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Dialogue social : Accords transnationaux : les partenaires sociaux fabriquent leurs normes

L’enquête | publié le : 02.05.2017 | Emmanuelle Franck

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Dialogue social : Accords transnationaux : les partenaires sociaux fabriquent leurs normes

Crédit photo Emmanuelle Franck

Sous l’impulsion de groupes internationaux et de leurs représentants du personnel, environ 300 accords d’entreprise transnationaux ont été signés depuis une quinzaine d’années. En l’absence de règles européennes cohérentes encadrant leur négociation et leur signature, les partenaires sociaux ont su faire preuve d’inventivité et se passer d’une directive européenne qui n’est, de toute manière, pas près d’être adoptée.

Le 17 mars dernier, Auchan Retail annonçait la signature d’un accord mondial sur la responsabilité sociale ; le 14 mars, c’était GeoPost, la filiale express internationale du groupe La Poste ; le 7 mars, PSA avait fait de même ; le 22 février, Solvay signait pour une couverture sociale mondiale. Depuis le premier accord de Danone, dans les années 1990, et surtout depuis les années 2000, les accords transnationaux d’entreprises se sont multipliés. On en compte aujourd’hui presque 300, la plupart signés par des groupes européens. La moitié sont des accords mondiaux, en général consacrés aux droits fondamentaux des salariés, l’autre moitié sont des accords européens traitant de sujets plus divers comme les restructurations, la formation, l’égalité professionnelle, le dialogue social…, selon le décompte d’Udo Rehfeldt, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Pour les détracteurs du dialogue social transnational, ces accords sont trop peu nombreux et pas assez efficients pour réguler la mondialisation. Ses défenseurs rétorquent qu’ils sont un outil de diffusion du modèle social européen et un moyen de faire reconnaître et se parler les représentants des salariés.

Gentlemen’s agreements

Toujours est-il que ces accords existent sans cadre juridique. Udo Rehfeldt parle de gentlemen’s agreements (lire son interview p. 23). Impensable en France, où la négociation collective fait l’objet de nombreuses lois ! Pourtant, il y a une dizaine d’années, « la Commission européenne s’est dit qu’il fallait optimiser le potentiel de ces instruments, rappelle Christophe Teissier, responsable de projets à l’association Astrees. Elle a commencé à travailler sur un « cadre juridique optionnel » pour la négociation transnationale, mais il reste encore aujourd’hui à l’état de proposition ». Le sujet n’est pas à l’ordre du jour du plan Juncker d’investissements pour l’Europe lancé en 2015.

La faute aux partenaires sociaux européens, qui n’ont pas réussi à se mettre d’accord. La Confédération européenne des syndicats (CES) est favorable à un cadre juridique, mais le patronat ne veut pas imposer de contraintes aux entreprises. Les questions demeurent donc : qui est habilité à négocier et signer des accords transnationaux ? Comment s’assurer de leur diffusion ? Comment garantir leur effectivité ? Autant de problèmes que les négociateurs résolvent au cas par cas. « Parfois, cela fonctionne, parfois non », constate Christophe Teissier.

La légitimité des représentants de l’entreprise va en général de soi, qu’il s’agisse du DRH groupe ou du directeur général. « Cela ne résout pas tous les problèmes d’efficience de l’accord, qui peut ne pas être relayé vers les DRH nationaux », relève néanmoins Christophe Teissier.

L’affaire se complique s’agissant de la représentation des salariés : les décalages entre les pratiques et les règles sont patents. Pour Udo Rehfeldt, il faut distinguer entre les accords-cadres internationaux et les accords-cadres européens. Les premiers sont en général des textes très généraux – à l’exception de ceux de Solvay (lire p. 22) –, la question de la sécurité juridique ne se pose en fait que pour les accords européens (lire l’interview d’Udo Rehfeldt p. 23).

Les accords européens sont négociés par les comités d’entreprises européens (CEE) mais ils n’ont pas le droit de les signer – ce qu’ils font quand même ; tandis que les syndicats européens, qui ont le droit de signer des accords, ne sont pas vraiment autorisés à participer aux CEE – ce qu’ils font néanmoins. Cette incohérence oblige les représentants des salariés à inventer la légitimité des accords.

La directive de 1994 sur les comités d’entreprise européens n’octroie à ces derniers qu’un droit d’information et de consultation. Dans la pratique, « les fédérations européennes donnent en général des mandats temporaires aux élus du CEE, qui peuvent ainsi signer des accords-cadres européens », explique Maurice Zylberberg, ancien coordinateur pour la France du secteur assurance d’Uni Europa Finance.

Des CEE non syndicalisés

À l’heure actuelle, les CEE ont apposé leur signature sur 73 % des accords européens, et dans presque la moitié des cas, ils les ont signés seuls, a constaté Udo Rehfeldt. Cela ne plaît pas aux syndicats européens. Ils constatent en effet que les CEE sont majoritairement non syndicalisés et ils craignent de les voir accepter des dérogations aux droits nationaux. C’est pourquoi, depuis 2006, les fédérations européennes veulent être signataires des accords européens d’entreprise. C’est le cas à AXA, dont les accords sur l’anticipation des changements de 2011 ont été signés par UNI Europa Finance et par des syndicats français. Cela n’a empêché pas que le texte soit contesté par un syndicat belge (lire l’article ci-dessous). « Les problèmes de mise en œuvre des accords transnationaux ne tiennent pas seulement aux directions mais aussi aux résistances des syndicats nationaux qui ne veulent pas se voir imposer des règles qu’ils n’ont pas choisies », analyse Christophe Teissier. Les accords sur l’emploi, sur l’égalité et sur le stress de BNP Paribas ont de leur côté été signés par UNI Europa Finance, par la Fecec (cadres européens de la banque) et par le CEE (lire p. 21).

Depuis 2006, on trouve donc davantage d’accords d’entreprise européens signés par des fédérations européennes qu’auparavant ; ils proviennent en général de groupes français. Les groupes allemands continuent quant à eux de signer avec leur comité européen, ce qui correspond au droit allemand de la négociation collective en entreprise. En l’absence de règles européennes cohérentes, les groupes français et allemands se réfèrent donc chacun à leur droit national.

Incohérences du droit européen

La question de savoir qui peut négocier n’est pas simple non plus. La présence, au sein du CEE, d’un syndicaliste externe à l’entreprise n’est pas prévue par la directive européenne de 2009. Ce qui veut dire que les fédérations européennes risquent de ne rien savoir des entreprises dont elles sont pourtant censées signer les accords. « La pratique est de désigner un représentant d’une fédération européenne comme expert auprès du comité européen », explique Maurice Zylberberg. C’est ainsi qu’il a pu s’immerger dans AXA pour négocier ses accords d’anticipation. BNP Paribas a procédé de même.

Mais ces incohérences du droit européen n’ont pas empêché le développement de la négociation transnationale ni l’application des accords. Dès lors, y a-t-il absolument besoin d’un cadre juridique ? Pas vraiment aux dires des experts et des syndicalistes de terrain, en tout cas tant qu’on reste entre gentlemen. Maurice Zylberberg estime que « l’Europe ne manque pas de législation mais de volonté politique ». Sébastien Busiris, également à Uni Europa Finance, n’est « pas demandeur d’une directive, car le risque, en développant les accords transnationaux, est qu’ils s’imposent aux droits nationaux plus favorables ». Jean-Marc Gueguen, président de la Fecec (fédération européenne des cadres européens de la banque), estime aussi qu’« il n’y a pas besoin d’un cadre juridique à partir du moment où les accords européens fonctionnent et où ils sont forcément mieux disant que les règles nationales ».

Christophe Teissier est également sur cette ligne : « Si on crée des accords contraignants, je crains que ces derniers perdent leur intérêt. Je ne suis pas persuadé qu’il faille mettre en place un cadre européen. D’autre part, la négociation peut avoir un intérêt en soi : il ne faut pas mésestimer l’enjeu de se voir et de se connaître entre partenaires sociaux de différents pays ». Udo Rehfeldt estime quant à lui qu’un cadre juridique ne nuirait pas à la négociation transnationale tout en reconnaissant que celle-ci est dynamique dans l’absence actuelle de cadre.

Auteur

  • Emmanuelle Franck