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L’enquête

L’interview : Jean-François Amadieu Professeur à Paris 1, directeur de l’observatoire des discriminations

L’enquête | L’interview | publié le : 16.02.2016 | Emmanuel Franck

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L’interview : Jean-François Amadieu Professeur à Paris 1, directeur de l’observatoire des discriminations

Crédit photo Emmanuel Franck

« Le testing gouvernemental risque d’accélérer une tendance à la victimisation »

Avez-vous répondu à l’appel d’offres du gouvernement pour réaliser son testing sur les discriminations à l’embauche ?

Non, car la seule variable qui sera testée sera l’origine immigrée des candidats. D’autres critères, comme l’âge, l’apparence, l’état de santé ou encore la détention d’un mandat syndical – une cause de discrimination qui échappe aux radars – ne seront pas testés. Dans la situation actuelle, c’est inutile et irresponsable.

Pourquoi ?

Ce testing est inutile parce qu’il va découvrir ce qu’on sait déjà : il y a des discriminations à l’encontre de candidats présumés maghrébins et africains, comme l’ont déjà montré des testings antérieurs. Le testing de 2016 nous apprendra qu’il y en a encore. En outre, il suffit de lire les enquêtes de 2014 et 2015 faites auprès des demandeurs d’emploi par le Défenseur des droits pour constater que la variable principale et la variable modératrice retenues ici par le ministère ne correspondent pas à ce que vivent principalement les demandeurs d’emploi victimes de discriminations.

En quoi jugez-vous ce testing irresponsable ?

En choisissant de ne s’intéresser qu’au critère de l’origine immigrée, le gouvernement prend le risque d’accélérer une tendance à la victimisation et de dresser les gens les uns contre les autres. Après les attentats que la France vient de subir, c’est irresponsable. Dans ces circonstances, il aurait été opportun d’ajouter une autre variable. Cela aurait montré que les discriminations concernent beaucoup d’autres personnes.

Le sexe pourra également être testé, puisque les candidats devront être des hommes et des femmes.

Oui, le critère du sexe est présent, mais à titre de variable secondaire et pas du tout en tant que tel. Certes, on trouvera in fine un constat du type : les femmes issues de l’immigration “d’origine étrangère” font l’objet d’une moindre discrimination vis-à-vis des femmes “hexagonales” que celle que connaissent les hommes d’“origine étrangère” vis-à-vis des hommes “hexagonaux”.

Mais un testing qui permette de comparer réellement les chances des hommes et des femmes ne sera sans doute pas mené. Pour cela, il faudrait tester une paire de candidatures homme-femme sur une même offre d’emploi. Or le choix est fait de tester l’effet de l’origine ; le sexe est la variable modératrice.

Que devraient faire les pouvoirs publics ?

Les efforts des pouvoirs publics devraient porter sur les solutions à apporter au problème. Or je ne peux que constater que le CV anonyme a été enterré par la commission Sciberras et que l’action de groupe a été vidée de son intérêt pour les victimes, puisque ces dernières ne pourront pratiquement plus obtenir de compensation financière.

Si l’on considère que les discriminations vécues au quotidien et le ressenti de ces discriminations ont de graves conséquences, n’est-il pas plus urgent de les diminuer par tous les moyens plutôt que de renforcer le sentiment de fortes discriminations auxquelles il n’a pas été répondu par ceux-là mêmes qui tendent le thermomètre ?

Auteur

  • Emmanuel Franck