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La chronique juridique d’avosial

Chronique | publié le : 19.04.2016 | Étienne Pujol

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La chronique juridique d’avosial

Crédit photo Étienne Pujol

Deconnexion : une responsabilité partagée

Si le projet de loi El Khomri aborde et réforme la durée du travail, il traite marginalement un point très important : « l’adaptation du droit du travail à l’ère du numérique ».

Alors que l’immense majorité des salariés, cadres et non cadres, reconnaissent utiliser leur matériel informatique ou leur ordiphone en dehors de leur temps de travail, le « nomadisme numérique » n’est toujours pas encadré juridiquement. Et le projet de loi renvoie à une concertation intersyndicale pour en définir les enjeux juridiques. Pourquoi attendre encore ?

De plus, ce nomadisme numérique génère une porosité importante entre vie professionnelle et vie personnelle. Et il est prouvé qu’une connexion permanente avec l’environnement de travail est un facteur de stress. Pour certains salariés, la charge de travail est telle qu’elle requiert une connexion en dehors des heures habituelles. Pour d’autres, l’addiction à la connexion permanente relève de la pathologie. Pour d’autres enfin, la connexion partout et tout le temps est consubstantielle à la liberté dont ils disposent dans l’organisation de leur travail, et ne pas pouvoir décider par eux-mêmes quand et comment se déconnecter est source de frustration.

Le projet de loi renvoie le « droit à la déconnexion » des salariés à la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, en prévoyant qu’à défaut d’accord c’est à l’employeur qu’il reviendra de préciser les contours d’une telle déconnexion à l’intérieur d’une charte.

Cette formulation est insuffisante car, d’un point de vue juridique, s’il ne s’agit que d’un droit, un salarié qui ne se sera pas déconnecté pourra prétendre que c’est du fait de son employeur qu’il ne l’a pas fait. Or l’employeur a l’obligation d’assurer la sécurité de ses salariés. Cette obligation, après avoir longtemps été considérée comme une obligation de résultat, semble avoir été récemment commuée en une obligation de moyen renforcée, de sorte qu’il devrait être dorénavant possible de s’en exonérer en démontrant avoir pris toutes les mesures nécessaires pour éviter ou pour limiter la réalisation du risque.

L’employeur ne doit pas être présumé responsable d’une action de son salarié en dehors de toute possibilité qu’il aurait de superviser son travail. Si tel était le cas, le droit à la déconnexion serait inefficace pour les questions de santé au travail et impliquerait une obligation pour les employeurs de déconnecter leurs salariés en coupant les serveurs les soirs et week-ends… Certains groupes l’ont fait, avec des résultats peu concluants.

Dans son rapport, Bruno Mettling relevait que savoir se déconnecter est une compétence qui se construit à un niveau individuel tout en étant soutenue au niveau de l’entreprise : le droit à la déconnexion est donc une coresponsabilité du salarié et de l’employeur, qui implique aussi un devoir de déconnexion. L’accord Syntec sur le forfait-jours du 1er avril 2014 mettait parfaitement en avant cette dualité de responsabilité : « L’effectivité du respect par le salarié de ces durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance. […] [L’employeur] s’assurera des dispositions nécessaires afin que le salarié ait la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition. »

Il s’agit ainsi d’un problème de pédagogie, de formation et de responsabilisation des utilisateurs. À l’heure où l’on reproche au Code du travail d’être illisible et trop rigide, il ne serait pas pertinent d’ajouter une nouvelle obligation sur les entreprises, qui plus est s’agissant de l’élaboration et de la mise en œuvre de règles de savoir-vivre et de management dans un environnement où le numérique est toujours plus présent…

Le projet de loi devra donc être amendé pour faire référence non seulement au droit mais aussi au devoir pour les salariés de se déconnecter de leur lien avec leur employeur lorsqu’ils jouissent de leur repos quotidien et hebdomadaire ou lorsqu’ils sont en congés !

Auteur

  • Étienne Pujol