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Successions - Le recel ne s’applique pas au conjoint survivant qui prélève des sommes au préjudice de l’indivision post-communautaire ayant existé entre les époux
Un homme fut marié sous le régime de la communauté légale. Au décès de son épouse, la succession n’est pas réglée ; il vend ensuite un fonds de commerce, qui était un bien commun, à son frère. Puis, le fonds est revendu à sa nouvelle épouse qui lui survivra et qui l’a à nouveau cédé. À son décès, ses enfants, issus de la première union, assignent alors la veuve et les enfants de cette dernière en partage des deux successions et en responsabilité. Ils souhaitent voir appliquer les peines de recel successoral à leur défunt père qui avait vendu à son seul profit le fonds de commerce dépendant de la communauté ayant existé entre lui et leur mère, mais la demande est rejetée. Devant la Cour de cassation, les héritiers soutiennent que les peines du recel successoral sont applicables au conjoint survivant, lequel avait la qualité d’héritier avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001. La Cour de cassation rejette cette critique en affirmant que la « sanction prévue à l’[ancien] article 792 du Code civil, […], n’est pas applicable au conjoint survivant qui prélève des sommes au préjudice de l’indivision post-communautaire ayant existé entre les époux, celui-ci étant débiteur des sommes correspondantes envers cette seule indivision, non en sa qualité d’héritier, mais en celle d’indivisaire tenu au rapport de ce qu’il a prélevé dans l’indivision avant le partage. » En l’espèce, « le fonds de commerce litigieux, commun aux époux X…- Y…, est devenu, au décès [du veuf] […] et en l’absence de liquidation et de partage de la communauté, indivis entre O… X… et la succession de son épouse ».
OBSERVATIONS. L’héritier coupable de recel devient un héritier pur et simple, sans prétendre à aucune part sur les biens recélés (art. 792 anc. C. civ. ; art. 778). Mais encore faut-il que le recel soit commis en qualité d’héritier, ce qui est différent de la qualité d’indivisaire (rappr. Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-13.807 ; Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, n° 14-18.906).
Réf. : Cass. 1re civ., 29 janv. 2020, n° 18-25.592, P+B+R+I
Immobilier - Le recours d’un constructeur contre un autre se prescrit par cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer
Un architecte et un carreleur participent à la construction d’un immeuble. Une fois les travaux réceptionnés, divers désordres sont constatés. Un peu moins de dix ans après la réception des travaux, le syndicat des copropriétaires assigne alors l’architecte, et peu après, le carreleur et son assureur, en référé expertise. Quatre ans plus tard, le syndicat assigne en indemnisation l’architecte, et un an après, ce dernier appelle en garantie le carreleur et son assureur. La cour d’appel déclare cet appel en garantie prescrit au motif que, selon l’article 1792-4-3 du Code civil, la prescription de dix ans à compter de la réception s’applique aux recours entre constructeurs fondés sur la responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle et que ce délai courait à compter de la réception. Bien au contraire, la Cour de cassation censure ce raisonnement : au visa des articles1792-4-3 et 2224 du Code civil, elle affirme que le premier article « n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants » ; elle poursuit ainsi : « le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du Code civil […] [et] se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Elle rappelle aussi que « l’assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal […] [est] le point de départ du délai de son action récursoire à l’encontre des sous-traitants ».
OBSERVATIONS. La Haute juridiction rappelle que le recours d’un constructeur contre un autre est contractuel ou délictuel et que le point de départ n’était pas la réception (Cass. 3e civ., 8 févr. 2012, n° 11-11.417 ; rappr. pour le tiers agissant pour trouble anormal de voisinage, Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, n° 16-24.352), mais est au jour de l’assignation en référé-expertise (Cass. 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-11.355).
Réf. : Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, n° 18-25.915, P+B+R+I
Déclaration de créance - Effet de la décision de rejet de la créance par le juge-commissaire
Une société de caution accorde sa garantie à une société, un particulier s’engageant à son égard comme caution de toutes sommes que la société débitrice pourrait lui devoir après mise en jeu de la garantie financière. La débitrice ayant été mise en liquidation judiciaire, la société de caution déclare à cette procédure le montant appelé au titre de l’exécution de sa garantie et assigne la caution en paiement. Un arrêt du 9 avril 2013 fait droit à cette demande et condamne la caution ; toutefois, un arrêt du 27 juin 2013 déclare irrecevable la déclaration de créance de la créancière. La société créancière ayant demandé la licitation des biens et droits immobiliers de la caution, cette dernière oppose l’extinction de la créance garantie, faisant valoir qu’elle avait été rejetée du passif de la procédure collective. Pour la cour d’appel, l’irrecevabilité de la déclaration de créance, qui n’entraîne plus l’extinction de la créance, laisse subsister l’obligation de la caution, de sorte que l’arrêt de condamnation, qui est devenu irrévocable, ne peut plus être remis en cause.
Mais la chambre commerciale rend un arrêt de cassation au visa des articles 2036, devenu 2313, du Code civil et L. 624-2 du Code de commerce : elle juge « que, selon le deuxième de ces textes, la décision par laquelle le juge-commissaire retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise au passif est une décision de rejet de la créance, qui entraîne, par voie de conséquence, son extinction ; qu’il résulte du premier que la décision de condamnation de la caution à exécuter son engagement, serait-elle passé en force de chose jugée, ne fait pas obstacle à ce que la caution puisse opposer l’extinction de la créance garantie pour une cause postérieure à cette décision ».
OBSERVATIONS. La chambre commerciale confirme que la décision de rejet de la créance entraîne son extinction, ainsi que celle de la sûreté la garantissant (Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-24854). Cette conséquence n’est pas remise en cause par une décision de condamnation de la caution antérieure, même passée en force de chose jugée.
Réf. : Cass. com., 22 janvier 2020, n° 18-19526, Publié au bulletin.
Commerçant - Statut du mandataire social
Des associés cèdent la totalité des actions d’une société par actions simplifiée (SAS) à un cessionnaire. Estimant avoir été trompé sur l’état de la société cédée, le cessionnaire assigne les cédants devant le tribunal de commerce de Paris en application d’une clause attributive de juridiction stipulée dans l’acte de cession. Les cédants soulèvent l’incompétence de ce tribunal au profit du tribunal de commerce de Rennes, tribunal territorialement compétent en principe ; ils contestent l’application de la clause, faute pour l’un des cédants d’avoir la qualité de commerçant. La cour d’appel écarte le jeu de la clause. Le cessionnaire forme un pourvoi, soutenant que doit être considéré comme commerçant l’associé fondateur d’une société commerciale, qui participe à l’exploitation de cette entreprise à titre professionnel, en cède le contrôle et souscrit, à l’occasion de la cession, une garantie d’actif et de passif. Mais la chambre commerciale rend un arrêt de rejet : elle juge que « la cour d’appel a tout d’abord exactement retenu que les différents contrats commerciaux signés par le cédant avec les clients de (la société cédée) ne s’analysaient pas à son égard en des actes de commerce, dès lors qu’ils l’ont été en sa qualité de mandataire social pour le compte de (cette entité) et non pour son compte personnel ; elle a ensuite constaté que les seuls actes de commerce accomplis par (le cédant) étaient constitués par l’acte de cession ayant conféré le contrôle de la société cédée et la signature d’une garantie d’actif et de passif à l’occasion de ce transfert de contrôle, et en a, à bon droit, déduit que ces actes ne suffisaient pas, du fait de leur nombre limité, à démontrer que (le cédant) en avait fait sa profession habituelle, de sorte qu’il n’était pas commerçant ».
OBSERVATIONS. La qualification de commerçant suppose l’accomplissement d’actes de commerce à titre de profession habituelle et à titre indépendant. Tel n’est pas le cas du mandataire social qui conclut des contrats au nom et pour le compte de la société. Le dirigeant d’une société commerciale n’a pas la qualité de commerçant en raison des actes de commerce accomplis pour le compte de cette société.
Réf. : Cass. com., 29 janvier 2020, n° 19-12584, Publié au bulletin.
Nomenclature des arrêts de la Cour de cassation : F : formation à 3 ; FS : formation de section ; FP : formation plénière de chambre ; D : arrêt diffusé ; P : arrêt publié au bulletin mensuel ; P + B : arrêt publié au bulletin d’information ; R : arrêt mentionné dans le rapport annuel ; I : arrêt publié sur le site internet