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Aidants salariés Une difficulté à surmonter pour les RH

Liaisons Sociales Magazine | Relations Sociales | publié le : 30.11.2017 |

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Des salariés sont obligés d’aider chaque jour un proche présentant un handicap et devenu dépendant. La gestion de ces personnes représente, pour les RH, une véritable difficulté à surmonter.

C’est encore un phénomène passé sous silence mais qui se généralise : en effet, près de quatre millions de salariés aident, en parallèle de leur travail, un proche en perte d’autonomie (parent, conjoint, enfant), c’est-à-dire rendu dépendant en raison de l’âge, de la maladie… Et qui se trouve donc en situation de handicap. Certaines études relèvent qu’un salarié sur six serait concerné, les femmes étant majoritaires. D’ici à dix ans, cette proportion passera à un salarié sur quatre, voire à un salarié sur trois pour les plus de 40 ans. Pourtant, la grande majorité d’entre eux préfèrent ne rien dire. « Les études montrent que les aidants n’informent pas leur employeur dans 82 % des cas », souligne Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH (Association nationale des DRH).

La raison ? Elle est surtout culturelle : les problèmes personnels restent à la porte de l’entreprise. « Il y a derrière, non seulement de la pudeur mais également la peur d’être stigmatisé, de ne pas paraître fiable et que cela soit un frein à une évolution professionnelle. Beaucoup craignent que cela bloque leur carrière », confirme Claude Van Leeuwen, fondatrice d’Avec nos proches, une plateforme téléphonique destinée aux aidants. Le sujet est tellement tabou qu’il incite beaucoup de salariés aidants à redoubler d’efforts pour ne rien laisser paraître.

Jean Ruch, 41 ans, en témoigne. Depuis plus de vingt ans, ce patron responsable de Familles solidaires, une entreprise sociale spécialisée dans l’habitat partagé, aide Flavie, sa femme, qui souffre d’un traumatisme crânien qui la handicape au quotidien, après avoir été victime d’un accident de la route. « J’ai travaillé pour de nombreux employeurs comme intermittent du spectacle. Leur parler de ma situation d’aidant les aurait probablement conduits à se dire que je devenais complexe à gérer », explique-t-il. « La difficulté de concilier travail et rôle d’aidant peut, à la longue, entraîner un épuisement physique, émotionnel et mental de l’aidant », prévient Laurence Breton-Kueny.

 

Six milliards d’euros de perte

Les conséquences de cette omerta sont aujourd’hui mesurables : 72 % des salariés aidants interrogés considèrent que l’accompagnement de leur proche handicapé a une incidence négative sur leur concentration et leur efficacité au travail ; et 90 % évoquent « stress, anxiété, fatigue et troubles physiologiques ». Selon une étude BVA sur les aidants familiaux réalisée pour la fondation Novartis, un quart des salariés concernés (26 %) s’absentent seize jours par an, en dehors de leurs congés. Se faire mettre en arrêt maladie est souvent la seule solution que beaucoup ont trouvée pour faire face à ces obligations d’aidants. Ainsi, le coût pour les entreprises en termes de baisse de productivité, de « présentéisme » (où l’on s’occupe à gérer ses problèmes à distance depuis le lieu de travail), d’absences, de temps partiel, de démissions, de remplacements, est évalué aujourd’hui à 6 milliards d’euros par an.

Une situation qui peut conduire à une rupture professionnelle par manque de solution adaptée. C’est le cas de Claude Van Leeuwen qui a pris un congé sabbatique pour s’occuper de son père… et qui n’est plus jamais revenue. « Si mon entreprise m’avait permis d’aménager mon temps de travail, les choses se seraient peut-être passées autrement. Ma priorité, c’était avant tout d’avoir du temps pour ma famille. » Pour Géraldine Fort, déléguée générale de l’Orse (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises), « il est dans l’intérêt économique des entreprises que leurs collaborateurs se portent bien ».

 

La législation à la rescousse

Depuis le 1er janvier 2017, la loi d’adaptation de la société au vieillissement a donné un coup de pouce, en faisant évoluer le congé de soutien familial. Celui ci, appelé désormais « congé de proche aidant », permet à tout salarié ayant un an d’ancienneté dans l’entreprise de solliciter un congé non rémunéré. Ce congé, d’une durée de trois mois, pris à temps partiel ou à temps plein, est destiné à accompagner une personne proche, laquelle n’est pas forcément un parent. Il peut être renouvelé, le maximum étant néanmoins d’une année entière au cours de la totalité de la carrière de l’intéressé. Le don de jours de congés est aussi une autre possibilité offerte par la loi du 9 mai 2014 dite loi Mathys. L’article L.1225-65-1 du Code du travail prévoit que tout salarié peut transmettre, sur sa demande, en accord avec l’employeur et de façon anonyme, des jours de congés ou de RTT non pris à un collègue dont l’enfant, âgé de moins de 20 ans, est atteint d’une maladie, d’un handicap ou a été victime d’un accident d’une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants. Les salariés bénéficient du maintien de leur rémunération et de leurs droits (ancienneté, avantages…) pendant leur période d’absence. Seule limitation : les « donneurs » doivent conserver des jours de congé équivalents à quatre semaines de vacances. « Heureusement que ces mesures existent… mais elles ne suffisent pas. Les entreprises doivent trouver leurs propres solutions », assure Jean Ruch.

À côté des dispositifs légaux, les entreprises s’investissent progressivement, par des démarches touchant à l’aménagement du temps de travail (télétravail, flexibilité horaire, dons de jours…), aux conseils personnalisés (plateformes téléphoniques ou numériques…) comme à la sensibilisation et à la formation des salariés et du management. « Nous n’en sommes qu’au début. Beaucoup d’entreprises tâtonnent sans pouvoir encore mesurer la pertinence et l’impact de leurs initiatives », observe Claude Van Leeuwen. Selon Pascal Jannot, président fondateur de la Maison des Aidants, « les entreprises doivent comprendre les besoins des salariés aidants et découvrir les solutions de soutien et d’aides existantes auprès des structures associatives expertes sur ce sujet ». Avec d’autres acteurs, Géraldine Fort participe au Prix « Entreprise et salariés aidants » qui récompense les entreprises en valorisant les actions les plus exemplaires en faveur de leurs employés aidants. « La qualité de vie au travail conciliant vie personnelle et vie professionnelle est une des portes d’entrées sur le sujet », estime la déléguée générale de l’Orse.

 

Des dons de jours abondés par l’entreprise

Parmi les entreprises lauréates figure Crédit Agricole Assurances. Le 2 février 2016, l’entreprise a signé des accords avec les partenaires sociaux, qui ont permis notamment de mettre en place un congé spécifique au bénéfice des salariés aidants. Celui-ci est financé par un dispositif solidaire de dons de jours par les salariés, abondés par l’entreprise en complément des congés prévus par les dispositions légales et conventionnelles. Les accords prévoient également le cofinancement de chèques emploi service universel (CESU) ainsi qu’un accompagnement managérial… Une assistante sociale est même disponible pour faire la jonction avec les RH. « Ce que veulent les salariés, ce n’est pas qu’on règle les problèmes à leur place mais qu’on leur offre davantage de flexibilité dans leur emploi du temps. Notre objectif est de leur permettre de faire face à leurs obligations tout en leur permettant de continuer de travailler », explique Guillaume Nozach, responsable des projets RH et de la qualité de vie du Crédit Agricole Assurances.

En effet, parmi les salariés aidants interrogés par l’Ocirp (Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance) en 2017, 30 % d’entre eux souhaitent l’aménagement des horaires et/ou des postes de travail, et 26,5 % le développement du télétravail. « Les salariés ont une capacité organisationnelle et de planification pour concilier leur vie professionnelle avec leur rôle d’aidant qui peut être reprise à bon compte par l’entreprise. Ils pourraient ainsi reproduire une expertise qui pourrait être bénéfique à tout le monde », affirme Pascal Jannot.

Mutex, une société d’assurance mutualiste qui emploie 500 personnes, a également signé un accord d’entreprise sur l’accompagnement des aidants. « La politique d’aide aux aidants présente beaucoup de similitudes avec la politique handicap. Parce que eux aussi sont handicapés par la situation d’aide qu’ils vivent, nous devons être en mesure d’apporter la souplesse dont ils ont besoin », estime Marie-Isabelle Frayssinet, directrice des ressources humaines de Mutex. Tous les moyens sont mis en œuvre pour leur faciliter la vie : temps partiel, télétravail, aménagement des postes… « Lorsque toutes les solutions sont épuisées, ils peuvent avoir recours aux dons de congés », ajoute-t-elle. L’appel au transfert de dons se fait – anonymement – par l’intermédiaire de l’intranet de l’entreprise. La société abonde jusqu’à 10 % le nombre de jours donnés. Un autre projet doit voir le jour : la création d’un groupe de paroles entre les aidants de l’entreprise. Le sujet est d’autant plus sensible que, s’il n’est pas pris en considération, il risque de poser un vrai problème au niveau managérial dans les années à venir.