logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

Discriminations : Les entreprises à l’heure du testing

L’enquête | publié le : 16.02.2016 | E. F.

Image

Discriminations : Les entreprises à l’heure du testing

Crédit photo E. F.

La grande campagne de testings organisé par le gouvernement sur les discriminations à l’embauche va bientôt démarrer. L’usage que les pouvoirs publics feront des résultats reste flou, de même que l’intérêt de la démarche. La publication des noms des entreprises épinglées est peu probable. Des entreprises sollicitent elles-mêmes des testings mais restent en général discrètes sur les résultats.

Comme il l’avait annoncé, le gouvernement va prochainement faire réaliser une campagne de testings pour repérer les discriminations à l’embauche dans les entreprises. L’appel d’offres pour la réalisation de cette prestation, consistant à comparer le traitement de deux candidatures fictives similaires différant uniquement par certaines caractéristiques, précise qu’il s’agit de mesurer les discriminations liées à l’origine immigrée dans « quelques dizaines » d’entreprises employant plus de 1 000 salariés en France métropolitaine, et que les candidats devront être des hommes et des femmes.

Que les DRH se rassurent : les noms des entreprises épinglées demeureront confidentiels ! C’est quasi certain. Cette campagne, qui devrait se dérouler entre mars et juillet, pour des résultats sans doute à l’automne, est « destinée à favoriser une prise de conscience de la part des entreprises », a assuré le ministère du Travail au mois de décembre. Celui-ci n’a pas souhaité nous préciser ce qu’il comptait faire des résultats. Le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, a pour sa part déclaré le 5 février : « Testing et pénalisation, c’est la bonne méthode », sans plus de précision. Toutefois, plusieurs membres du groupe de dialogue “Sciberras” sur « la lutte contre les discriminations en entreprise », qui a proposé les modalités du testing, l’assurent : sa visée est pédagogique : « La proposition que nous avons faite n’est surtout pas de faire du name and shame », déclare Bruce Roch, secrétaire de l’Association française des managers de la diversité (AFMD) et membre du groupe de dialogue Sciberras.

Pas de name and shame

Les pouvoirs publics auront sans doute à cœur de ne pas renouveler l’expérience de 2007. À l’issue d’un testing sur l’âge et l’origine, réalisée sous l’égide de la Halde (aujourd’hui Défenseur des droits), les noms des trois entreprises – parmi vingt testées – soupçonnées d’avoir des pratiques de recrutement discriminatoires avaient alors été rendus publics. Épinglés, Mercuri Urval, le Crédit Agricole et surtout Accor avaient contesté la méthode. Quoique ces entreprises aient pu procéder à un examen contradictoire des résultats et faire part de leurs remarques, elles n’ont jamais accepté les conclusions de l’étude, soutenues en cela par l’ensemble du monde patronal. Depuis cet épisode, aucun gouvernement n’a plus tenté le name and shame, une méthode « contre-productive », selon Aline Crépin, directrice RSE de Randstad, également membre du groupe de dialogue.

Elle estime que l’intérêt du testing du gouvernement est d’abord de « remettre la lutte contre les discriminations sur le devant de la scène, après une période de flottement ». Elle pense au label Diversité, que le gouvernement a décidé de réformer il y a un peu plus d’un an, en l’ouvrant aux PME et à la Fonction publique et en le rapprochant du label Égalité, mais dont le chantier paraît ne pas avancer.

Un déni encore important

Si les associations du monde de la diversité – en général membres du groupe Sciberras – soutiennent évidemment le testing du gouvernement, aucune n’a été informée des intentions de ce dernier, et leurs analyses sont assez divergentes sur l’intérêt de la campagne. Pour Frédérique Poggi, déléguée générale d’IMS-Entreprendre pour la cité, ce testing va permettre de « générer une prise de conscience, car le déni est encore très important, surtout dans les entreprises où il n’y a aucun programme ». Analyse opposée pour Catherine Tripon, directrice diversité-égalité professionnelle de la Fondation agir contre l’exclusion (Face), qui estime, au contraire, que les entreprises de plus de 1 000 salariés « ont forcément déjà fait quelque chose contre les discriminations » et que l’intérêt du testing est, dès lors, « de faire un point sur ce qui se passe dans les entreprises après plusieurs années de politique diversité et d’accords renouvelés ». Mais pour mesurer une éventuelle évolution, ou un effet “attentats”, il faudrait comparer avec une situation antérieure. Des testings assez similaires ont déjà été réalisés il y a quelques années : outre celui de la Halde en 2007, celui du Bureau international du travail, en 2006. « Mais les périmètres et les méthodes sont différents », explique Bruce Roch. Le testing de 2016 ne pourra donc pas mesurer un changement ni même une tendance.

Quant à approfondir la recherche sur les discriminations en raison de l’origine, tous les spécialistes s’accordent à dire que la campagne du gouvernement ne sera d’aucune utilité. De nombreux testings ont déjà été réalisés ces dernières années, soit par les institutions déjà citées, soit par des chercheurs. Il est ainsi démontré depuis longtemps que les candidats d’origine supposée maghrébine ou africaine ont moins de chances d’obtenir un entretien d’embauche que les candidats d’origine hexagonale, mais que les femmes sont moins pénalisées que les hommes, et les femmes asiatiques pas du tout ; qu’en conséquence les discriminations ne se cumulent pas forcément ; que l’excellence (meilleur apprenti de France) augmente les chances des candidats maghrébins sans pour autant annuler la discrimination dont ils sont victimes ; que la discrimination en raison du lieu de résidence ne touche que les femmes, quelle que soit leur origine (lire l’encadré ci-dessus).

Testings scientifiques

« Le testing du gouvernement ne nous fera pas découvrir que les discriminations ethniques et raciales existent, mais il interpelle à nouveau les acteurs économiques et sociaux sur un problème essentiel, explique Éric Cédiey, directeur d’ISM Corum, opérateur de testings notamment pour Casino, Adecco, LVMH, et le Bureau international du travail. Son intérêt est d’inciter un maximum d’entreprises à vérifier ce qui se passe chez elles ; il réside aussi dans ce que le ministère fera ensuite avec les entreprises. » Il rappelle qu’à côté des testings judiciaires, il existe deux sortes de testings scientifiques (sans visées judiciaires car les candidats sont fictifs) : ceux portant sur un marché du travail, qui supposent de tester beaucoup d’employeurs, et, à l’opposé, les testings sollicités par les entreprises elles-mêmes qui, par définition, ne concernent qu’un seul employeur. Les premiers sont larges et donc peu détaillés, les seconds sont assez complets. Ils permettent par exemple d’obtenir des résultats par type d’établissement et de comparer valablement les résultats de deux testings distants de quelques années, pour peu que la méthode soit reproduite à l’identique.

Adecco et Casino en sont à leur troisième campagne (lire p. 22 et p. 23), LVMH à sa quatrième. Contacté, LVMH n’a pas donné suite. Air France, Michael Page, Adia, L’Oréal ou encore PSA y ont eu recours il y a quelques années.

Le dispositif choisi par le gouvernement se situe entre le testing sur un marché de l’emploi et le testing centré sur un seul employeur. Il sera à la fois large, puisque portant sur « quelques dizaines » d’entreprises, et précis « de façon à ce qu’un taux de discrimination pour chaque entreprise soit mesuré », décrit l’appel d’offres. Il est donc probable que les entreprises dont les tests laisseront soupçonner des discriminations feront l’objet d’un (discret ?) accompagnement des pouvoirs publics. Et si l’objectif du gouvernement est effectivement de faire de l’accompagnement, il semblerait également logique que les entreprises qui se testent déjà à leurs propres frais ne soient pas concernées par la campagne à venir. Pour les autres, il faudra être vigilant. Il ne semblerait pas non plus inconcevable que les trois entreprises épinglées en 2007 soient de nouveau testées.

Les résultats du testing auront, quoi qu’il en soit, leurs limites : « Ce type de testing ne peut pas donner une vision complète de ce qui se passe dans une entreprise, et j’engage à une grande prudence scientifique dans les comparaisons entre entreprises, prévient Éric Cédiey. Au demeurant ce n’est pas d’un concours de beauté dont a besoin la lutte contre les discriminations, c’est que chacun fasse ce qu’il a à faire : les employeurs, les syndicats, les pouvoirs publics, les juges… »

Un enjeu politique

Au-delà de l’enjeu d’image des entreprises, le testing du gouvernement porte un enjeu politique. Parce que le choix est de ne tester que l’origine immigrée, Jean-François François Amadieu, professeur à Paris 1, directeur de l’Observatoire des discriminations, craint que le testing accélère une tendance à la victimisation et dresse les gens les uns contre les autres (lire son interview p. 25). Il estime également que le temps n’est plus aux constats – déjà réalisés – mais à l’action.

« Évidemment, il faut combattre toutes les discriminations, déclare, de son côté, Éric Cédiey. D’ailleurs à peu près toutes ont déjà été testées. Mais dans le contexte actuel, il est tout aussi évident qu’il est indispensable d’insister sur la lutte contre les discriminations liées à l’origine. »

Les discriminations en raison de l’origine sont avérées depuis des années…

Le testing est utilisé en France depuis dix ans à des fins de recherche sur les discriminations à l’embauche en raison de l’origine. Tous les résultats s’accordent à dire que les candidats d’origine supposée maghrébine ou africaine ont moins de chance d’obtenir une réponse positive qu’un candidat supposé d’origine française. Il existe cependant des variations importantes en fonction du sexe, du lieu de résidence ou de l’obtention d’une distinction d’excellence. Les noms d’entreprises discriminantes n’ont été rendus publics qu’une seule fois.

Discrimination en raison du sexe et de l’origine, sauf pour les femmes asiatiques. CNRS (2009).

Critères testés : origine supposée (française, maghrébine, subsaharienne et asiatique) et sexe.

Résultats : quelle que soit leur origine, les femmes ont une probabilité plus faible d’accéder à un entretien d’embauche. Quel que soit leur genre, les Français d’origine étrangère ont une probabilité plus faible d’accéder à un entretien d’embauche, sauf s’agissant des femmes d’origine asiatique.

Discrimination territoriale pour les femmes. CNRS (2008).

Critères testés : lieu de résidence (commune défavorisée/favorisée), sexe, origine supposée.

Résultats : la discrimination en raison du lieu de résidence affecte exclusivement les femmes : quelle que soit leur origine, elles ont moins de succès si elles résident dans une commune défavorisée.

Discrimination en raison de l’âge et de l’origine : trois entreprises citées. Observatoire des discriminations (2007).

Critères testés : âge et origine supposée dans vingt entreprises.

Résultats : Accor Jobs, le site de recrutement d’Accor traite moins bien les candidats d’origine africaine ; Crédit Agricole et Mercuri Urval traitent moins bien les candidats de plus de 45 ans. Toutes entreprises confondues, les candidats d’origine africaine ont 22,77 % de chances de moins d’être convoqués à un entretien, et ceux de plus de 45 ans, 42,17 % en moins.

Les discriminations sur l’origine persistent lors de l’entretien d’embauche. ISM Corum (2006).

Critères testés : origine supposée (hexagonale/maghrébine ou subsaharienne) lors du dépôt d’une candidature et d’un entretien d’embauche.

Résultats : le choix des employeurs se porte dans 70 % des cas sur le candidat d’origine hexagonale ; lorsque les candidats accèdent ensemble à l’entretien d’embauche, le choix du recruteur se porte majoritairement sur le candidat hexagonal.

Les discriminations en raison de la religion ont été démontrées plus récemment. Valfort-Institut Montaigne (2013-2014).

Les musulmans pratiquants subissent une discrimination à l’embauche par rapport aux juifs pratiquants, qui, eux-mêmes, sont discriminés par rapport aux catholiques. La discrimination à l’égard des candidats musulmans varie fortement selon leur sexe : les femmes sont beaucoup moins pénalisées que les hommes. L’affichage de son attachement à la laïcité augmente les chances d’un homme musulman d’être reçu à un entretien d’embauche.

Auteur

  • E. F.