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L'entreprise tire les leçons des restructurations passées

SANS | publié le : 26.02.2002 |

Plus de confidentialité et de professionnalisme, moins de recours aux aides de l'Etat : les restructurations stratégiques des entreprises évoluent vers une logique de privatisation dont les salariés tirent aussi profit. C'est ce que montre Myriam Campinos-Dubernet dans un rapport à paraître.

E & C : Dans votre rapport, vous vous intéressez aux restructurations stratégiques et réussies des entreprises. Pourquoi ce choix ?

Myriam Campinos-Dubernet : Les restructurations étudiées s'inscrivent totalement dans le contexte de la mondialisation. Elles sont, pour les groupes internationaux puissants qui les mènent, une pièce d'une stratégie d'ensemble. Ce ne sont pas des restructurations de crise. Le choix de restructurations réussies correspond au souci d'examiner les conditions nécessaires à leur réussite. Ainsi, la dimension commune la plus frappante des restructurations réussies est la volonté de compromis de la part des parties. Cette recherche de compromis n'indique pas l'existence d'un consensus. Elle n'exclut pas davantage une réelle opposition des salariés à la décision de restructurer l'entreprise. Elle signifie ce- pendant qu'il est possible de définir un accord donnant/donnant entre les salariés et l'entreprise et que cet accord se révèle au final avoir été aussi favorable que possible pour les salariés. Le dispositif utilisé est principalement orienté "résultats", beaucoup plus que "moyens".

E & C : Vous constatez que le secret et la gestion de l'incertitude caractérisent ces restructurations. Pourquoi ?

M. C.-D. : Comme il s'agit d'opérations planifiées de longue date et inscrites dans une stratégie mondiale, il est impératif d'en garder le secret le plus longtemps possible, pour éviter les risques de médiatisation qui les feraient échouer. Si le DRH groupe est partie prenante dès le début, avec l'appui de consultants, les RH locales ne sont souvent prévenues que tardivement, voire quelques jours avant. La volonté de maîtriser l'incertitude conduit aussi les entreprises à se passer des aides de l'Etat. Deux risques se présentent, en effet, à elles : le refus du plan social par l'administration du travail et la judiciarisation. Ce risque est encore plus grand puisque les délais ne sont plus du tout maîtrisés. C'est fâcheux vis-à-vis des actionnaires qui n'ont rien contre un plan social mais détestent l'incertitude, et vis-à-vis des consommateurs à cause de la mauvaise publicité. Tous ces groupes développent des images très fortes en termes de marketing.

L'effet Hoover m'a spontanément été cité par plusieurs DRH : les produits ont été boycottés, mais sans mot d'ordre, après le départ de l'entreprise vers l'Ecosse pour des raisons de coût de main-d'oeuvre. Enfin, comme ces groupes se portent bien, ils peuvent avoir des scrupules civiques à demander des aides de la collectivité et de l'Etat. Tout cela fait qu'on assiste à une sorte de privatisation des moyens.

E & C : Quelles sont les autres caractéristiques de ces restructurations ?

M. C.-D. : Le professionnalisme des acteurs. Les entreprises ont appris à travailler avec les consultants, à définir des cahiers des charges précis, à négocier âprement les prix, voire à introduire des clauses de résultats. Elles contraignent les cabinets concurrents à coopérer au sein du projet, utilisant comme moyen de pression potentiel "l'effet de réputation". Les consultants ont aussi beaucoup appris de ces quinze à dix-huit années de restructurations. Elles leur ont permis de générer des avancées notoires, autant dans le domaine des techniques de recherche d'emploi pour les anciens salariés, d'accompagnement personnel des individus, que dans celui de go-between entre des acteurs, afin que leurs relations ne s'établissent plus spontanément sur le mode du conflit, de la rupture mais sur la recherche du compromis. Les salariés et syndicats ont beaucoup ap- pris et se donnent les moyens d'avoir le maximum de garanties. Je pense au cas d'une externalisation d'un atelier : les syndicats, instruits par l'expérience, ne se sont pas contentés des garanties de l'article L122-12, limitées dans le temps. Ils ont obtenu une compensation salariale sur douze ans de la part du groupe vendeur. Celui-ci mettra sept ans à récupérer la mise !

E & C : Le volet licenciement de la loi de modernisation sociale vous paraît-il adapté à cette évolution des restructurations ?

M. C.-D. : Cette loi s'inscrit dans une logique qui vise à donner aux salariés les moyens de permettre l'émergence de solutions économiques alternatives. Je pense que cela ne s'improvise pas, surtout compte tenu de nos traditions syndicales. Même dans les pays qui ont une tradition de cogestion, les enjeux des restructurations se limitent à négocier le traitement de leurs conséquences : l'indemnisation des licenciements et les moyens de reclassement plutôt que les moyens éventuels de les éviter. Par ailleurs, si l'administration dispose de pouvoirs de contrôle accrus, on peut supposer que les logiques de privatisation risquent de s'accentuer.

SES LECTURES

Organizational learning, Reading Addison Wesley, C. Argyris, D. Schön, 1978.

Le nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski, Eve Ciapello, Gallimard, NRF Essais, 1999.

Le nouveau monde industriel, Pierre Veltz, Gallimard, Le débat, 2000.

PARCOURS

Socio-économiste de formation, Myriam Campinos-Dubernet est ingénieur hors classe au CNRS. Elle a fait une partie de sa carrière au Cereq (Centre de recherches sur les qualifications), où elle était chef du département emploi et formation.

Elle est entrée en 1993 au GIP-MIS (Groupement d'intérêt public-Mutations des industries et des services), où elle a travaillé sur les questions de qualité et de compétences. Elle en est aujourd'hui la directrice adjointe.

Le rapport intitulé : "Restructurations, nouvelles donnes", recherche financée par le secrétariat d'Etat à l'Industrie, paraîtra dans les prochains mois.