logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’interview

Emmanuel Baudoin : « Il n’y a pas de gap générationnel dans le rapport au numérique »

L’interview | publié le : 07.03.2017 | Violette Queuniet

Image

Emmanuel Baudoin : « Il n’y a pas de gap générationnel dans le rapport au numérique »

Crédit photo Violette Queuniet

Les différences générationnelles concernant le rapport des salariés au numérique sont peu nombreuses. L’accompagnement au changement dans des projets digitaux ne peut pas s’appuyer sur cette seule catégorisation.

E & C : Constatez-vous, dans votre étude sur la perception du numérique par les salariés(1), des différences entre les générations ?

EMMANUEL BAUDOIN : Les différences sont peu nombreuses. Le baromètre HRM Digital Lab-Kantar TNS-CFA EVE montre que les salariés sont confiants à l’égard de la transformation numérique. Si 88 % d’entre eux indiquent que le numérique a effectivement impacté leur métier, ils sont 86 % à se sentir globalement confiants quant à leur maîtrise de ces nouveaux outils. En outre, 74 % des salariés disent avoir confiance en l’avenir. Il n’y a aucune différence statistique entre les générations sur ces résultats. L’étude complémentaire conduite avec OpenSourcing sur les usages déclarés des salariés des logiciels au travail (bureautique, moteur de recherche, visioconférence…) ainsi que leur degré de maîtrise perçu ne révèlent, statistiquement, que quelques rares différences générationnelles. Cela rejoint d’ailleurs les autres résultats du baromètre.

Quelles sont ces différences ?

Elles correspondent généralement plutôt à des usages innovants comme, par exemple, les pratiques self RH. Celles-ci recouvrent l’utilisation du numérique par les salariés à différentes fins : développer de manière autonome leurs compétences par l’apprentissage informel – par exemple, je m’autoforme à l’anglais tous les jours grâce à une application ; faire connaître leurs compétences et réalisations en gérant leur « marque employé » – je poste des informations sur les réseaux sociaux concernant mes réalisations ; ou encore revendre directement leurs compétences – par exemple, je suis salarié la semaine, je « vends » mes compétences de bricoleur le week-end via une plate-forme en ligne. On constate que la génération Millenium (18-34 ans, générations dites Y et Z) est un peu plus encline à l’apprentissage numérique informel et à la revente de ses compétences, qui reste un phénomène en émergence (13 % des salariés).

D’où vient l’idée fortement répandue que la génération Millenium est beaucoup plus à l’aise avec le numérique que les autres générations ?

Les plus jeunes semblent plus rapides à s’emparer des nouveautés. Ils ne sont pas nécessairement plus habiles sur l’utilisation du numérique au travail. Il y a un effet millefeuilles des technologies(2) : elles s’empilent, mais une technologie ne chasse pas l’autre. La génération Millenium est peut-être plus à l’aise sur la dernière strate mais ne maîtrise pas nécessairement mieux les couches de base et intermédiaires.

Les différences entre générations sont sans doute plus marquées dans les comportements au travail que dans le rapport au numérique. Certains s’irritent ainsi de voir les jeunes consulter sans arrêt leur téléphone mobile, les réseaux sociaux, alors qu’ils sont au bureau. Or, cette génération considère qu’il est normal d’importer des éléments personnels au travail, ce qui est moins le cas pour les autres.

Plus qu’un effet générationnel, on constate des effets de stades de carrière. Dans notre autre enquête sur les valeurs et les motivations des salariés, on voit bien que les besoins des baby-boomers et des Millenium diffèrent parce qu’ils ne sont pas au même stade de leur carrière. Quand on les interroge, par exemple, sur l’intention de changer d’entreprise, globalement, tous les salariés y sont prêts. Mais la génération Millenium est plus encline à partir dans les deux à trois ans. C’est normal : avant 30 ans, on a moins de contraintes, donc il est plus facile de bouger.

S’il y a peu de différences générationnelles, comment envisager le management RH des projets numériques ?

Comprendre qu’il n’y a pas de rupture forte entre les générations vis-à-vis du numérique, c’est chercher à se fonder sur d’autres formes de catégorisations des pratiques et usages des collaborateurs dans l’entreprise, donc mettre en place un vrai marketing RH d’accompagnement au changement. L’un des risques du numérique que j’ai souvent constaté est de se reposer entièrement sur la technologie. Par exemple, on met en place de l’e-learning, et ensuite on pense qu’il n’y a plus rien d’autre à faire qu’à informer les salariés. C’est souvent une catastrophe. Certains salariés vont s’en emparer facilement, mais c’est loin d’être la majorité. Le rôle des acteurs RH sera de comprendre, entre autres, les pratiques de travail des salariés, leurs besoins, leurs usages actuels, leur degré de maturité ainsi que leur niveau de maîtrise des compétences – numériques et non numériques – nécessaires à la réalisation de leur travail.

Que pensez-vous de certaines pratiques RH comme le mentorat inversé, les jeunes générations apprenant aux plus anciennes à se familiariser avec les usages du numérique ?

C’est génial, mais il faudrait aussi le faire dans l’autre sens. Beaucoup de managers constatent que les jeunes sont peu vigilants quant aux informations qu’ils diffusent sur les réseaux sociaux. Un salarié ayant plus de maturité et d’expérience sur ces usages du numérique pourra « mentorer » un jeune en l’informant des risques de divulgation d’informations confidentielles qu’il peut faire courir pour la société.

Plus globalement, je dirais que les directions ont tout intérêt à faire davantage confiance aux salariés et à améliorer les pratiques d’accompagnement au changement sans tomber dans les stéréotypes, qui peuvent être contre-productifs.

Emmanuel Baudoin Professeur associe à télécom école de management

Parcours

> Docteur en gestion, Emmanuel Baudoin a débuté son parcours comme assistant de gestion avant de s’orienter vers une carrière universitaire.

> Il a géré le programme RH grandes écoles de l’ESC Lille (aujourd’hui Skema) et a créé le département RH et management au groupe Sup de Co La Rochelle.

> Il est professeur associé à TEM (Télécom école de management), où il pilote un master 2 RH orienté sur les RH numériques. Il y dirige le HRM Digital Lab (laboratoire d’étude de la transformation numérique du management des RH).

Lectures

Transformation digitale : l’avènement des plateformes, Gilles Babinet, éditions Le Passeur, 2016.

Petite Fleur de Mandchourie, Xu Ge Fei, éditions XO, 2010.

Mythologie du monde entier, éditions du Club France Loisirs, 1995.

(1) Une étude sur « les salariés français à l’ère de la transformation digitale » a été conduite par le HRM Digital Lab de Télécom école de management en partenariat avec Kantar TNS et OpenSourcing, avec le soutien du CFA EVE et de l’ANDRH Essonne (Lire Entreprise & Carrières n° 1322). Étude à consulter sur www.telecom-em.eu

(2) La théorie du millefeuille a été développée par Michel Kalika, Nabila Boukef Charki et Henri Isaac (Revue française de gestion, 2007).

Auteur

  • Violette Queuniet