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« Je me bats contre une vision caricaturale de l'entrepreneuriat »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 02.09.2008 |

Alors que 2,3 millions des jeunes sont au chômage et que 70 % de ceux qui travaillent sont en situation de précarité, il devient urgent de reconnecter les jeunes et l'entreprise. Outre la nécessité de dépasser les préjugés générationnels, des actions simples peuvent être rapidement engagées en entreprise.

E & C : Dans votre ouvrage consacré aux relations des jeunes avec les entreprises*, votre constat est sévère. Comment en est-on arrivé là ?

Thibault Lanxade : La déconnexion entre les jeunes et le monde de l'entreprise vient d'un fossé générationnel qui se développe depuis vingt ans, et qui s'est amplifié ces dix dernières années. Il s'explique, notamment, par les nouveaux moyens technologiques, qui accentuent fortement les décalages. Les 35 heures ont également eu un impact important. Les jeunes revendiquent en effet plus fortement qu'auparavant un meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée.

Par ailleurs, la jeune génération arrive avec des passifs. Elle ne rêve plus, et la jeunesse française est la plus démoralisée d'Europe... Mais il faut casser les clichés. Les jeunes ont plus peur du chômage que de travailler dur. Ils sont vraiment prêts à s'engager... pour peu qu'ils soient investis d'une mission, avec des objectifs explicites et cohérents ! Il faut donc repenser nos schémas, notre éducation et la vie en entreprise. Si les mondes de l'éducation et de l'entreprise ne s'ignorent plus, il faut renforcer et consolider les passerelles qui existent.

E & C : Vous avez publié, fin 2007, une étude sur les manuels scolaires d'économie selon laquelle ils donneraient une vision pessimiste et orientée de l'entreprise. Quelle est la solution pour changer cette image ?

T. L. : Cette étude était un «coup de gueule». Certes, elle était incomplète et peu académique, mais j'ai voulu réagir en tant que chef d'entreprise. Il me semble qu'il faudrait que l'entreprise soit plus présente dans les cursus académiques et davantage étudiée en tant qu'objet. De façon plus globale, je regrette que l'image de l'entreprise, en dehors de quelques médias économiques et spécialisés, ne soit pas très favorable. Il ne faut pas, bien sûr, occulter les problèmes de pénibilité du travail, des délocalisations de l'emploi, mais n'oublions pas non plus de valoriser les réussites et l'épanouissement professionnel. Je me bats contre une vision caricaturale de l'entrepreneuriat.

Par ailleurs, le reproche que l'on peut faire à l'Education nationale est d'être essentiellement fondée sur l'assimilation des connaissances et le développement des compétences, et de ne pas être suffisamment tournée vers l'expression des talents et un peu déconnectée de son environnement. Certes, son rôle n'est pas de former des salariés employables, mais elle doit préparer les jeunes aux réalités quotidiennes.

Il est impératif d'introduire dans les enseignements (par exemple, de philo ou d'histoire) des modules pédagogiques concrets pour rester en phase avec la réalité. En Angleterre, par exemple, les étudiants découvrent le monde de l'entreprise très jeunes.

E & C : Quelles seraient les mesures les plus urgentes à prendre ?

T. L. : Ce sont celles qui sont les plus faciles à mettre en oeuvre. Il s'agit surtout d'une question de bonne volonté : valoriser les conditions des stagiaires - rémunération, suppression de la période d'essai en cas d'embauche, visibilité sur les carrières, ne pas remplacer un emploi pérenne ou alors avec la rémunération qui va avec... Autre priorité : les 160 000 jeunes qui sortent chaque année sans aucun diplôme. Les grandes entreprises ont un rôle citoyen à jouer, car elles ont davantage de moyens que les PME, notamment en termes de formation. Je prône également une capitalisation immédiate du DIF ou la possibilité de faire une VAE dès la deuxième année d'expérience professionnelle.

E & C : Quel est le rôle des ressources humaines dans cette connexion ?

T. L. : Les DRH ont un important travail d'information et d'explication à faire sur les comportements et les attentes des jeunes générations pour éviter qu'elles soient caricaturées. Cela a commencé, mais les clichés ont la vie dure et on a l'impression que les entreprises «découvrent» souvent comment fonctionnent les jeunes lorsque ceux-ci sont en poste.

Ensuite, il faut structurer la politique de management par rapport aux attentes très fortes des jeunes et à leur mode d'implication : les faire davantage travailler en équipe, dans des business units plus petites, et favoriser un management irréprochable. Evoluer sur les questions disciplinaires et réglementaires par rapport aux nouvelles technologies. Plutôt que de les brider, mieux vaut les encadrer en les adaptant aux besoins de l'entreprise. Il y a véritablement un énorme effort d'adaptation à fournir envers les jeunes. Les entreprises n'auront pas le choix...

Il faut également rappeler aux jeunes que l'entreprise est un monde où la compétition et la compétitivité règnent, aujourd'hui, encore plus qu'hier, qu'elles sont régies par des règles difficiles, élaborées par un système global et non par le chef d'entreprise. Si le jeune pense seulement à ce que l'entreprise peut lui apporter et non, également, à ce qu'il peut lui apporter, cela ne peut pas fonctionner. Il peut avoir des craintes, des attentes, des exigences, mais il doit être pro-actif. Même s'il faut sans cesse redéfinir de nouveaux objectifs de développement personnel. Et, si cela n'est pas possible, accepter qu'il parte ailleurs.

* Jeunes & entreprises : réussir la connexion (Editea, 2008).

PARCOURS

• Thibault Lanxade est président, depuis 2006, de Positive Entreprise, une association qui vise à apporter des solutions concrètes en vue de favoriser le rapprochement entre les jeunes et le monde de l'entreprise.

• Il a successivement travaillé au sein de la Société générale, Shell, Butagaz, avant de diriger Gazinox, puis d'être le fondateur associé d'Aqoba.

• Il est l'auteur de Génération 35 heures (Editea, 2006) et de Jeunes & entreprises : réussir la connexion (Editea, 2008).

LECTURES

Jeunes et entreprise, Hervé Sérieyx, éditions d'Organisation, 2005.

Les jeunesses face à leur avenir : une enquête internationale, A. Stellinger (dir.), avec la collaboration de R. Wintrebert, Fondation pour l'innovation politique, 2008.

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