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Enquête

Tout reste a faire

Enquête | publié le : 26.04.2005 | Guillaume Le Nagard

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Tout reste a faire

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Avec l'allongement de la vie professionnelle et l'arrivée du choc démographique, les entreprises, pour gérer leurs salariés seniors, vont devoir oublier les habitudes de gestion des effectifs héritées de l'âge des préretraites. Transfert des savoir-faire, mais aussi de la culture d'entreprise, fidélisation, mobilité... Nos deux sondages exclusifs, auprès des salariés concernés et des entreprises, montrent qu'une révolution des mentalités est nécessaire.

De toute évidence, la révolution copernicienne de la gestion des salariés âgés, qui consistera à enterrer quelque trente ans de recours massif aux préretraites, n'a pas encore eu lieu. Le papy-boom et ses risques de pénurie de compétences approchent, disent les démographes ? La réforme des retraites a près de deux ans, les préretraites s'éteignent, la durée de cotisation pour une retraite à taux plein va augmenter, indiquent les juristes ? Rien n'y fait, si la perception des risques et des difficultés à venir progresse, les entreprises n'ont pas dépassé le stade du diagnostic interne, à quelques exceptions près, déjà bien connues du monde des ressources humaines, comme Axa France, EADS, Caisses d'épargne, France 3, pour leurs dispositifs favorisant les mobilités et l'évolution des carrières ; Renault ou PSA, pour l'approche ergonomique des postes.

Désert managérial

Beaucoup d'autres travaillent aussi, sans aucun doute, sur le maintien des seniors dans l'emploi, mais, en général, les 55-64 ans français continuent de progresser dans un désert managérial, pour le tiers d'entre eux qui ont encore un emploi, ou, tout simplement, de préretraites en dispenses de recherche, vers la liquidation de leurs droits. Si, à cet âge, vous n'avez bénéficié d'aucun de ces dispositifs, et si vous vous trouvez sur le marché de l'emploi, ce qui vous attend n'a qu'un nom : «la galère».

Un quinquagénaire a, en effet, cinq fois moins de chances que la moyenne de retrouver un emploi. Au tableau du déshonneur des discriminations à l'embauche, il décroche la palme. Un récent testing, réalisé par le professeur Jean-François Amadieu et Adia (voir Entreprise & carrières n° 760), démontre qu'il reste sur le carreau encore plus souvent qu'un candidat de couleur, qu'une candidate maghrébine, qu'un candidat handicapé.

Harcèlement moral

Dans les entreprises, la vie est à peine plus rose pour certains salariés seniors. L'enquête auprès d'un millier d'entre eux, que nous avons réalisée en partenariat avec le site NotreTemps.com, et qui constitue la première livraison d'un baromètre semestriel «Seniors en entreprise» (lire p. 15), fait ressortir une réalité préoccupante : la moitié des quinquas interrogés ont eu le sentiment qu'eux-mêmes ou leurs collègues étaient victimes de harcèlement moral dans leur entreprise en raison de leur âge.

Remise en cause

C'est dire la pression qui peut parfois peser sur ces salariés qui «devraient» être en préretraite, dont les capacités sont remises en cause, et l'expérience rarement reconnue. Néanmoins, pour une autre frange de la population senior dans les entreprises, l'enquête fait ressortir un mode de gestion plus satisfaisant : des accès à la formation, des mobilités plus ou moins valorisantes, des augmentations individuelles, concernant, sur les trois dernières années, un tiers de notre panel.

Dans la tête des DRH, le problème est complexe. Le maintien des salariés âgés dans l'emploi va s'imposer à eux pour de multiples raisons issues de la loi Fillon : l'allongement de la durée de cotisation retraite ; le recul de la mise à la retraite d'office de 60 à 65 ans ; l'impossibilité de profiter plus longtemps du consensus social autour des préretraites : les préretraites financées sur les deniers publics vont se réduire comme une peau de chagrin, et les préretraites maison seront taxées à hauteur de 25 % ou presque.

Gestion des «restants»

« Il va falloir garder des gens à qui on dit depuis des années qu'ils ne servent plus à rien dans l'entreprise », ajoute Gérard Fournier, qui dirige Boyden, société spécialisée dans l'intérim de management, et est l'auteur de Manager les quinquas.

L'enquête que nous avons réalisée avec la société Demos (lire p. 17) auprès de 200 entreprises indique, ainsi, que les dirigeants et les DRH craignent de ne pas savoir gérer les fins de carrière (60 %), mais aussi les milieux de parcours (34 %), de voir leurs salariés âgés se démotiver (59 %), s'user physiquement (43 %), boucher les possibilités de promotion pour tout le monde (30 %). Pas simple, en effet.

Pour l'heure, les DRH de notre enquête envisagent des solutions de tutorat, de développement des carrières transversales ou experts, notamment grâce aux organisations en équipes de projet. Mais peu ont commencé à mettre en oeuvre des bilans d'orientation à partir de 45 ans, comme le font déjà les Caisses d'épargne ou EADS, par exemple.

Départ massif

Autre problème sérieux : beaucoup de ces seniors risquent de partir ensemble ou presque, en tout cas massivement, entre 2006 et 2025. L'Apec annonce, par exemple, une pénurie de 44 000 cadres par an à partir de 2006, dont 29 000 dans le privé. Les entreprises et les secteurs seront certes diversement touchés (la banque et l'assurance, les transports, l'industrie sont les plus vulnérables à ce titre). Certaines entreprises utiliseront une partie de ces départs pour réduire les effectifs et la masse salariale, et continuer à travailler sur la productivité. Mais aucune ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur les risques liés à ces départs.

Enfin, au-delà des effets du papy-boom et des pénuries de compétences, l'ensemble de la politique sociale et de l'attractivité de l'entreprise peut être concerné. Faire évoluer les seniors, transférer les savoir-faire en assurant des possibilités de promotion à tous les âges, permettra de ne pas saper la motivation générale et de conserver une image d'employeur attractive.

2005, année charnière

La négociation interprofessionnelle sur l'emploi des seniors vient de commencer et, même si elle ne donne lieu, pour l'heure, qu'à des bombements de torses et à l'affichage des positions de principe habituelles des entrées en matière, les partenaires sociaux vont travailler intensément sur le sujet. Le maintien des seniors dans l'emploi est l'un des éléments garants de la capacité de la France à réaliser un PIB et une croissance raisonnables, et à conserver ses grands régimes de protection sociale. Les partenaires sociaux qui en sont gestionnaires ne peuvent se désintéresser de la réussite de ces négociations.

2005 pourrait être une année charnière de l'emploi des seniors pour sortir de la peu glorieuse exception française, qui veut qu'un tiers seulement des salariés de 55 à 64 ans soient en situation d'emploi, contre 41 % en moyenne en Europe, voire près de 70 % en Suède.

L'essentiel

1 A la traîne de l'Europe en matière d'emploi des seniors, la France a besoin d'une révolution des mentalités. Il en va de l'avenir de ses régimes sociaux et de sa capacité de croissance.

2 L'allongement de la vie professionnelle, induit par la réforme des retraites de 2003, comme les risques de pénurie de compétences liés au papy-boom, devraient surtout inciter à une rénovation de la gestion des carrières, indique notre sondage, réalisé avec Demos, auprès de 200 entreprises.

3 Pour les salariés, la «seniorité» reste difficile à vivre, autant dans les entreprises, comme le montre notre 1er Baromètre Seniors en entreprise, réalisé avec NotreTemps.com, que sur le marché du travail, où ils n'ont guère d'espoir de retrouver un CDI.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard