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Temps de travail : une question d’organisation pour l’hôpital

L’enquête | publié le : 09.02.2016 | É. S.

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Temps de travail : une question d’organisation pour l’hôpital

Crédit photo É. S.

Poussés par les contraintes économiques et l’évolution des besoins de prise en charge, confrontés à une nouvelle réglementation pour les urgentistes, les hôpitaux publics cherchent à adapter au plus juste l’organisation du temps de travail. Un enjeu majeur de gestion et de conditions de travail, qui passe, pour certains établissements, par la révision des protocoles sur les 35 heures. Mais qui ne peut faire l’économie d’une remise à plat du travail quotidien.

Des grèves suivies à plus de 30 %, et, en ce début d’année, l’interruption des vœux de Martin Hirsch au personnel par des militants syndicaux toujours vent debout contre la réorganisation du temps de travail… Un après l’ouverture du chantier, la refonte des 35 heures dans les 39 hôpitaux de l’AP-HP n’a pas fini de créer des tensions (lire p. 22).

Tout comme elle en avait déjà suscité fin 2012 à l’hôpital de Dieppe, en 2014 au groupe hospitalier de psychiatrie Paul-Guiraud de Villejuif ou à l’hôpital d’Alençon, et plus récemment au centre hospitalier d’Albert, dans la Somme, comme à celui de Calais… Le mouvement semble bien lancé. Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), 44 % des établissements publics de santé (sur un échantillon représentant près d’un tiers des effectifs de la fonction publique hospitalière) avaient renégocié en 2014 leur protocole d’accord sur les 35 heures. Dans plus de 6 cas sur 10 pour modifier le nombre de RTT et la durée quotidienne du travail.

« C’est une tendance lourde, beaucoup d’établissements revoient à la baisse le nombre de jours de RTT, confirme et déplore Alain Acquart, de SUD Santé Sociaux. Seulement, le personnel n’est pas prêt à lâcher des jours de repos, désormais acquis depuis près de quinze ans comme un élément essentiel de la qualité de vie au travail. Certes, le volet recrutement de la réforme des 35 heures n’a pas été à la hauteur, mais ce n’est pas au personnel d’en faire les frais. Nos métiers sont difficiles, nos salaires n’évoluent pas. Il ne reste guère que les progressions de carrière liées au statut… et les RTT. »

Retrouver de la capacité de travail

Alors, pourquoi rouvrir ce dossier, avec les risques de conflit qui en découlent ? Jean-Marie Barbot, président de l’AdRHess (Association pour le développement des ressources humaines dans les établissements sanitaires et sociaux), justifie : « En 2002, les 35 heures ont été négociées sans remettre à plat l’organisation du travail et en se polarisant sur le nombre de RTT. D’où des protocoles très disparates, avec parfois plus de 20 jours de RTT. À cela s’est ajoutée une pression financière liée à l’introduction de la T2A [tarification à l’activité, NDLR], qui pose la question de l’utilisation des ressources en personnel et de l’optimisation du temps de travail de façon plus cruciale qu’avant. Le nombre de jours de présence est le dernier gisement pour retrouver de la capacité de travail et développer l’activité. »

Plan de performance

Au centre hospitalier de Calais, le temps de travail était en effet l’un des neuf axes du plan de performance visant à regagner 4 millions d’euros. Un accord, signé en juin avec la CFDT et SUD, réduit la durée hebdomadaire de travail de 38 heures à 37 h 30 et les RTT de 22 à 14 jours. Le directeur, Martin Trelcat, résume : « Réduire les RTT a permis de gagner huit jours travaillés en plus par agent et par an et, par conséquent, d’avoir davantage de personnel présent dans les services au même moment, l’équivalent d’une quarantaine de personnes par jour. »

Pour autant, poursuit-il, revoir les 35 heures était « nécessaire mais pas suffisant. Après avoir gagné en quantité, nous devons maintenant gagner en qualité. C’est pourquoi nous examinons, service par service, les effectifs nécessaires et l’organisation la mieux adaptée. Nous sommes en train de tester plusieurs cycles de travail en tenant compte des contraintes de l’activité mais aussi en veillant à répartir équitablement le travail de nuit ou du week-end, à donner davantage de visibilité sur les plannings ».

Jean-Marie Barbot le reconnaît : « Les RTT ne sont qu’un aspect du problème du temps de travail à l’hôpital. » D’ailleurs, la FHF insiste aujourd’hui sur l’enjeu organisationnel de ces renégociations : « La plupart des protocoles adoptés en 2002 sont globalisants et ont figé les organisations du travail. Or il n’y a pas forcément de sens à adopter le même modèle dans tous les services, ou pour toutes les fonctions : soignants, administratifs, techniques…, explique Marie Houssel, responsable du pôle RH. L’objectif est d’adapter le temps de travail aux besoins de prise en charge, qui ont évolué depuis 2002. »

Augmentation rapide de la production

Mais les crispations autour des 35 heures à l’hôpital s’expliquent aussi par l’accentuation des contraintes qui pèsent sur le personnel soignant. Le « virage ambulatoire, en réduisant la durée des séjours à l’hôpital, a intensifié la charge de travail des équipes », remarque ainsi Valérie Muller, directrice associée d’Arthur Hunt Consulting. « Entre 2005 et 2009, l’augmentation de la production s’est effectuée plus rapidement que celle des effectifs », ajoutent les chercheurs Frédéric Moatty et Mihaï Dinu Gheorghiu, dans une étude publiée par le CEE. « Dans une situation d’effectifs minimum et d’absentéisme élevé, écrivent-ils, les nécessités de service et la recherche de flexibilité causent des changements horaires, des dépassements imprévus, des gestions plus serrées des plannings et compromettent le libre choix des congés ou des jours de RTT. » Sans compter que diminuer le temps de travail quotidien, corollaire à la suppression de jours de RTT, implique de remettre à plat les méthodes de travail, notamment de raccourcir les temps de transmissions.

En parallèle, d’autres organisations se développent, en particulier le travail en douze heures, comme au CHRU de Montpellier (lire p. 24). Décrié par les syndicats, qui pointent les risques d’usure au travail et de dépassements horaires, voire contestent sa légalité (lire l’encadré ci-dessus), il a le triple avantage, pour les directions, d’être plébiscité par les soignants, qui diminuent ainsi leur temps de présence à l’hôpital, de réduire le nombre d’équipes et de transmissions, soit une économie de 5 % à 8 % d’ETP, selon Jean-Marie Barbot, et enfin, poursuit le président de l’AdRHess, « d’être plus compatible avec l’organisation du temps médical ».

Car la question du temps de travail ne concerne pas que les personnels non médicaux. D’une part, les hôpitaux doivent désormais composer avec le nouveau décompte du temps de travail des urgentistes et des internes (lire p. 25). D’autre part et surtout, l’un des points sensibles de l’organisation du travail reste la mauvaise synchronisation des temps entre les personnels médicaux et non médicaux, source de nombreux dysfonctionnements. Congés des praticiens non anticipés, blocs opératoires où les professionnels s’attendent les uns les autres, plannings médicaux non concertés… Ces incohérences quotidiennes de planification ont des effets délétères en termes de perte de temps et de cohésion d’équipe, souligne Valérie Muller, qui pointe aussi l’absence de planification efficiente (lire “l’avis de l’expert” p. 21).

De son côté, la CFDT plaide pour l’instauration de négociations annuelles obligatoires sur l’organisation du travail au sein des établissements. « Se mettre chaque année autour de la table permettrait de voir ce qui ne fonctionne pas, y compris sur la synchronisation des temps médicaux et non médicaux, et ce que génèrent les mauvaises organisations en termes d’absentéisme, estime Nathalie Canieux, secrétaire générale de la CFDT Santé Sociaux. Or aujourd’hui, bien souvent, on annonce brusquement qu’on va revoir les protocoles 35 heures avec un objectif uniquement d’économies, et alors que le sujet du temps de travail n’a pas été à l’ordre du jour pendant des années ! On prend les choses à l’envers. »

Dialogue social

Derrière le temps de travail, c’est donc aussi la question du dialogue social dans la fonction publique hospitalière qui est posée – sachant que les protocoles peuvent être révisés même en l’absence d’accord avec les syndicats. Jean-Marie Barbot en est conscient : « Concilier l’optimisation du temps de travail et maintenir un dialogue social constructif est difficile. Une des réponses est d’engager la négociation sur la base d’un véritable accord, signé par des organisations syndicales majoritaires. » Une gageure. À l’AP-HP, seule la CFDT a apposé sa signature au plan de Martin Hirsch.

Les 12 heures en question

Quel avenir pour l’organisation du travail en 12 heures ? À mesure qu’il se diffuse (70 % des hôpitaux l’auraient adopté pour au moins un service selon l’AdRHess), ce mode d’organisation du travail très prisé du personnel suscite débats et controverses. À l’hôpital Tenon, à Paris, la CGT a obtenu en décembre dernier un jugement du tribunal administratif de Paris annulant le passage en 12 heures pour le service de réanimation polyvalente. « Le tribunal a jugé sur la forme – la non-consultation des instances – mais aussi sur le fond, en rejetant les arguments avancés par la direction sur l’exigence de continuité des soins », se satisfait André Guisti, représentant CGT de l’hôpital. Pour l’heure, l’AP-HP a fait appel du jugement. « La jurisprudence n’est pas stabilisée », affirme-t-on à la FHF. Qui rappelle que les 12 heures sont un mode d’organisation dérogatoire et nécessitent un certain nombre de conditions, comme le volontariat, un suivi spécifique par le médecin du travail, etc.

Depuis plus d’un an, un groupe de travail se réunit sur le sujet sous la houlette de la DGOS (direction générale de l’offre de soin), avec des organisations syndicales et des représentants de la FHF. Il doit notamment établir des recommandations pour encadrer le développement de ce mode d’organisation. FO et la CGT, par principe hostiles aux 12 heures, ont claqué la porte. La CFDT, de son côté, a établi la liste des garde-fous qu’elle juge indispensables, comme la possibilité de revenir à des horaires réglementaires, la limitation à deux jours consécutifs de travail en 12 heures, la prise en compte des temps d’habillage et de déshabillage ou de repas, ou encore la mixité des âges dans les services en 12 heures.

L’avis de l’expert
Valérie Muller directrice associée d’Arthur Hunt consulting

À l’hôpital, le temps de travail est un enjeu fondamental, mais l’aborder par le prisme des suppressions de RTT n’est pas la bonne méthode. Car il y a d’autres marges de progrès, pour à la fois atteindre les enjeux économiques et améliorer les conditions de travail. De nombreux hôpitaux souffrent ainsi d’une désorganisation structurelle, due à l’absence d’outillage efficace. Les cadres de santé passent 60 % à 65 % de leur temps à établir les plannings, parce que peu d’entre eux disposent de bons outils pour organiser le travail en cycles, et prévoir ainsi la présence des agents sur l’année, en respectant leurs besoins quotidiens. On s’en remet à des plannings établis au mois le mois, avec, du coup, des périodes où les effectifs présents sont supérieurs aux besoins, d’autres où ils sont insuffisants. On gère les jours de “non-présence” des uns et des autres, en plus de l’absentéisme, on trouve des arrangements pour pallier les absences. Travailler par cycles permet d’offrir aux agents une organisation plus équitable et une meilleure visibilité, de respecter la réglementation du temps de travail, et de sortir les cadres d’une relation de dépendance avec les équipes.

L’autre thème majeur, c’est la synchronisation des temps médicaux et non médicaux. C’est encore un sujet tabou – on n’ose pas souvent demander aux médecins de déclarer leurs congés à l’avance – mais il faut absolument formaliser ces règles. Prévoir par exemple des plages horaires pendant lesquelles les visites médicales ne peuvent pas se dérouler, pour éviter d’interrompre le travail des soignants. Aujourd’hui, les tableaux médicaux d’organisation, obligatoires, ne sont pas toujours mis en place. Sur ce sujet, les enjeux économiques mais aussi relationnels entre les médecins et les soignants sont immenses. Car, en régulant l’organisation du travail, on renforce les solidarités d’équipe, ce qui, en outre, réduit l’absentéisme.

Auteur

  • É. S.