussi, contre l’insuffisance des échanges avec la direction. Filiale de PSA à 70 %, l’équipementier avait annoncé, fin 2008, 1 200 réductions de poste.

 

Violence de quelques cas isolés

Alors que, à la suite de Nicolas Sarkozy affirmant, le 7 avril, qu’il ne « laisserait pas faire », les réactions publiques se font de plus en plus vives – le 10 avril, Jean-François Roubaud, président de la CGPME, a exhorté tous les chefs d’entreprise à ne pas « commencer de négociation avec le pistolet sur la tempe » –, certains s’appliquent à ne pas verser de l’huile sur le feu. « En ce moment même, en France, plusieurs milliers d’entreprises rencontrent des difficultés similaires sans que, pour autant, le désarroi de leurs salariés entraîne de tels heurts », martèle Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, qui fustige l’attitude des médias, « attirés par la violence de quelques cas isolés », et celle des politiques, qui font de la situation « un enjeu d’affrontement politique ». Réserve similaire du côté de Francis Delanchy, qui a été, en tant que chargé de communication de l’Union de la métallurgie à Longwy, témoin des luttes ouvrières dans la Lorraine des années 1970. « Les patrons, qui ont bien d’autres problèmes que celui-là, ne se considèrent pas comme des séquestrés en puissance. Si la retenue des cadres constitue, aujourd’hui, le mode ultime de la prise de parole et le moyen de communiquer avec la presse, les séquestrations, peu nombreuses, ne concernent que les grands groupes, estime-t-il. Il s’agit de gestes de désespoir dont nul ne croit qu’ils soient de nature à infléchir la politique d’une multinationale. »
Rappelant que « les licenciements interviennent, aujourd’hui, dans des bassins d’emploi déjà sinistrés et concernent principalement des salariés peu qualifiés », Hubert Landier, directeur du groupe Management social, estime, quant à lui, qu’une radicalisation du mouvement est aujourd’hui une « hypothèse envisageable ». Chercheur au Cevipof et spécialiste des mouvements sociaux, Guy Groux entrevoit également d’autres motifs d’exacerbation des conflits : « Alors même que le contexte s’est fortement durci pour un demandeur d’emploi, les entreprises, soucieuses de faire des économies, proposent aux salariés des plans sociaux beaucoup moins avantageux que ceux qu’elles ont mis en œuvre par le passé. Le sentiment d’injustice qui en résulte est extrêmement fort. »

 

Des plans sociaux “au rabais”

« Mes confrères de Sony, Caterpillar et moi-même avons le sentiment de subir le même scénario, écrit par la direction américaine de nos groupes respectifs, explique Jean-François Caparros, délégué syndical central FO de la société pharmaceutique 3M Santé. Sous couvert de difficultés conjoncturelles, nos entreprises, qui continuent d’engranger de confortables bénéfices, nous imposent des plans sociaux “au rabais”, ne respectant en rien la culture de l’entreprise ni ses usages en la matière. » Chez 3M Santé, le plan social, qui doit concerner plus de la moitié des 230 salariés du site de Pithiviers, dans le Loiret, est, ainsi, dépourvu du système de portage jusqu’alors systématiquement mis en place par l’entreprise pour permettre aux salariés de plus de 53 ans de conserver leur salaire jusqu’à la liquidation de leur retraite. Le 26 mars, Luc Rousselet, directeur industriel du groupe, a été retenu pendant 36 heures.

 

Absence de menaces « extrémistes »

Selon Guy Groux, l’absence totale, jusqu’à présent, de menaces « extrémistes » de la part des salariés en colère constitue un autre facteur possible d’extension des conflits. « En dépit de leur illégalité et, parfois, de leur dureté, les récentes séquestrations restent dans une certaine “normativité” des rapports sociaux, explique-t-il. Les situations de chantage, de type Cellatex ou Kronenbourg, que la France a connues au début des années 2000, ne convainquent pas longtemps, pourvu que les menaces ne soient pas mises à exécution. Au contraire, les dérapages actuels peuvent apparaître comme une solution crédible. » A fortiori, lorsqu’ils bénéficient, comme aujourd’hui, d’une relative bienveillance de l’opinion publique. Publiée le 9 avril dans Paris Match, une enquête de l’Ifop révèle, en effet, que 63 % des Français affirment comprendre les séquestrations de dirigeants, et 30 %, les approuver.


Aurore Dohy avec Pascale Braun

 

- DRH au milieu d’un conflit : garder la bonne attitude
Selon Hubert Landier, qui anime régulièrement des séminaires de prévention des conflits sociaux, la jeune génération de DRH se trouve, aujourd’hui, particulièrement démunie face au dérapage des relations sociales. « Contrairement à leurs aînés, les DRH les plus jeunes ont rarement connu de telles situations, explique-t-il. Une inexpérience qui constitue, malheureusement, parfois, un facteur d’aggravation des tensions. »
Amorcé le 12 mars avec la séquestration du Pdg durant 24 heures, le conflit chez Caterpillar est l’un des plus sévères de ces dernières semaines. Délégué syndical central CFDT, Alain Massy déplore qu’une accumulation de « maladresses » de la part de la direction du site de Grenoble ait contribué à exaspérer les salariés. « A l’occasion d’une assemblée générale, l’entreprise a cru nécessaire de faire venir une équipe de vigiles avec des chiens, raconte-t-il. Nous avons également vu, à plusieurs reprises, des cadres sortir en courant de l’entreprise par des portes dérobées. »
Alors que, sur le site, les partenaires sociaux perdent du terrain, que la négociation piétine, c’est désormais un “comité de grève” constitué d’une cinquantaine de salariés qui semble
tenir les rênes.

 

Eviter toute surenchère est essentiel

Responsable de l’offre paye, droit et relations sociales à la Cegos, Valérie Jaunasse rappelle qu’en cas de conflit, a fortiori en cas de séquestration, l’essentiel reste d’éviter toute surenchère. « Il est notamment indispensable de s’interdire toute interpellation individuelle qui pourrait être perçue comme une provocation, recommande-t-elle. En gardant son calme, il faut mettre ses interlocuteurs en face de leurs responsabilités, en leur rappelant, notamment, qu’une séquestration entre dans le champ du code pénal, et attendre l’apaisement des tensions pour amorcer toute discussion. »
Afin de limiter l’impact d’un blocage de site, il est également judicieux de conserver, hors de l’entreprise, un fichier mis à jour des coordonnées personnelles de l’ensemble des salariés. De façon à faire fonctionner efficacement une cellule de crise et à continuer de communiquer auprès du personnel.

 

A. D

 

- Kléber Toul : retour sur une séquestration de quatre jours
«En France, les conflits dérapent à cause du manque de dialogue. Les salariés sont souvent informés à la dernière minute ou placés devant le fait accompli », estime Guy Pernin, délégué CGT de l’usine Kléber (groupe Michelin), à Toul, qui a été le siège d’un des conflits les plus marquants de ces dernières années. En février 2008, deux cadres, le DRH de l’usine et le directeur du personnel, ont été retenus, durant quatre jours et trois nuits, au lendemain d’une ultime réunion de présentation du livre IV. Les salariés demandaient l’amélioration des mesures d’accompagnement dans la perspective de la fermeture de ce site de 826 salariés.
Avec un an de recul, les syndicalistes estiment que cette action non préméditée, mais maîtrisée, a joué un rôle positif dans la poursuite des négociations.

 

Affaire classée dans un souci d’apaisement

A la veille des élections municipales, les pouvoirs publics tenaient à éviter tout débordement, d’autant que le site, classé à risques, regorgeait de matières inflammables. La Direction départementale du travail s’est impliquée directement dans les négociations avec la direction de Michelin à Clermont-Ferrand pour faciliter un dénouement sans violence. Suite à la plainte contre X déposée par la direction, 42 ouvriers ont été entendus par la gendarmerie de Toul. Le parquet de Nancy a classé l’affaire cinq mois plus tard, dans un souci d’apaisement.

 

P. B.