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Pourquoi le secteur de la sécurité privée peine à recruter

Zoom | publié le : 19.04.2016 | Mélanie Mermoz

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Pourquoi le secteur de la sécurité privée peine à recruter

Crédit photo Mélanie Mermoz

Entre les attentats de l’année 2015 et l’Euro de football qui arrive, le secteur de la sécurité privée est confronté à d’importants besoins ponctuels de main-d’œuvre. Et ce, alors que le cadre réglementaire d’entrée dans la profession s’est durci et qu’il n’offre guère de perspectives aux candidats.

À deux mois à peine de l’ouverture de l’Euro 2016, le monde de la sécurité privée est dans les starting-blocks. Durant l’année 2015, ce secteur a connu deux pics d’activité. L’un, après les attentats de janvier, « a duré de quinze jours à trois semaines, et a été circonscrit à la région parisienne et aux secteurs de la presse et de la distribution », détaille Patrick Haas, rédacteur en chef d’En toute sécurité, publication spécialisée sur le secteur. L’autre, après le 13 novembre, « s’est prolongée pendant un peu plus de deux mois et n’a pas été limitée à l’Ile-de-France ». Ce sont près de 10 000 agents, environ 8 % des effectifs existants, qui ont alors été recrutés – en CDD – pour sécuriser les enseignes de distribution, les salles de spectacle, mais aussi les sièges sociaux des grandes entreprises ou certains sites industriels sensibles.

En novembre, pour faire face à cette demande exceptionnelle, les représentants des employeurs avaient sollicité l’indulgence des pouvoirs publics. « Nous nous sommes adressés au ministère du Travail pour demander, pendant cette période particulière, des dérogations notamment en ce qui concerne la durée maximale du travail », explique Olivier Duran, porte-parole du Syndicat national des entreprises de sécurité privée (SNES). « La demande est maintenant largement retombée, sauf pour les salles de spectacle, mais celles-ci ont essentiellement besoin de vacations en soirée. Les enseignes de la grande distribution investissent davantage dans le matériel et ont donc moins besoin de personnes au contrôle, reprend Patrick Haas. Et depuis les attentats de Bruxelles, les mesures de sécurité ont été renforcées dans les transports publics et les aéroports. »

Carte professionnelle obligatoire

Contraint de s’ajuster en permanence à des demandes de personnel fortes mais ponctuelles, le secteur de la sécurité peine à faire face. D’abord parce qu’il n’est pas question de recruter n’importe quel candidat, l’entrée dans la profession étant réglementée. Depuis 2009, toute personne souhaitant travailler dans la sécurité privée doit être titulaire d’une carte professionnelle délivrée par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Dématérialisée et valable cinq ans, elle est délivrée après l’obtention d’un CQP d’agent de prévention et de sécurité qui sanctionne une formation de 140 heures, ou d’un titre équivalent. « Entre la demande de carte professionnelle et son obtention, il faut compter entre trois et six mois. En effet, après la vérification du casier judiciaire, le candidat doit trouver une formation, la faire financer et la suivre », note Olivier Duran.

Préparations opérationnelles à l’emploi

Pour faire face à la hausse de demandes de surveillance provoquée par l’Euro 2016, qui va se tenir du 10 juin au 10 juillet dans l’Hexagone, des préparations opérationnelles à l’emploi (POE) collectives ont été organisées, financées à 75 % par la branche et à 25 % par Pôle emploi. De même, une nouvelle carte professionnelle “surveillance de grands événements” a été spécialement créée. Un nouveau CQP au volume horaire plus faible (105 heures) y a été associé.

Mais ces solutions trouvent vite leurs limites. Ainsi, ce n’est qu’à partir du 18 janvier 2016 que les organismes souhaitant proposer cette nouvelle formation ont pu s’inscrire auprès de la branche professionnelle. « Les premières formations n’ont pu commencer que fin mars pour se terminer fin avril. Or, la SAS Euro 2016 exigeait le 15 avril le nom des personnes qui vont intervenir lors de la compétition… », relève Olivier Duran. Surtout, cette carte ne permet d’assurer que la surveillance des événements accueillants plus de 1 500 personnes, et les candidats ne pourront plus la demander après le 31 juillet. Elle ne devrait donc pas faire recette.

Quant aux POE collectives, « contrairement aux POE individuelles, elles ne s’accompagnent pas d’une obligation d’embauche ; elles risquent donc d’offrir des perspectives d’emploi très limitées dans le temps », s’inquiète Florent Le Coq, négociateur en charge de la formation professionnelle pour la fédération des services CGT.

Faiblesse des salaires

Autre défi pour le secteur, sa faible attractivité : l’un des premiers obstacles réside dans la faiblesse des salaires. Le coefficient de base de la convention collective est inférieur au smic. Les perspectives d’augmentation sont faibles, à cause de la pression sur les coûts exercée par les entreprises clientes lors de la renégociation des contrats. Pour fidéliser leurs agents, certaines entreprises tentent de trouver des compensations : « Nous avons fait le choix de revenir sur notre accord de modulation du temps de travail, nous payons maintenant les heures supplémentaires mensuellement. Par ailleurs, nous avons souscrit à un service d’aide aux devoirs par Internet ou par téléphone pour les enfants de nos collaborateurs », explique Roméo Jacob, directeur exécutif de Byblos, une société implantée à Villeurbanne.

Outre des conditions de travail difficiles – horaires décalés, station debout prolongée… – le secteur souffre aussi d’une mauvaise image sociale, en partie justifiée. En 2014, il a encore été sacré champion des fraudes par l’Urssaf, devant le BTP, essentiellement pour travail dissimulé (minoration d’heures…). « Trois cents sociétés ont été contrôlées, ce qui représente 6 % à 7 % des entreprises. Sur cet échantillon, le taux de fraude atteignait 29 %, concentré dans les petites entreprises et les plus récentes », souligne Patrick Haas.

Et puis, la nature de l’activité induit une forte précarité : les embauches se font pour les deux tiers en CDD. Afin d’assurer ses missions ponctuelles, Byblos souhaite constituer la « première réserve sécuritaire de France ». « Nous nous adressons à des personnes qui souhaiteraient un complément de revenus, des jeunes retraités, des femmes au foyer, qui ont une attitude responsable. Compte tenu du cadre réglementaire, nous savons que cela ne se fera pas du jour au lendemain », reprend Roméo Jacob. La féminisation des effectifs du secteur est en effet un enjeu urgent. Seules les agentes sont autorisées à pratiquer la palpation des femmes, or celles-ci devraient, lors de l’Euro, représenter 40 % des spectateurs. En 2014, les femmes ne représentaient que 15 % des effectifs salariés et cette proportion n’augmente pas. La profession peine à se débarrasser de son image de “gros bras”.

Auteur

  • Mélanie Mermoz