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« La parentalité doit être portée par le management »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 04.11.2008 |

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« La parentalité doit être portée par le management »

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L'idée de permettre à des femmes et à des hommes de concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale gagne tout doucement les entreprises. Mais l'enjeu de la parentalité nécessite d'abord de révolutionner l'organisation et la culture managériale.

E & C : Pourquoi vous semble-t-il important pour les entreprises d'intégrer la donnée de la parentalité dans leur gestion humaine ?

Bénédicte Bertin-Mourot : Une politique de parentalité peut être un argument fort de fidélisation et d'attraction, en particulier pour les jeunes diplômés qui ne veulent plus sacrifier leur vie personnelle à leur vie professionnelle comme l'ont fait leurs parents. Elle peut, ainsi, s'avérer un avantage compétitif en période de guerre des talents et également un facteur de performance. En interne, elle peut engendrer de nombreux effets positifs sur les effectifs : moins de stress, de surmenage...

E & C : Comment mettre en oeuvre cette politique ?

B. B.-M. : Appliquer une politique de parentalité revient à bousculer l'organisation du travail et la culture managériale de l'entreprise. Ce qui demandera beaucoup de temps. Elle doit surtout venir du haut, être portée par le management : le patron d'une entité ou d'une entreprise. A lui de faire preuve d'exemplarité. Il peut, ainsi, instituer qu'aucune réunion ne dépasse les 19 heures ou ne commence avant 9 heures. L'effort peut aussi porter sur les parcours de carrière. Aujourd'hui, les hauts potentiels sont repérés vers l'âge de 30 ans et promus lorsqu'ils se sont expatriés. Or, ce modèle de carrière très classique pénalise les pères et les mères ayant des enfants en bas âge, qui vivent une garde partagée, ou dont l'époux ou l'épouse ne peut pas partir à l'étranger. Pourquoi ne pas établir des entretiens très individualisés pour favoriser des promotions plus adaptées à la disponibilité familiale de chacun ?

E & C : Les initiatives comme la Charte de la parentalité, signée par une trentaine d'entreprises, et bientôt, l'Observatoire de la parentalité, vont-elles dans le bon sens ?

B. B.-M. : J'avoue être un peu méfiante vis-à-vis des chartes, que ce soit celle de la parentalité, de la diversité ou de l'égalité professionnelle. Sans suivi de la DRH et des syndicats, sans indicateurs pour vérifier l'avancée des engagements pris, elles me semblent vouées à n'être qu'un effet d'affichage pour les entreprises. L'Observatoire de la parentalité a l'ambition de suivre l'application des chartes. Attendons de voir.

Mais, en dehors de ces initiatives, il est certain que les entreprises qui ont déjà commencé à réfléchir à l'évolution de carrière des femmes en tenant compte de leurs contraintes familiales, seront celles qui avanceront le plus vite sur la question plus globale de la parentalité.

E & C : Ce besoin de concilier vie familiale et vie professionnelle a longtemps été une revendication des femmes. Elle est en train de devenir celle des hommes. Comment l'expliquez-vous ?

B. B.-M. : C'est un phénomène nouveau démontré pour la première fois par l'enquête du cabinet Equilibres*. Il s'explique par l'importance de la place de l'enfant dans la société et dans le couple, et par le travail des femmes.

Autrefois, les pères cadres dirigeants étaient des pourvoyeurs de revenus, peu engagés dans les tâches parentales et domestiques. Pour les avoir interrogés lors de mes études, je peux vous assurer qu'ils ne faisaient jamais allusion à leur vie personnelle.

Aujourd'hui, les hauts potentiels rencontrés dans cette récente enquête nous ont consacré plus d'une heure sur ce sujet malgré leur emploi du temps très chargé. Ils ont avoué ne plus vouloir construire leur identité sociale uniquement par le travail. Leur investissement dans la charge domestique est réel - même si l'on est encore loin de l'égalité - et, surtout, ils veulent s'épanouir dans leur paternité, passer du temps avec leurs enfants. Un souhait lié aussi aux ambitions professionnelles de leur femme. Or, il s'avère que dans certaines entreprises, prendre un congé de paternité peut faire courir un risque à une carrière, alors même que cette disposition est affichée dans le rapport annuel...

E & C : Peut-on parler d'une véritable révolution socioculturelle ?

B. B.-M. : Disons plutôt qu'une tendance est en train de se dessiner. Mais, de même que les entreprises en sont encore au balbutiement en ce qui concerne leurs actions vis-à-vis des femmes, certaines sont à peine en train d'y penser lorsqu'il s'agit des hommes. Entre la prise de conscience et la mise en place de mesures, il peut se passer de longues années. De plus, dès que surgissent des crises, comme celle que nous vivons actuellement, les entreprises se reconcentrent sur ce qui leur semble essentiel : l'économique. Les sujets liés à l'égalité professionnelle des femmes ou, plus généralement, à la parentalité, risquent alors de passer au second plan.

* Sondage auprès de 400 pères cadres, âgés de 30 à 40 ans ; 60 entretiens avec des cadres supérieurs et hauts potentiels trentenaires de grandes entreprises (Suez, PSA Peugeot-Citroën, Coca Cola Entreprise, Saint-Gobain, Bain & Company).

PARCOURS

• Bénédicte Bertin-Mourot est sociologue au Lise (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique) - CNRS, cocréatrice de l'Observatoire des dirigeants.

• Elle est l'auteure de plusieurs études et ouvrages, dont celui coécrit avec Michel Bauer, Radiographie des grands patrons français (L'Harmattan, 2000) et, avec Catherine Laval, Repenser l'équilibre hommes-femmes dans la ressource managériale et dirigeante (Les Echos, 2005).

• Elle a collaboré à l'étude Les pères managers en quête d'Equilibre* (projet Qualitemps/FSE/Cnidff/ cabinet Equilibres, 2008).

LECTURES

Le deuxième âge de l'émancipation, Dominique Meda, Hélène Périvier, Seuil, 2007.

Masculin-féminin. Tome I : La pensée de la différence (1995). Tome II : Dissoudre la hiérarchie (2002). Françoise Héritier, éd. Odile Jacob.

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