Le terme de cadre constitue une notion assez floue. Les attributions et les origines sociales des cadres sont hétéroclites. Parmi eux figurent des «héritiers», au sens que Bourdieu donnait à ce terme, des transfuges du prolétariat ou des enfants des classes moyennes en voie d'ascension sociale au fil des générations.

Les Français semblent particulièrement attachés au statut cadre pour ce qu'il représente de reconnaissance sociale. Fer de lance du capitalisme dont ils adoptaient sans réserve les valeurs et les intérêts il y a peu, les cadres semblent, aujourd'hui, avoir une position sensiblement plus ambiguë. Pris entre le marteau du pouvoir et l'enclume des salariés auprès de qui ils doivent relayer les exigences venues d'en haut, ils se retrouvent souvent au coeur de véritables paradoxes identitaires. Supposés autonomes, ils passent leur temps à zapper d'un objectif à l'autre au gré de décisions stratégiques changeantes.

Valorisés socialement, ils ont, personnellement, de plus en plus souvent le sentiment d'être interchangeables. Garants de l'éthique et de la qualité du travail, ils sont pris dans une logique oppressante du rendement. Moteurs de l'esprit d'équipe, ils ont souvent intérêt à jouer solo. Payés pour adhérer aux valeurs de l'entreprise, ils doivent cependant garder suffisamment de distance pour rebondir, etc. Autant de tensions qu'il serait dangereux, pour l'entreprise, de ne pas prendre en compte sous peine de voir s'approfondir le malaise d'une population déterminante pour la légitimité sociale du capitalisme.

Eric Roussel est formateur au Cnam et chercheur à Audencia Nantes.