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Conditions de travail : Violences externes : les moyens de faire face

L’enquête | publié le : 07.03.2017 | Virginie Leblanc

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Conditions de travail : Violences externes : les moyens de faire face

Crédit photo Virginie Leblanc

De plus en plus de salariés en relation avec le public sont confrontés à la violence externe émanant des clients et des usagers. Démobilisation et stress les affectent. Mais c’est aussi la baisse de la qualité du service et la dégradation de l’image de l’entreprise qui sont en jeu. Des entreprises tentent d’agir sur plusieurs champs : la formation des salariés et leur accompagnement en cas d’incident. Elles doivent aussi solliciter le levier essentiel de l’organisation du travail.

Les trois quarts des salariés travaillent en contact avec le public, selon l’enquête Sumer de 2010. Une population particulièrement exposée aux violences externes (lire l’encadré « Violences externes : de quoi parle-t-on »). Les agents de la fonction publique hospitalière sont les plus concernés (17 %) : 29 % d’entre eux se déclarent victimes d’au moins une agression verbale de la part du public dans l’année écoulée, contre 15 % de l’ensemble des salariés. Dans le secteur privé, les salariés du tertiaire sont les plus touchés : 18 % dans le commerce et les transports, 16 % dans les autres services. Et selon un sondage Ifop commandé par La Poste en 2011, un salarié sur deux se disait victime d’incivilité au moins une fois par semaine, 66 % estimant que cela a un impact sur leur motivation professionnelle et 64 % que cela touche à leur équilibre psychologique.

Un sujet que les entreprises ont donc tout intérêt à prendre en compte. « Au-delà du risque pour la santé des salariés et des absences liées aux arrêts maladie, la répétition des phénomènes de violence physique et verbale déstabilise les équipes exposées en laissant s’installer le mal-être et le stress, ce qui fragilise le sens que chacun accorde au travail, atteint la qualité du service rendu et donc l’image de l’entreprise, observe Éric Goata, directeur associé du cabinet Eléas, spécialiste du management de la qualité de vie au travail et de la prévention des risques psychosociaux. En outre, pèse toujours sur l’employeur le risque juridique de n’avoir rien fait, au regard de son obligation de sécurité de résultat. Par conséquent, de plus en plus d’entreprises agissent pour prévenir les violences externes, mais il ne s’agit pas seulement de former les salariés, il faut aussi agir dans le champ de la prévention primaire et, par exemple, anticiper les processus de soutien. » Le sujet mobilise donc les trois dimensions de la prévention : primaire, secondaire et tertiaire.

Identifier les causes

Mais avant tout, aborder la prévention du risque de violences externes nécessite d’en analyser les causes. « Les relations conflictuelles n’arrivent pas par hasard, il est important de connaître le processus qui y a conduit », souligne Joëlle Pacchiarini, ingénieur conseil en charge de la qualité de vie au travail et de la prévention des risques psychosociaux à la Carsat Languedoc-Roussillon. Pour ce faire, dans un guide de bonnes pratiques, élaboré pour mettre en œuvre une recommandation régionale sur les violences externes, l’institution préconise notamment l’utilisation de la méthode de l’arbre des causes, qui permet d’analyser a posteriori un processus accidentel (lire l’encadré « guide pratique Carsat »).

Plus généralement, « on peut identifier trois types de causes d’incivilités et de violences externes : des causes socio-environnementales, des causes liées à la nature de l’activité, et des causes engendrées par une organisation du travail défaillante », énumère Marc Favaro, responsable d’études à l’INRS*, au Laboratoire Ergonomie et de psychologie appliquées à la prévention (EPAP).

Des métiers exposés

Les premières ont pour origine l’évolution des normes de civilité, la dégradation des codes de savoir-vivre, le chômage, l’isolement, l’insécurité urbaine, les tensions religieuses ou raciales, etc. Les secondes sont directement liées à certaines activités professionnelles propices à la confrontation à la violence : les policiers, les surveillants de prison, les convoyeurs de fonds, les personnels soignants des urgences hospitalières ou des services de psychiatrie, et les métiers qui accueillent des personnes en grande détresse sociale, sont particulièrement exposés.

Mais la violence peut aussi avoir pour origine des choix organisationnels : un produit non conforme aux attentes du client, des services ne répondant pas aux besoins, des temps d’attente trop longs, un non-respect des engagements, des coûts additionnels non clairement indiqués vont conduire les clients, s’estimant dupés, à adopter des comportements agressifs à l’égard du vendeur ou du service après-vente.

« Les incivilités sont un symptôme de non-qualité du processus de travail, observe Florence Abily, dirigeante de la société de conseil Modus Vivendi, et animatrice du club interentreprises pour la prévention des incivilités créé en 2010 par La Poste. Dans les trois quarts des cas, c’est la manifestation d’une insatisfaction d’un client. » Le club, qui réunit une vingtaine d’entreprises (AP-HP, SNCF, Paris Habitat, groupe Casino, RATP, BNP Paribas, l’Assurance maladie, etc.) et dont l’objectif est l’échange de bonnes pratiques, a justement adopté une approche systémique et opérationnelle fondée sur l’analyse des causes de manière pluridisciplinaire.

Des Choix organisationnels

Et les tensions en lien avec des choix stratégiques ou organisationnels ne sont pas rares. « Début 2016, pour des raisons économiques, les établissements bancaires ont décidé de généraliser les frais de tenue de comptes, illustre Régis Dos Santos, président du SNB CFE-CGC. Sur le plan légal, on ne peut rien reprocher, mais sur le plan commercial, rien n’a été fait pour accompagner les salariés face aux clients, alors qu’il devrait y avoir une information claire donnée en amont avec des argumentaires types. » La profession bancaire dispose pourtant depuis 2006 d’un accord de branche sur le phénomène des incivilités et des violences à l’occasion des relations commerciales avec la clientèle, renouvelé à l’unanimité en 2009, pour une durée indéterminée. Parmi les axes retenus : caractériser et recenser les incivilités, travailler sur l’information et la transparence vis-à-vis de la clientèle, informer et former le personnel, et prévoir des dispositifs d’alerte et d’assistance. Le bilan 2015 de l’AFB (Association française des banques) faisait état de 5 836 incivilités, chiffre stable par rapport à 2014, mais que Régis Dos Santos nuance : « les salariés hésitent à remplir un formulaire de déclaration d’incident alors que rien ne se passe ». Et depuis 2013, on observe une nette augmentation de la catégorie « chargés de clientèle » parmi les victimes.

Les tensions avec le public, c’est aussi souvent une question de file d’attente. Les hôpitaux ont beaucoup travaillé sur la question des urgences (lire Entreprise & Carrières n° 1088). Au centre hospitalier de Perpignan, où une centaine d’atteintes aux personnes, physiques et verbales (notamment des injures et des menaces de mort), sont signalées chaque année, un diagnostic des risques psychosociaux au service des urgences a permis de travailler sur la mise en place d’une formation des agents, sur une meilleure information du public et sur la diminution de la promiscuité entre les patients (lire p. 22)…

Dans l’Isère, le Centre de gestion de l’Isère – prestataire RH des plus petites collectivités – accompagne les petites communes sur la prévention des violences externes et a construit des fiches de prévention, dont l’une d’entre elle détaille le soin à apporter à l’agencement des locaux (lire p. 23).

Sessions de sensibilisation

La Poste a aussi beaucoup œuvré sur cette question des flux du public et de l’attente (lire Entreprise & Carrières n° 1088). « L’approche de La Poste est un bon modèle de réponse organisationnelle, atteste Christophe Nguyen, gérant et consultant associé du cabinet Empreinte Humaine. L’entreprise a réussi à diminuer les temps d’attente dans les bureaux de poste et a su organiser une signalétique, ce qui a contribué à relâcher la pression. En parallèle, nous avons formé les collaborateurs et les managers à la gestion de la charge émotionnelle, à l’écoute, au soutien et au dialogue. Des sessions de sensibilisation qui comprennent des mises en situation avec un accompagnement individuel pour que les salariés apprennent à se protéger. »

Indispensables Mises en situation

Selon Régis Dos Santos, la formation est un élément essentiel mais dans l’accord de branche de la banque, la liberté entière est laissée aux établissements d’adopter des modules de deux heures, des stages en présentiel ou du e-learning, alors que selon lui, « il est indispensable d’organiser des mises en situation, comme le fait par exemple le Crédit agricole. » La banque avait dénombré une augmentation de 20 % des agressions envers ses conseillers entre 2014 et 2015.

Aux actions portant sur l’organisation, la formation, et l’accompagnement des victimes qu’il faut aussi anticiper, s’ajoutent des mesures de sécurisation des locaux et de protection des salariés : vigiles, boutons d’urgence, procédure d’alerte et de recours à un tiers quand le ton monte. Les entreprises et administrations n’hésitent plus non plus à diffuser des affiches où sont clairement mentionnées les menaces d’actions juridiques en cas d’agressions. Dans les boutiques Orange, on trouve par exemple des affiches mentionnant que toute agression physique ou verbale envers le personnel fera l’objet d’un dépôt de plainte systématique et de poursuites judiciaires, avec mention de l’article 222-13 du Code pénal. Dans les agences de la Cnav, une affiche avec les sanctions encourues par les assurés agressifs a été apposée (lire p. 21). De nombreux modèles ayant été auparavant diffusés dans les hôpitaux.

En outre, préconise Joëlle Pacchiarini, il est utile de prévoir des sanctions graduées envers la personne qui agresse, comme le fait par exemple la Banque postale, qui va jusqu’à la fermeture de comptes. « Cette reconnaissance est très importante pour les salariés », souligne-t-elle. Un signal perçu très positivement à la Cnav (lire p. 21), où, à la suite d’une incivilité, un courrier systématique du directeur opérationnel à l’assuré lui indique que son comportement est inqualifiable et qu’il peut conduire à des poursuites pénales.

Un guide pratique pour prévenir les risques d’agression

La Carsat Languedoc-Roussillon a conçu un guide de bonnes pratiques pour la mise en œuvre de la recommandation régionale T16 « prévention du risque d’agression des salariés en contact avec le public ». Pour prévenir le risque de violences externes, le document détaille plusieurs points :

Analyse des agressions grâce à la méthode de l’arbre des causes.

Réflexion sur l’organisation du travail (violence pouvant être générée implicitement par l’organisation ; information fausse ou trop complexe ; délais non tenus, etc.)

Gestion de l’événement (comment s’y préparer grâce à une procédure d’alerte, droit de retrait).

Formation des référents et des salariés (cahier des charges à réaliser, exemples de formations dispensées).

Conception et aménagement des lieux de travail (conseils pratiques pour l’implantation d’un lieu d’accueil du public).

Procédure pour la prise en charge des victimes.

Pour télécharger le guide : https://www.carsat-lr.fr/telechargements/pdf/pdf_entreprises/t89.pdf

Violences externes : de quoi parle-t-on ?

Les violences externes sont définies depuis 2002 par l’agence européenne de la santé au travail : ce sont « des insultes, des menaces ou des agressions physiques ou psychologiques exercées contre une personne sur son lieu de travail par des personnes extérieures à l’entreprise, y compris les clients, et qui mettent en péril sa santé, sa sécurité ou son bien-être ».

(1) La revue Travail & Sécurité, éditée par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), a publié un dossier spécial « Professions en contact avec le public », n° 767 – décembre 2015.

Auteur

  • Virginie Leblanc